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Joe Biden en route vers la Maison Blanche ?

AAP/EPA/Tracie van Auken

À 77 ans, au crépuscule de sa vie, la troisième fois a été la bonne pour Joe Biden.

Il l’a emporté sur 24 autres aspirants à l’investiture démocrate, issus de tous les horizons politiques, et s’est imposé comme le candidat à la présidence de son parti, lequel se retrouve aujourd’hui dans une situation qui aurait paru impensable en janvier : uni de la gauche à la droite, par-delà les races et les croyances, l’âge et l’idéologie.

Biden est sorti vainqueur des primaires alors même qu’il a effectué une collecte de fonds médiocre, que son impact sur les réseaux sociaux est faible et qu’il ne dispose pas d’une base d’adeptes enthousiastes.

Les électeurs ont dû surmonter un certain scepticisme à son endroit avant d’accepter l’idée que c’est bien Joe Biden – cet homme qui a échoué dans ses candidatures à la Maison Blanche en 1988 et 2008 – qui était le démocrate le mieux à même de venir à bout de Donald Trump en novembre prochain.


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Sur le fond, Biden n’a pas changé depuis sa première tentative, il y a plus de trois décennies. Comme Richard Ben Cramer l’a rapporté dans le fameux récit qu’il a fait de la campagne de 1988, « What It Takes », Biden avait à l’époque compris ceci :

« Les Américains voulaient seulement de leur gouvernement un coup de main pour atteindre une vie meilleure pour leurs enfants, une aide pour se propulser un peu plus haut sur l’échelle sociale… C’était sa vie : celle d’un gamin de la classe moyenne qui avait reçu un peu d’aide en cours de route… et c’était tout ce qu’il avait à montrer. Mais c’est ce qui le reliait à un grand nombre d’électeurs du pays. C’est tout ce dont il avait besoin ! »

Vingt ans plus tard, voici Biden au poste de vice-président de l’administration Obama. J’ai pris des notes sur tous ses discours adressés aux démocrates de la Chambre des Représentants. Voici trois citations que j’avais notées dans les carnets qui ont servi de support au livre que j’ai co-écrit avec Bryan Marshall, The Committee, consacré aux mesures législatives historiques que l’administration Obama a cherché à faire adopter par le Congrès.

En 2010 :

« Nous devons aider la classe moyenne et les travailleurs américains, c’est-à-dire les gens qui nous ont envoyés ici. »

En 2012 :

« Il est absolument clair que les décisions que nous avons prises sont efficaces. Et les gens voient bien qu’elles sont efficaces. […] Le peuple américain comprend que les républicains ont rejeté la notion de compromis. Ce n’est pas de cette façon que le peuple américain veut que nous fonctionnions. […] Nous ne pouvons pas faire entendre raison aux républicains, mais le peuple américain s’en chargera en novembre.

Nous gagnerons tout simplement parce que notre position est la bonne. Cette année, l’Amérique aura sous les yeux une comparaison très parlante. C’est un contraste saisissant, saisissant : Oussama Ben Laden est mort et General Motors est vivant. »

Toute sa vie durant, Biden s’est voulu profondément lié à l’Amérique moyenne. Son message en 2020 est le même qu’en 1988. Et sa tâche est la même que lorsqu’il était sur le ticket de Barack Obama en 2008 : faire en sorte que l’Amérique se remette de la pire crise économique depuis la Grande Dépression.

À l’époque, c’est Biden qui avait été chargé de veiller à la mise en œuvre de l’American Recovery Act, la première loi importante adoptée après l’entrée en fonctions du duo Obama-Biden. Au bout du compte, cette loi a donné l’impulsion d’une décennie de croissance économique et de plein emploi. Biden s’est donc déjà trouvé aux commandes au moment où l’exécutif devait juguler une crise économique majeure, et s’efforcera de recommencer s’il est élu en novembre prochain.

Le président Barack Obama et le vice-président Joe Biden à la Maison Blanche en 2015. Jonathan Ernst/AAP/EPA

Une vice-présidente à choisir

À ce stade, nous savons seulement que le choix de Biden pour la vice-présidence s’orientera vers une femme. Le débat fait rage dans les éditoriaux des grands journaux et sur les réseaux sociaux : quelle candidate serait la mieux placée ? Aux yeux de Biden, qui connaît bien les exigences de cette fonction pour l’avoir occupée pendant huit ans, deux aspects sont absolument prépondérants.

Compte tenu de son âge, il est impératif que la vice-présidente soit pleinement qualifiée et capable d’assumer sans ciller la fonction présidentielle s’il venait à décéder pendant son mandat. C’est en cela que Sarah Palin a gravement nui à la candidature de John McCain en 2008.

D’autres personnalités médiocres, qu’elles soient insipides (Dan Quayle sous George H.W. Bush) ou accusées de délits (Spiro Agnew sous Richard Nixon) ont exercé la fonction de vice-président mais n’ont pas accédé à la présidence.

En revanche, certains vice-présidents, comme Walter Mondale sous Jimmy Carter, Al Gore sous Bill Clinton et Dick Cheney sous George W. Bush, sont devenus de véritables partenaires de gouvernance, dotés d’un réel pouvoir et de réelles responsabilités, réinventant la fonction. C’est ce type de vice-présidence qui inspire Biden.

Biden avait exigé d’Obama – et obtenu satisfaction – qu’il soit toujours la dernière personne dans la pièce avec le président avant que des décisions importantes ne soient prises, afin de pouvoir pleinement exprimer son avis, que le président se range à celui-ci ou non. Par exemple, (Obama n’a pas suivi les conseils de Biden](https://www.washingtonpost.com/politics/2020/01/08/bidens-claim-that-he-didnt-tell-obama-not-launch-bin-laden-raid/) lors du raid qui a tué Oussama Ben Laden).

Biden veut une vice-présidente qui puisse jouer auprès de lui le même rôle que celui qu’il a joué auprès d’Obama. L’avantage électoral qu’elle pourrait apporter au ticket démocrate en novembre prochain (la sénatrice du Minnesota Amy Klobuchar susciterait des votes en faveur de Biden dans le Midwest, et la sénatrice de Californie Kamala Harris mobiliserait les Afro-Américains), est aux yeux du candidat un aspect secondaire.

Le deuxième facteur est l’alchimie personnelle : Biden doit ressentir, dans sa relation avec sa colistière, la même intensité qu’il a connue avec Obama pendant leurs huit années de cohabitation. Ainsi, une femme parfaitement qualifiée et dotée d’une grande notoriété ne sera pas désignée si Biden estime que le duo qu’il formerait avec elle ne parviendrait pas à faire de grandes choses ensemble faute de convictions communes et de confiance réciproque.

Étant donné que depuis 1952 cinq vice-présidents ont fini par accéder à la présidence, le choix qu’effectuera Biden pourrait bien avoir des conséquences majeures sur l’avenir du Parti démocrate et du pays pendant les douze prochaines années.

Une élection à gagner

Posez la question à n’importe quel Américain qui s’intéresse à la vie politique et il vous dira que l’élection de novembre 2020 sera la plus importante de sa vie.

Depuis la Maison Blanche, le président Donald Trump utilise pleinement l’avantage que lui offre sa position actuelle pour marteler son message sur les ondes, comme nous l’avons particulièrement constaté depuis le début la pandémie de Covid-19.

Il dispose d’un réseau de chaînes de télévision qui est indéniablement devenu un média d’État. Il peut également s’appuyer sur une majorité républicaine au Sénat qui n’exercera aucun contrôle sur ses actions, quelles qu’elles soient, et ne fera rien pour protéger le scrutin contre l’ingérence russe en sa faveur, pas plus qu’elle ne s’opposera aux processus mis en œuvre afin d’empêcher une partie des électeurs de se rendre aux urnes.

Trump peut compter sur un taux de soutien de 90 % parmi les sympathisants républicains. Il a le pouvoir de déclarer des urgences nationales et de lancer des actions militaires pour défendre les États-Unis. Sa campagne est dotée d’une machine de guerre redoutablement efficace sur les réseaux sociaux. Ses dépenses de campagne dépasseront celles de Biden de bien plus de 100 millions de dollars. Sa base électorale ne s’est pas effritée – elle est solidement fixée aux alentours de 46 % des intentions de vote – malgré les coups de boutoir qu’ont portés au président certains médias qu’il qualifie d’« ennemis du peuple » et de propagateurs de « fake news » et malgré le discrédit que fait peser sur lui la procédure d’impeachment dont il a fait l’objet.

L’avalanche de mensonges de Trump va se poursuivre. Il mène campagne comme personne dans l’histoire américaine moderne, sans honte et sans relâche. Et s’il obtient suffisamment de voix dans les États clés qu’il a gagnés en 2016, il peut être réélu.


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La tâche de Biden est claire : récupérer les États traditionnellement acquis aux démocrates – Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin – que Trump a gagnés en 2016 à la faveur d’une explosion de colère populiste contre un establishment politique dont Hillary Clinton était l’une des incarnations. Pour cela, il devra résister aux accusations de conspiration et de corruption que Trump déchaîne contre lui en dénonçant le prétendu « Obamagate ».

À l’heure où ces lignes sont écrites, les sondages donnent Biden vainqueur du vote populaire avec une marge de trois à neuf points. Il est en tête dans trois États clés, dont la Floride, et a une chance de s’emparer de l’Arizona et de la Caroline du Nord. Trump, de son côté, vise le Minnesota, le New Hampshire et le Nouveau-Mexique. Le consensus aujourd’hui est que si l’élection avait lieu maintenant, Biden gagnerait.

Le scrutin de novembre apparaît de plus en plus comme un référendum sur la personne de Trump et sa gestion de la pandémie. La question est de savoir si les électeurs, confrontés à des difficultés désastreuses (plus de 16 millions d’Américains ont perdu leur assurance maladie en perdant leur emploi), feront confiance à Trump pour relancer l’économie.

Le message de Biden est simple : l’incapacité de Trump à prendre la mesure de la pandémie et à agir pour protéger le peuple américain a coûté des dizaines de milliers de vies qui auraient pu être sauvées. Biden, lui, a contribué à sortir la nation de la Grande Récession en 2009, et sait comment le faire à nouveau en 2021.

Un pays à guérir

Dans sa vidéo de lancement de campagne en avril 2019, Biden n’aurait pas pu être plus clair :

« J’ai écrit à l’époque de [la marche des nazis à Charlottesville en 2017] que nous étions engagés dans une bataille pour l’âme de cette nation. Eh bien, c’est encore plus vrai aujourd’hui. Je crois que l’Histoire se souviendra des quatre années de ce président et de tout ce qu’il représente comme d’un moment aberrant. Mais si nous laissons à Donald Trump la possibilité de rester huit ans à la Maison Blanche, il changera à jamais et fondamentalement le caractère de cette nation – ce que nous sommes – et je ne peux regarder cela se produire sans réagir. […] Les valeurs fondamentales de cette nation, notre position dans le monde, notre démocratie même, tout ce qui a fait l’Amérique, est en jeu. […] Plus important encore, nous devons nous rappeler qui nous sommes. Nous sommes l’Amérique. »

À la fin des primaires, l’objectif de la plupart des démocrates était évident : se débarrasser de Trump. Comme les électeurs voyaient des limites aux candidatures de Bernie Sanders et d’Elizabeth Warren, et comme Kamala Harris, Amy Klobuchar ou encore Pete Buttigieg ne pouvaient tout simplement pas atteindre la masse critique nécessaire pour l’emporter, ils ont conclu que c’était Biden, un homme bien connu de tous ses concitoyens, qui était le mieux placé pour réussir à libérer le pays de Trump.

Parce qu’eux aussi veulent avant tout que l’Amérique soit guérie.

This article was originally published in English

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