Il semble assez facilement envisageable d’observer les impacts différenciés de la crise selon les secteurs d’activité. Cela apparaît de façon assez immédiate pour ceux ayant connu des fermetures comme les restaurants. On peut, pour d’autres, identifier une baisse durable de la demande, par exemple en ce qui concerne le tourisme d’affaires ou l’aéronautique.
L’exercice s’avère cependant beaucoup moins aisé en ce qui concerne les territoires. De nouvelles fractures géographiques ont-elles fait leur apparition ? Telle est la question que le gouvernement nous posait au mois de janvier dans l’objectif d’ajuster les politiques publiques de soutien aux entreprises. Cette interrogation a fait l’objet du rapport remis au mois de juin au premier ministre Jean Castex.
Inspiré par nos travaux portant sur l’importance des variables territoriales sur le coût des fermetures durant la pandémie aux États-Unis, il met en évidence de fortes disparités dans l’Hexagone. Fait surprenant, elles n’ont pas forcément à voir avec des fragilités préexistantes à la crise.
Impact territorialisé et ressenti
En six mois de mission, nous nous sommes déplacés dans les treize régions de France métropolitaine et avons mobilisé des données de l’Insee et de la Dares dans des calculs statistiques et économétriques. Il s’agissait de distinguer ce qui, dans la baisse d’activité, provenait de la spécialisation industrielle des territoires et des facteurs purement locaux qui ne sont pas spécifiques à l’industrie.
En utilisant pour indicateur la baisse de la masse salariale, une hétérogénéité saisissante apparaît. Les 10 % des bassins d’emplois qui ont été les plus touchés par la crise ont ainsi connu une baisse d’activité qui est deux fois et demie supérieure à la moyenne.
Cet impact différencié de la crise d’un territoire à l’autre ne se résume pas à des différences sectorielles. Autrement dit, une entreprise d’un même secteur a connu une baisse d’activité très différente selon qu’elle est localisée à Roissy, dans la montagne, dans le Maine-et-Loire ou en Haute-Loire.
Ceci se reflète dans le ressenti des habitants. En France, il n’existe pas d’enquête qui permette de le mesurer en continu et selon des zones géographiques précises. Pour l’observer, nous avons téléchargé tout au long de la crise quelque 20 millions de messages Twitter géolocalisés dont nous avons interprété le caractère positif ou négatif à partir de la nature des emojis ou de la connotation des mots qui étaient utilisés.
Globalement, l’optimisme baisse très fortement au moment des confinements et des couvre-feux au niveau national. Mais nous avons aussi pu vérifier aussi qu’à un niveau très local, celui-ci avait particulièrement baissé pendant les 12 premiers mois de la crise à Roissy, dans la montagne, à Toulouse… c’est-à-dire dans des zones particulièrement touchées par la crise économique.
Une crise aveugle aux dynamiques préexistantes
Nous avons ensuite comparé cette géographie de la baisse d’activité avec la géographie des fragilités structurelles que l’on détectait en France. Celles-ci s’étaient notamment manifestées au moment de la crise des « gilets jaunes ».
Un effet assez inattendu a pu être mis en évidence. La géographie de la baisse d’activité ne recouvre pas la géographie des fragilités structurelles. Autrement dit, la carte de la crise économique ne se superpose pas avec celle des « gilets jaunes », du chômage ou de la pauvreté. La crise a touché de manière équivalente des territoires qui étaient assez prospères avant la crise (par exemple, les zones de montagnes) et des territoires qui étaient plus fragiles.
Par exemple, parmi les 300 bassins d’emplois français, les deux qui ont connu la plus forte baisse d’activité entre mars 2020 et février 2021, sont un bassin d’emplois situé à la montagne (la Tarentaise) et un bassin d’emploi de la région parisienne (Roissy). Or, avant la crise, le premier bassin s’avérait prospère et l’autre plutôt fragile.
Il n’y a ainsi pas vraiment de corrélation entre l’impact de la crise et les fragilités d’avant. La crise a touché aveuglément des territoires dynamiques et atones.
L’amorce d’un exode urbain
Il semble par ailleurs que les grandes villes soient les grandes perdantes de la crise, alors que les tendances précédentes étaient à la métropolisation. La baisse d’activité y a été près de deux fois supérieure à celle que l’on a observée dans tous les autres territoires.
L’écart entre les grandes métropoles et le reste du territoire s’est même accru au moment de la première levée des restrictions à l’été 2020. Elle s’est accompagnée de l’amorce d’un exode urbain très marqué en provenance du cœur de ses grandes métropoles et à destination des départements périphériques plus ruraux et moins denses.
Par exemple à Paris, entre le 2e semestre 2019 et le 2e semestre 2020, les acquisitions par des Parisiens de maisons dans un autre département ont globalement progressé de plus de 30 %, avec des pics dans des départements comme l’Eure (plus 150 %), le Loiret (plus 150 %), l’Orne (plus de 100 %), et l’Eure-et-Loir (plus de 70 %).
Le même phénomène se produit autour de Lyon, vers les départements de l’Ain, de l’Isère, ou de la Loire. Idem pour les départements du Var et du Vaucluse qui accueillent des habitants en provenance de Marseille, en provenance de Toulouse pour les départements du Gers et de l’Aude, et en provenance de Nantes pour les départements du Maine-et-Loire et de la Vendée.
C’est aussi dans cette mesure que la crise actuelle semble devoir aussi être l’occasion d’interroger en profondeurs les modalités d’intervention de l’État en soutien des territoires fragiles.
Pour aller plus loin : Cliquez ici pour lire le rapport Barrot remis au premier ministre, et ici pour écouter l'interview accordée par l'auteur au site Knowledge@HEC (en anglais).