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Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, est accueilli par une foule lors de son arrivée à Arctic Bay, au Nunavut, le 1er août. Dans un contexte de gouvernement minoritaire, l'actuelle politique autochtone du gouvernement libéral risque fort de ne pas tenir ses promesses. La Presse Canadienne/Sean Kilpatrick

Justin Trudeau tiendra-t-il ses nouvelles - et nombreuses - promesses aux autochtones ?

Dans le système parlementaire canadien le Discours du Trône est l’occasion pour le gouvernement d’énoncer les priorités de la nouvelle législature. Ceci permet d’avoir un aperçu de la forme que prendront ses politiques publiques.

Le premier ministre Justin Trudeau observe la Gouverneure générale Julie Payette prononcer le discours du Trône dans la salle du Sénat, le 5 décembre à Ottawa. La Presse Canadienne/Fred Chartrand

La politique autochtone du gouvernement fédéral n’y fait pas exception. C’est donc sans surprise que nous apprenions, le 5 décembre, que les troupes du premier ministre Trudeau entendent « parcourir le chemin de la réconciliation ». La place réservée aux Autochtones dans ce Discours du Trône est plus enviable que dans le précédent, alors que le respect des droits autochtones avait été associé à la stimulation de la croissance économique et au respect de la diversité.

Quelques gains et des résultats décevants

La politique autochtone libérale de 2015 proposait trois engagements plutôt vagues, qui se sont traduits par des résultats plutôt décevants. En effet, rappelons que la Cour fédérale a annulé le 30 août 2018 l’approbation du projet Trans Mountain, en affirmant que les communautés autochtones n’avaient été suffisamment consultées et qu’une nouvelle contestation judiciaire de même nature a été lancée en juillet 2019.

Cela n’a pas empêché les libéraux de Justin Trudeau de donner le feu vert à l’expansion du réseau d’oléoducs.

Début de la construction du projet d’agrandissement Trans Mountain, à Acheson, en Alberta, le 3 décembre. La Cour fédérale avait pourtant annulé le 30 août 2018 l’approbation du projet, en affirmant que les communautés autochtones n’avaient été suffisamment consultées. La Presse Canadienne/Jason Franson

Aussi, le grand projet d’une relation renouvelée fondé sur un rapport de nation à nation s’est simplement soldé par une restructuration du ministère des Affaires autochtones essentiellement scindé en deux ministères plus ou moins distincte (soulignons que cette stratégie n’a rien de nouveau et qu’elle a été utilisée à plusieurs reprises depuis 1867).

Enfin, le gouvernement libéral a bien mis sur pied l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, mais n’a jamais mis de l’avant un plan réel de mise en œuvre des recommandations de la Commission vérité et réconciliation.

Le Discours du Trône de 2019 mentionne une série de réalisations du gouvernement libéral pendant son mandat, qu’il faut souligner : levée d’avis à long terme d’ébullition de l’eau, investissement dans l’éducation des jeunes, adoption de la loi sur les langues autochtones et reconnaissance de la compétence des Autochtones en matière de services à l’enfance.

Il s’agit de gains importants pour les Autochtones, mais cela les laisse loin des chemins ensoleillés que promettait le premier ministre au lendemain de son élection de 2015.

Neuf engagements louables… mais difficilement réalisables

En fait, la politique autochtone du gouvernement fédéral de 2019 s’inscrit en continuité avec celle de 2015. Le gouvernement entend poursuivre le travail de réconciliation en s’affirmant être partenaire des peuples autochtones. De plus, les engagements sont à la fois plus nombreux, mais aussi plus précis. On sent ici l’effet d’un gouvernement minoritaire.

Pour s’assurer de « passer le test du Discours du Trône » le gouvernement libéral devait s’assurer d’inclure des engagements qui font échos aux promesses des autres partis pendant la campagne, mais aussi qui sont réalisables rapidement : l’espérance de vie d’un gouvernement minoritaire au Canada étant de 18 à 24 mois.

La nouvelle politique fédérale autochtone compte donc neuf engagements : mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (afin de s’attirer l’appui du parti Vert) ; poursuivre les levées d’avis d’ébullition ; élaborer un projet de loi sur l’accès au soin de santé mentale ; mettre en œuvre les recommandations de la Commission vérité et réconciliation et de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ; combler le déficit d’infrastructures ; favoriser l’autonomie gouvernementale ; adopter des mesures de respect des traités ; indemniser équitablement et en temps opportun les Autochtones qui ont subi de mauvais traitements dans le système d’aide à l’enfance ; continuer à investir dans les priorités autochtones.

Voilà des engagements louables, qui auront surtout servi à chercher un appui relatif des autres partis, afin de maintenir le gouvernement en place.

Il y a en effet peu de chance que ces engagements se concrétisent réellement.

D’abord, parce que certains demeurent toujours vagues ou doivent être mis en œuvre dans un horizon d’une décennie. Le gouvernement perdra la confiance de la chambre et nous aurons été convoqués à de nouvelles élections générales bien avant que ne s’amorce la mise en œuvre de ces engagements.

La ministre Carolyn Bennett a récemment annoncé que c’est en juin prochain que le gouvernement fédéral dévoilera comment il entend donner suite aux recommandations de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, soit prêt d’un an après le dépôt de son rapport. Le parti libéral n’a jamais évoqué les recommandations de cette enquête pendant la campagne électorale.

De plus, même si le gouvernement fédéral affirme dans le Discours du Trône qu’il « veillera à ce que les peuples autochtones qui ont été blessés par le système d’aide à l’enfance soient indemnisés équitablement et en temps opportun », il faut souligner que le 4 octobre dernier, il a porté en appel le jugement du Tribunal canadien des droits de la personne l’obligeant à verser 40 000 dollars à chaque enfant autochtone ayant été pris en charge dans les systèmes de protection de la jeunesse.

À cette contestation s’ajoute également le fait que le gouvernement libéral n’a toujours pas donné suite à un jugement de la Cour suprême qui reconnaît les Métis et les Indiens non inscrits comme des « Indiens » au sens de la Loi sur les Indiens (ce qui augure mal pour un gouvernement qui affirme vouloir poursuivre sur le chemin de la réconciliation avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits).

Le premier ministre Justin Trudeau serre la main du président du Ralliement national des Métis, Clément Chartier, au Sommet annuel de la Couronne et de la nation métisse à Ottawa, le 13 juin. Le gouvernement libéral n’a toujours pas donné suite à un jugement de la Cour suprême qui reconnaît les Métis et les Indiens non inscrits comme des « Indiens » au sens de la Loi sur les Indiens. La Presse Canadienne/Sean Kilpatrick

Une Déclaration ratifiée, mais jamais reconnue

La promesse phare de cette nouvelle politique autochtone, soit mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, a très peu de chance de voir le jour avant les prochaines élections et ce, malgré l’annonce de la ministre Bennett à ce sujet.

Le Canada s’est toujours opposé à la mise en œuvre de cette Déclaration, même lorsqu’il l’a ratifiée en 2010. Il a souligné que cela ne signifiait pas que ces droits pouvaient être reconnus dans le droit canadien. Ottawa maintient toujours que, contrairement à un pacte ou à un traité, elle n’est pas exécutoire.

Dès 2016, la ministre Bennett a déclaré à l’ONU que le Canada appuyait sans réserve la Déclaration de l’ONU. Mais trois ans plus tard, rien n’a été fait. Considérant l’opposition des conservateurs à la mise en œuvre de cette Déclaration, il y a fort à parier que même si un projet de loi allant en ce sens était présenté au cours de la présente législature, ce dernier mourra au feuilleton.

C’est le lot d’un gouvernement minoritaire : il ne peut plus imposer ses priorités.

Dans ce contexte, l’actuelle politique autochtone du gouvernement libéral risque fort de se résumer en ces quelques mots shakespeariens : beaucoup de bruits pour rien.

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