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La biopiraterie, qu’est-ce que c’est ?

Le riz basmati s’est retrouvé à la fin des années 1990 au cœur d’une affaire de biopiraterie. Deshakalyan Chowdhury/AFP

La biopiraterie n’est pas un phénomène nouveau, mais il a refait parler de lui ces dernières années et encore tout récemment à mesure que les progrès de la génétique dévoilent le potentiel des bioressources. La biopiraterie désigne le fait pour certains chercheurs ou organismes de recherche de prendre à d’autres – des communautés isolées ou des habitants des pays pauvres le plus souvent – et ce sans autorisation officielle des ressources biologiques. Les cas de biopiraterie impliquent en général différents pays.

Un autre terme, moins chargé politiquement, est également employé : il s’agit de la « bioprospection ». Ce dernier est plus largement utilisé dans la littérature scientifique et par les équipes de recherche qui mènent leurs travaux dans le respect et la légalité. Les termes de « ressources biologiques » ou « bioressources » recouvrent une grande variété de choses : minéraux, semences, espèces animales et végétales, gènes de plantes ou d’animaux, produits chimiques, protéines et autres éléments qui peuvent être isolés pour être utilisés dans des procédés industriels, des médicaments, des parfums, etc. La biopiraterie est liée sur le plan historique à la colonisation, beaucoup des anciennes colonies ayant vu nombre de leurs bioressources leur échapper. On pensera ici au poivre, au sucre, au café, à la quinine, ou encore au caoutchouc qui ont eu, et ont encore, un impact économique mondial considérable.

Au cœur de cette problématique de la biopiraterie se trouve la question du droit de propriété. Car les brevets et autres marques déposées sont vivement contestés par les organisations internationales du commerce, certains groupes multinationaux et différents États. Si pendant de nombreuses années l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) a été utilisé pour prévenir et régler ce type de problèmes, la situation a dernièrement évolué.

Un cas de biopiraterie : le « basmati » de RiceTec

On peut revenir ici sur un cas de biopiraterie impliquant plusieurs pays avec l’affaire du brevet accordé en 1997 à RiceTec, une compagnie basée au Texas (et propriété de la famille royale du Lichenstein). RiceTec avait acquis des semences auprès d’une banque de gènes publique du Colorado qui conserve des graines du monde entier pour la sélection végétale et la recherche. Pendant plusieurs années, les ingénieurs en génétique de RiceTec ont mené des travaux pour mettre au point un riz long grain qui aurait les mêmes propriétés gustatives que le basmati et pourrait pousser aux États-Unis.

En 1994, RiceTec a déposé une demande de brevet pour ce riz auprès du USPTO, le bureau américain des brevets et marques de commerce, et a vu sa demande acceptée en 1997. Le brevet pour cette semence comportait une vingtaine de revendications qui concernaient directement le riz basmati, de la propagation des graines à la façon de le cuisiner, autant de caractéristiques régionales du riz basmati cultivé en Inde et au Pakistan. Lorsque des groupes de militants et les autorités indiennes ont découvert que RiceTec avait breveté le riz basmati, aliment de base par excellente en Inde, l’opposition n’a pas manqué de prendre de l’ampleur.

Les opposants au brevet ont dénoncé un cas de biopiraterie : pour eux, RiceTec allait tirer profit de ce brevet pour revendiquer la propriété de toutes les sortes de riz basmati, obligeant les agriculteurs indiens à payer des sommes exorbitantes pour se fournir en graines tout en forçant les consommateurs à n’acheter que du riz en provenance des États-Unis.

Ces accusations ne sont pas tout à fait exactes, dans la mesure où le droit des brevets américains ne s’applique qu’aux États-Unis. En outre, la souche développée par RiceTec a été conçue pour être cultivée en Amérique du Nord et non en Asie. À la suite de cette affaire, de nombreuses voix politiques et médiatiques indiennes ont réclamé la mise en place de structures juridiques capables de protéger les cultures et les produits d’exportations du pays, citant les cas du neem, du tamarin, du curcuma ou encore du thé Darjeeling, autant de plantes qui ont fait l’objet de dépôts de brevet par des entreprises étrangères pour l’exploitation lucrative de leurs qualités nutritives ou médicinales.

Le recours aux indications géographiques

Lors de cette affaire, la possibilité de faire valoir des indications géographiques, telles que prévues dans l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) aux États-Unis, a été évoquée ; mais l’Inde ne disposait pas à l’époque des structures juridiques adéquates pour y faire référence. En outre, le riz basmati n’est pas seulement cultivé en Inde, mais également au Pakistan.

Aux États-Unis, des avocats spécialisés dans le droit de propriété ont rapidement souligné qu’en l’absence de lois portant sur les indications géographiques, les autorités indiennes ne pouvaient attaquer rétroactivement RiceTec par ce biais. L’entreprise s’est néanmoins trouvée contrainte de revenir sur certaines de ses revendications : quatre années durant, la Fondation de recherche pour la science, la technologie et l’écologie (RFSTE) de Delhi ainsi que le gouvernement indien ont fait appel auprès de l’USPTO et 15 des 20 revendications du brevet déposé par RiceTec ont été annulées. Il a en outre été décidé que RiceTec ne pourrait utiliser le mot « basmati » pour ses variétés de riz. Depuis 2001, nombre de gouvernements ont modifié leurs cadres juridiques pour mieux protéger leurs ressources biologiques.

On le voit, la biopiraterie est un problème sérieux qui risque de durer. À l’heure du changement climatique, nombre de compagnies agroalimentaires travaillent sur des brevets relatifs à des semences résistantes à la sécheresse, à la chaleur ou au sel tandis que des chercheurs tentent de rassembler les connaissances disponibles sur ces mêmes gènes pour les partager librement afin d’éviter que des caractéristiques essentielles ne soient brevetées. La biopiraterie est ainsi devenue un enjeu à la fois politique, social et économique.

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