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JO de Paris 2024 : le casse-tête biélorusse

Aryna Sabalenka pendant un match
La tenniswoman Aryna Sabalenka, aujourd’hui numéro 1 mondiale, pourra-t-elle concourir aux Jeux de Paris ? Et si oui, pourra-t-elle arborer les couleurs de la Biélorussie, comme sur cette photo prise pendant les Jeux de Tokyo le 26 juillet 2021 ? Giuseppe Caccace/AFP

La relation des sportifs de haut niveau avec la politique est pour le moins ambivalente. Le tennis, entre autres, en a récemment fourni plusieurs exemples, le Serbe Novak Djokovic n’hésitant pas à profiter de sa notoriété pour affirmer que le Kosovo devrait appartenir à son pays tandis que la nouvelle numéro 1 mondiale, la Biélorusse Aryna Sabalenka, cherche à échapper à toute question sur le régime d’Alexandre Loukachenko.

Aujourd’hui, la plupart des sportifs adoptent la même position que la tenniswoman biélorusse. Pour diverses raisons, ils préfèrent soit botter en touche quand on leur pose des questions trop sensibles et se réfugier derrière l’apolitisme théorique du sport, soit se contenter de prendre part à des causes idéologiquement neutres et populaires, le soutien affirmé d’un certain nombre d’entre eux au mouvement Black Lives Matter ayant suscité des polémiques.

Alors que se profilent dans moins d’un an les JO de Paris 2024, les organisateurs de l’événement savent qu’ils n’échapperont pas à la dimension politique du sport. Ils devront trancher quant à la présence de certains États tels que la Russie et de la Biélorussie, largement considérée comme étant co-belligérante dans la guerre russe en Ukraine. Lors des derniers JO d’hiver et d’été, la Russie s’était déjà vu interdire d’afficher son drapeau et de faire résonner son hymne, en raison du dopage systématique organisé par l’État. La situation actuelle est différente. Il n’est plus question de triche intrinsèque au sport, mais bien de savoir si un État peut être exclu en raison de sa politique intérieure et/ou extérieure.

La spécificité biélorusse

Le cas de la Biélorussie est plus complexe et plus épineux que celui de la Russie. Deux visions opposées de sa situation entrent en collision, causant un dilemme éthique sans précédent.

D’une part, le régime de Minsk est allié de la Russie dans la guerre en Ukraine et se retrouve donc au ban de la communauté internationale ; d’autre part, depuis les élections de 2020, un vent de contestation souffle dans le pays contre le président Loukachenko, une contestation soutenue par cette même communauté internationale et sujette à une terrible répression.

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Une première remarque s’impose : si par commodité, dans les deux cas nous présentons « la Biélorussie » comme l’auteur de ces deux situations, la réalité n’est pas aussi simple. Dans le cas de la guerre en Ukraine, par « Biélorussie », il faut comprendre le gouvernement et Loukachenko ; dans le cas des contestations, il s’agit de la population.

Ainsi, que faire ? Convient-il de considérer la Biélorussie seulement comme l’incarnation de son pouvoir politique ou bien faut-il mettre en avant son peuple, qui se bat pour défendre ses droits ?

Sanctionner le pouvoir biélorusse engagé dans la guerre en Ukraine

Le CIO a par le passé sanctionné des États en raison soit de leur politique extérieure (l’Allemagne et le Japon après la Seconde Guerre mondiale, les deux pays étant exclus des JO de Londres en 1948), soit de leur politique intérieure (cas de l’Afrique du Sud durant l’apartheid). De même, lors des guerres yougoslaves des années 1990, la Serbie et le Monténégro sont exclus des JO mais réintégrés de façon détournée en 1996 sous le nom de Yougoslavie.

Ces sanctions sont cohérentes au regard de la Charte olympique qui proclame que le sport olympique est le promoteur de la paix, de la fraternité et de valeurs humanistes entre les peuples.

Toutefois, depuis le début des années 2000, le CIO semble faire machine arrière et se figer dans une posture apolitique ferme, quitte à renier ses valeurs et fermer les yeux sur la réalité du monde.

Le CIO prétend ne pas faire de politique ; pourtant, défendre et diffuser les valeurs de la Charte est un acte politique au sens premier du terme. Le problème n’est-il pas plutôt que le CIO a abandonné ses valeurs fondamentales, happé par les sirènes mercantiles ? Faire de Pékin (2008) et de Sotchi (2014) des villes hôtes interroge sur la dimension humaniste des JO.

Et la Biélorussie ? Par son implication auprès de la Russie dans l’agression contre l’Ukraine, elle viole les valeurs de l’olympisme.

Néanmoins, la Biélorussie mérite-t-elle la même sanction que la Russie ? Elle est assurément son alliée mais, officiellement, elle n’a engagé aucune force militaire dans le conflit. Sans oublier que, nous l’avons évoqué, une bonne partie des Biélorusses ont osé défier ouvertement le régime ; et parmi eux, un certain nombre de sportifs.

Soutenir les sportifs engagés contre Loukachenko

Depuis la présidentielle manifestement truquée de 2020, la société civile biélorusse se bat pour faire tomber Loukachenko. Les sportifs ne restent pas sur le banc de touche et nombre d’entre eux participent aux manifestations au péril de leur vie. C’est par exemple le cas de la basketteuse Yelena Leuchanka qui passera quelque temps en détention pour son engagement.

Dès lors, ces sportifs sont des promoteurs des valeurs humanistes de l’olympisme. Pourquoi seraient-ils alors exclus ? D’autant que la France a apporté son soutien aux opposants à Loukachenko. Certains proposent que les athlètes participent aux JO sous la bannière neutre olympique. Cette solution est séduisante sur le papier, mais est-elle possible ?

La bannière neutre olympique réunit les athlètes dont le Comité national olympique (CNO) a été suspendu par le CIO. Afin de ne pas pénaliser les athlètes, ces derniers peuvent concourir, mais pas au nom de leur État. Seul le CIO a la prérogative de suspendre un CNO et donc d’autoriser certains athlètes à concourir sous bannière neutre. À l’heure actuelle, malgré de nombreuses polémiques depuis 2020, le CNO de Biélorussie est toujours en place. Il n’y a aucune raison pour refuser l’accès aux JO aux athlètes biélorusses sous leurs couleurs nationales.

Comment dans ce cas montrer d’une part son soutien aux sportifs engagés contre le pouvoir et d’autre part exprimer sa réprobation face à l’aide logistique de la Biélorussie à la Russie ? Le CIO a trouvé une parade : les athlètes participent sous leur bannière nationale mais le CNO n’est pas convié.

Cette solution paraît la plus équilibrée pour le CIO ; pour autant, la prise de risque est assez limitée. Depuis le début de la guerre en Ukraine, Loukachenko, toujours président du CNO de Biélorussie, est interdit de visa en France. Même si le CIO revient sur sa décision et l’invite il ne pourra entrer sur le territoire français et ne pourra donc pas utiliser les JO de Paris pour nourrir sa propagande.

Un dernier problème peut se poser au CIO. Selon les textes, pour pouvoir participer un sportif doit être inscrit par son CNO national (règle 40. Que faire si la Biélorussie décide d’évincer tous les sportifs opposés au régime au profit de ceux qui le soutiennent ou à tout le moins qui ne le critiquent pas ? La France semble anticiper cette problématique. En effet, le CIO a annoncé travailler avec l’État hôte à la mise en place d’un consulat olympique, service immatériel chargé de délivrer les visas à toute personne souhaitant participer aux JO (sportifs et public). Pour le moment, l’idée est trop récente pour se faire une opinion sur sa pertinence.

Sans vouloir conclure

Nous ne prendrons donc pas position sur la présence ou non des athlètes biélorusses aux JO de Paris. L’ouverture des Jeux est encore bien loin et beaucoup de choses peuvent se passer et changer la donne. Néanmoins, les JOP donnent peut-être une tendance pour la suite. L’Assemblée générale du Comité international paralympique a voté la réintégration de certains sportifs russes et biélorusses mais sous bannière neutre, malgré les contestations des Ukrainiens. Cette solution médiane propose un compromis entre l’apolitisme olympique et les réticences de la France.

Nous le voyons, le cas de la Biélorussie est bien plus complexe qu’il n’y paraît et il est difficile de prendre une position tranchée. Deux actualités majeures de l’État se percutent frontalement et donnent à voir deux visages de la Biélorussie.

Le cas de la Biélorussie réaffirme la politisation du sport, ni les sportifs ni le CIO ne peuvent y échapper. Et n’oublions pas que, si évincer Loukachenko, Poutine et leurs proches tant sportifs que politiques est un acte politique fort, cela leur offre un argument supplémentaire pour alimenter leur discours « anti-occident », les décisions du CIO, qui regroupe pourtant la quasi-totalité des pays de la planète, étant associées dans leur propagande à une volonté uniquement occidentale. Toutes ces décisions sont épineuses car parfois le revers de la médaille est bien plus funeste que celle-ci.

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