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Jeux paralympiques, une communauté des anneaux comme les autres

Cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques, à Rio, le 7 septembre 2016. Yasuyoshi Chiba/AFP

Les Jeux paralympiques sont un paradoxe, jusque dans leur dénomination. « Para » suggère en effet l’idée d’une altérité, d’un à-côté similaire, mais non semblable. « Lympique » en revanche nous invite à l’universalité, à reconnaître la force du sport, du talent, de la performance et du dépassement de soi, par-delà la situation de handicap. Ainsi, les athlètes paralympiques ne seraient pas des sportifs/ves, mais des (super)-héro(ïne)s. Une simple requête sur un moteur de recherche permet de se rendre compte de la force d’un tel jugement de valeur. Pour autant, cette vision métaphorique ne fait pas l’unanimité. Des voix s’élèvent pour dénoncer la persistance d’un préjugé tenace, qui réduirait l’athlète paralympique à son handicap.

Mais alors, de quoi se plaint-on, me direz-vous ? Finalement, pourquoi ne pas se contenter de ce qu’on a et considérer qu’être un(e) super-héro(ïne), c’est plus que n’en demande le commun des mortels ? C’est pourtant ici que se situe l’argument principal. Qu’il soit positif ou négatif, le stéréotype affirme la différence, catégorise et exclut. C’est peut-être même l’essence des Jeux paralympiques qui est en cause. Créer une communauté de sportifs à part, c’est acter la différence.

L’exemple d’Oscar Pistorius l’avait mis au jour et sa participation aux Jeux olympiques de Londres en 2012 avait permis de fissurer la frontière. Nous y sommes, donc. Encore une fois, le communautarisme aurait frappé. Les Jeux paralympiques seraient donc seuls responsables de leur paradoxe, ils n’avaient qu’à sortir de la logique communautaire. Vraiment ?

Une affaire de communauté, et alors ?

C’est avant tout le regard porté sur les Jeux paralympiques qu’il faut changer, et de deux manières : éviter la catégorisation et porter un regard ouvert sur la notion de communauté. Considérer en premier lieu les athlètes paralympiques, dans un élan de compassion mâtiné de bienveillance, bien que l’on s’en défende, comme des athlètes hors du commun reviennent à les inscrire de manière définitive et totalitaire dans une catégorie à part.

Deux biais de raisonnement sont décelables : l’homogénéité et la globalité. L’homogénéité revient à considérer que tous les athlètes sont les mêmes, et qu’il n’existe plus alors de disparités sociales, culturelles ou individuelles. Rien ne ressemblerait plus à un athlète paralympique qu’un autre athlète paralympique. Sauf que cette supposée homogénéité n’est pas seulement trompeuse, elle est également discutable et a pour conséquence la globalité, qui revient à réduire les athlètes à une unique inscription sociale et ainsi à leur nier toute autre forme de rapport aux autres et au monde. Les péripéties multiples autour de l’intégration du handicap mental au sein des Jeux paralympiques sont une illustration criante de l’absence d’homogénéité et de globalité au sein cette communauté.

Oscar Pistorius, en 2012. L’athlète avait fissuré la frontière. Global panorama/Flickr, CC BY-SA

Car il s’agit bien d’une communauté, et le mot n’est pas honteux. Il n’est pas non plus dangereux comme l’air du temps le laisserait à penser. La communauté comporte même de nombreuses vertus, comme le démontrent les travaux du sociologue Michel Lallement. À condition qu’on ne la confonde pas avec le communautarisme. La communauté, selon Lallement, doit ainsi se concevoir comme un espace ouvert où se rencontrent à divers moments des individus partageant un intérêt, une perspective, une vision ou même un projet communs, tout en ayant souvent des identités et des inscriptions sociales multiples et différentes. Avec une telle perspective, les Jeux paralympiques deviennent ce qu’ils ont toujours été, un espace d’intégration et non pas un monde social parallèle.

L’estime de soi comme lutte pour la reconnaissance

On pourrait alors en rester là. Se dire que le débat est clos et que les Jeux paralympiques sont une part du monde et non un monde à part. Sauf qu’ils sont plus que cela. Ils sont une forme enthousiasmante de reconnaissance pour les personnes en situation de handicap. Ils constituent une alternative à ce que, par exemple, les entreprises ne peuvent souvent concevoir autrement que par la conformité à la loi et la discrimination positive.

Pour autant, le dispositif imposant un quota de personnes en situation de handicap en entreprise n’est pas optimal, il est même souvent menacé, mais il a le mérite d’exister. Il consacre dans les faits le succès d’une forme de « lutte pour la reconnaissance », concept développé par le philosophe allemand Axel Honneth (La lutte pour la reconnaissance, 2013, Paris, Folio). Celui-ci distingue en effet trois formes de reconnaissance possibles de l’individu par les autres : l’amour et l’amitié (qui se rapporte aux relations interpersonnelles), le droit et les relations juridiques (en l’espèce une loi venant imposer la reconnaissance de la situation de handicap à une structure sociale telle que l’entreprise) et, en dernier lieu, la « communauté de valeurs », vecteur essentiel de « l’estime de soi » pour les personnes concernées.

Et c’est ici que se situe le supplément d’âme des Jeux paralympiques. La communauté – temporaire mais récurrente – que constitue l’évènement vient consacrer une nouvelle modalité de reconnaissance pour les personnes en situation de handicap, non fondée sur une prise en compte abstraite et globale de leur situation, mais sur la révélation visible de leur singularité et de leur être à part entière. Ainsi, les Jeux paralympiques constituent la possibilité d’une solidarité au sein d’une communauté à laquelle l’individu vient apporter sa contribution et est reconnu pour cela.

Contrairement à la discrimination positive, ce n’est pas pour ce qu’il n’a pas que l’athlète paralympique est reconnu, c’est tout le contraire. De la même façon, ce n’est pas pour ce qu’il est capable ou non de faire que l’athlète paralympique doit être reconnu, mais pour ce qu’il fait, et cela démontre sa pleine et entière intégration sociale, sans nécessaire recours à un artifice légal ou de gestion.

L’imaginaire sportif comme valeur de la communauté

C’est vrai, cela est plus facile par le sport que pour tout autre secteur de la vie sociale. Symbolisé par la passion, le sport constitue à la fois la résultante, mais également l’origine d’un processus de structuration de représentations et de pratiques sociales autour d’un imaginaire fondé sur la passion. De ce fait, la communauté paralympique se fonde sur des valeurs à la fois solides, mais également en constante réinvention. Les Jeux paralympiques sont alors à la fois le réceptacle des valeurs du sport, mais également participent à leur redéfinition.

D’où la confusion évoquée initialement. Lorsque l’athlète paralympique est considéré comme un(e) super-héros/ïne, c’est qu’il/elle est considéré(e) à travers un prisme figé et passéiste du sport. L’athlète paralympique est un sportif comme les autres. Ce n’est pas qu’un performer, c’est aussi (surtout ?) un passionné, et c’est là que réside l’imaginaire sportif aujourd’hui.

Le nageur brésilien du 100 mètres, Daniel Dias, en pleine action. Christophe Simon/AFP

On apprend que les athlètes paralympiques peuvent être de mauvais perdants. On sait aussi qu’ils/elles peuvent être terriblement créatifs/ves en matière de dopage. Enfin, comme n’importe qui, est-il encore besoin de le préciser, parce qu’ils/elles sont aussi dans le monde, ils/elles peuvent également s’illustrer tristement à la rubrique des faits divers sordides. Et c’est paradoxalement une bonne nouvelle. L’athlète paralympique est un athlète comme les autres. La communauté des anneaux paralympiques est une composante sociale et non un dispositif à part.

L’imaginaire sportif étant un processus, celui-ci a évolué. Les Jeux paralympiques nous démontrent que faire est aussi essentiel que réussir. La communauté paralympique est une forme innovante, stimulante et non stigmatisante de reconnaissance des personnes en situation de handicap. Elle est aussi une forme de retour aux sources de l’olympisme. « L’important c’est de participer ». Tout était dit.

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