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Miliciens chinois et officiers français dans le territoire français de Kouang Tchéou Wan. Carte postale des années 1920 ou 1930.

Kouang Tchéou Wan : la concession française qui voulait rivaliser avec Hongkong

La célébration du soixantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la République populaire de Chine (27 janvier 1964) invite à se retourner sur la longue histoire du lien entre les deux pays et, notamment, sur un épisode peu connu : celui de Kouang Tcheou Wan (KTW).

En 1899, la France signe un bail de 99 ans avec la Chine pour l’acquisition de ce territoire de 1 300 km2, peuplé d’environ 200 000 habitants, situé sur la péninsule de Leizhou, dans le sud de la Chine continentale. KTW aurait donc dû être restitué en 1998, peu après le retour de Hongkong dans le giron chinois. Mais il le fut dès 1946. Ce pan de l’histoire de la présence française en Chine est le symbole d’un échec de l’expansion française sur le continent asiatique.

L’implantation d’une concession française dans cette région est le fruit d’une politique chinoise de développement économique : au XIXe siècle, la Chine a décidé de céder des parties de son territoire à des puissances étrangères dans le but de faciliter son développement économique grâce aux investissements. C’est ainsi que la Russie (Lushunkou, 1897), la Prusse (Qingdao, 1898) ou encore le Royaume-Uni (Hongkong, 1898) se sont implantés en Chine.

Par le bail signé le 16 novembre 1899, Paris rattache administrativement ce territoire à l’Indochine, instaurée en 1887, et nomme sa capitale Fort-Bayard (aujourd’hui Zhanjiang), une petite ville cotière. La concession de Kouang Tchéou Wan s’est faite par le biais d’un échange de lettres et non pas via un traité, démontrant la grande prudence de la Chine, qui précise dans ces lettres que « cette location n’affectera pas les droits de souveraineté de la Chine sur les territoires concédés », c’est-à-dire que Pékin reprendra entièrement la main 99 ans plus tard.

Une concession aux enjeux stratégiques

À travers l’obtention de cette concession, la France avait pour objectif de rivaliser avec le développement économique des Britanniques installés à Hongkong un an plus tôt. Paul Doumer, alors gouverneur général de l’Indochine, a choisi cette baie où le riche sous-sol avait été prospecté par un explorateur français en 1896 mais qui avait été qualifiée dans les cartes britanniques de « baie sans espoir ».

Avant Kouang Tchéou Wa, la France a déjà possédé des concessions en Chine à l’image de Shanghai (1849-1946), Canton (1861-1946), Tientsin (1861-1946) ou encore Hankéou/Wuhan (1886-1943). Ces précédentes concessions interdisaient cependant la construction d’un port destiné à la marine française, pour ne pas concurrencer les installations existantes (à Canton ou Shanghai), d’où le choix de KTW, où il n’y avait pas de port industriel.

Depuis ce port, la France pouvait ainsi exporter des produits miniers, contrôler le trafic maritime en mer de Chine méridionale pour mieux exporter, éviter la contrebande et éliminer les pirates (quelques centaines d’après la presse de l’époque. Le phare de Fort-Bayard, construit en 1904, est emblématique de cette stratégie.

Carte postale avec le phare de Nao Tchéou. 1905. Wikimedia

Une chambre de commerce française est ouverte en 1930. La France organise administrativement le territoire en remplaçant les mandarins locaux, en recensant la population et les armes en circulation, en mettant en place un système d’impôts et de douane ainsi qu’un système judiciaire et un service de renseignement pour prévenir les risques de soulèvements et s’informer sur la piraterie. La présence française prend aussi une dimension militaire avec l’installation de trois bataillons d’infanterie de marine, une section d’artillerie, un bataillon de tirailleurs chinois et une milice chinoise.

Le faible développement et la fin de la présence française

KTW va se développer lentement et ne connaîtra pas le même succès économique que Hongkong. La population totale n’a pas réussi à dépasser les 200 000 habitants (dont seulement une centaine de Français). Dès le début, le développement est menacé par le manque de financement et l’hostilité des habitants. Les fonctionnaires ne reçoivent pas toujours leur paie, et l’approvisionnement en charbon des navires de passage est difficile tandis que les installations télégraphiques se font attendre.

KTW passe ainsi pour un « territoire oublié de la Marine » marqué par un certain isolement et un quotidien morose d’après Charles Broquet, médecin de la Marine stationné à Kouang Tchéou Wan. Les épidémies de peste et la dysenterie rendent la vie sur place difficile, d’autant que les pirates, qui procèdent notamment à des enlèvements, demeurent une menace constante.

En matière d’échanges économiques, les exportations sont majoritairement tournées vers Hongkong, qui n’impose pas de droits de douane, au détriment de l’Indochine. La distance joue aussi un rôle, KTW se trouvant à 22 heures de route de Hongkong et 48 heures de Haiphong, la ville côtière indochinoise la plus proche. KTW devient ainsi simplement un satellite de Hongkong. Le chiffre d’affaires du commerce est toutefois trois fois supérieur à celui de La Rochelle mais correspond seulement à un quart du trafic du port aquitain (les marchandises étant plus coûteuses et plus rares).

D’après la géographe Andrée Choveaux, l’agriculture a néanmoins fortement progressé durant la période. Avant l’arrivée de la France, la production locale de riz ne suffisait pas à la consommation locale et avait rendu indispensable le développement de nouvelles rizières afin de satisfaire les besoins grandissants.

Dans le même temps, la culture de la pomme de terre et du sel et la pêche ont aussi connu un développement alors que le coton, lui, n’a pu être développé en raison du climat et notamment des typhons fréquents. L’installation de sucreries, tanneries et briqueteries a complété l’industrie locale. Cependant, la Banque de l’Indochine, qui a alors le monopole de l’émission de la monnaie dans les colonies françaises d’Asie et du Pacifique, ne s’installe à KTW qu’à partir de 1925, signe d’une économie locale faible et peu intéressante.

Après la Première Guerre mondiale, la France souhaite mettre fin à son implantation en Chine et se recentrer sur l’Indochine, prenant conscience que KTW ne rivalisera pas avec Hongkong dont la population a doublé, atteignant plus de 600 000 habitants. En 1925, face à la pression impérialiste japonaise ayant des visées sur les côtes chinoises depuis plusieurs décennies, la France pense à transformer KTW en port de guerre. Cependant, les crédits ne suivent pas, notamment à cause de la crise économique des années 1930, et le projet ne voit jamais le jour.

En 1943, le territoire est occupé par le Japon. Le 18 août 1945, à Chongqing, la France et la République de Chine (le régime qui a précédé la RPC) signent un acte de rétrocession du territoire. Le drapeau français est retiré le 20 novembre 1945 et la ville de Fort-Bayard change de nom pour redevenir Zhanjiang. L’idée de rétrocession avait été évoquée dès 1922, mais la France militait pour une rétrocession générale de toutes les concessions étrangères, qualifiées en 1924 de « traités inégaux » par Sun Yat-sen, premier président de la République de Chine, soulignant leur caractère discriminatoire et déséquilibré. Une première concession britannique, Wei-Ha-Wei, avait fini par être rétrocédée en 1930 après 7 ans de négociations.

L’héritage français

En 1940, la France avait inauguré un monument en bronze en souvenir de l’escale de six mois à KTW du bateau Amphitrite en 1701-1702 lors de son second voyage en Chine. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de la présence française, si ce n’est quelques monuments chinois, dont certains symbolisent l’hostilité à l’ancien pouvoir colonial.

Monument à la résistance anti-française. Vmenkov/Wikimedia

Le quotidien des Français sur place a laissé une image ternie par le trafic d’absinthe et d’opium, dont KTW était une plaque tournante. Pour l’historien spécialiste du territoire Antoine Vanière, la concession a été gérée comme une colonie mais avec opacité et affairisme. La France avait formé localement des cadres et une élite francophone d’un millier de personnes, avec un lycée français d’enseignement bilingue. Cependant, la francophonie a rapidement chuté dans les années 1960, lorsque parler français était considéré comme une attitude impérialiste.

À l’inverse, pour Alfred Bonningue, fervent défenseur du colonialisme français, la présence française a été source de bienfaits avec des avancées dans les domaines sanitaires (hôpitaux), de l’instruction publique (collège Albert Sarraut) ou de la sécurité (paix, justice avec de nouveaux tribunaux et suppression des châtiments corporels). L’auteur avance une comparaison avec les investissements réalisés au Niger qui avait une population cinq fois plus importante, mais où les investissements français ont été inférieurs à 40 % de ceux réalisés à KTW.

L’héritage français se retrouve encore aujourd’hui à travers la religion catholique, pratiquée par environ 5 % de la population à Zhanjiang. Enfin, en 2014, la ville de Zhanjiang a construit une rue « à la française » sur le thème du voyage et des loisirs pour développer le tourisme. Cette rénovation s’inscrit dans une politique plus large qui promet de protéger et de rénover les anciens bâtiments de style français (police, église, chambre de commerce, phare), et de favoriser le développement du secteur de la mode.

Zhanjiang aujourd’hui

Après le départ des Français, Zhanjiang s’est développée rapidement : une base navale est construite en 1956 par le gouvernement chinois qui y abrite une flotte de guerre. Sa localisation stratégique sur les côtes de la mer de Chine a rapidement fait prospérer la ville, dont le port lui permet de commercer avec une centaine d’autres cités de Chine et d’ailleurs en Asie et dans le reste du monde.

Dès 1984, la Chine a ouvert la Zhanjiang Economic and Technological Development Zone, permettant ainsi à la ville de recevoir des investisseurs étrangers. Cette zone favorise aussi l’implantation d’entreprises de biotechnologies et d’informatique. Les secteurs des chantiers navals et des industries automobiles, électriques et textiles fleurissent, tout comme les raffineries de sucre, minoteries et usines chimiques. Le tourisme se développe aussi, avec l’inauguration de parcs d’attractions. Aujourd’hui, Zhanjiang entretient des relations étroites avec Taïwan, notamment dans le domaine agricole, renforçant ainsi son rôle stratégique.

La présence française à Kouang Tchéou Wan de la Chine reste un échec, pour ne pas parler de fiasco. Le parallèle avec Hongkong est frappant : de tailles presque comparables – chacune abrite aujourd’hui environ 7 millions d’habitants – les deux sites ont connu des destins complètement différents et la politique économique britannique, plus audacieuse, y est pour beaucoup.

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