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La Chine, première puissance sportive de demain ?

Un homme porte le drapeau chinois dans un stade, suivi par une foule de personnes agitant des drapeaux chinois miniatures.
La délégation chinoise durant la cérémonie d’ouverture des JO de Pékin, en 2008. Fabrice Coffrini/AFP

Critiquée de toutes parts – à la fois pour le sort qu’elle réserve aux Ouïghours, pour sa remise au pas de Hongkong, pour la « dictature numérique » qu’elle a instaurée à l’intérieur de ses frontières, ou encore pour l’inquiétante affaire de la tenniswoman Peng Shuai –, la République populaire de Chine s’apprête à accueillir à Pékin les JO d’hiver dans une ambiance délétère.

On sait déjà que ces Jeux seront boycottés diplomatiquement – pas sportivement – par les États-Unis, l’Australie, le Royaume-Uni et le Canada. D’autres pays pourraient leur emboîter le pas. Malgré ces contrariétés, la Chine fait pourtant du sport un élément essentiel de son pouvoir.

Le pays a érigé tout au long du XXe siècle un système politico-économico-sportif total dont les objectifs à long terme sont d’élever la performance sportive à son plus haut niveau pour devenir la première puissance sportive mondiale d’ici à 2049, date du centenaire de la révolution maoïste.

Comment la Chine est-elle devenue une sérieuse candidate au titre de première puissance sportive de la planète ?

Le sport pour s’émanciper du joug bourgeois

L’histoire du sport moderne en Chine est avant tout celle d’une revanche. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, le mouvement sportif chinois est contrôlé par les États-Unis, par l’intermédiaire de la Young Men’s Christian Association (YMCA), qui organise les programmes sportifs scolaires et les compétitions locales.

Grâce au sport, la YMCA cherche avant tout à « évangéliser » et « civiliser » « l’homme malade de l’Asie ». Mais avec le début de la guerre civile chinoise en 1927, les critiques contre l’impérialisme américain se font de plus en plus présentes.

Mao Zedong s’empare politiquement du domaine du sport afin d’en faire un argument pour lier force nationale et éducation physique. L’objectif est de redresser le corps de la nation chinoise par le prisme du corps de la population. Entre 1927 et 1949, l’éducation physique et la discipline militaire font partie intégrante du programme du Parti communiste chinois.

Dès le lendemain de la révolution de 1949, Mao appelle « à développer le sport et la culture physique et à renforcer la condition physique du peuple ». Les autorités chinoises vont même plus loin. Si le sport est une arme de « l’anti-féodalisme », il est également une arme de « l’anti-impérialisme » : il s’oppose au modèle sportif américain jugé bourgeois.

Des athlètes chinois défilent avec un portrait de Mao sur la place Tiananmen le 1ᵉʳ octobre 1955. Xinhua/AFP

Afin de s’en émanciper, Mao décide de prendre le meilleur des modèles sportifs des autres pays communistes, dont l’URSS est la tête de gondole. Dès lors, la Chine multiplie les échanges par l’intermédiaire de « tournées de bonne volonté » à l’intérieur et à l’extérieur de son territoire avec les « pays frères ».

Le système sportif chinois s’inspire grandement du modèle soviétique : les manuels sportifs de l’URSS sont traduits en mandarin, le système politico-économico-sportif chinois devient vertical et public, les associations et syndicats sportifs sont créés, l’apparition de classements favorise l’émergence des athlètes de haut niveau, qui disposent désormais de la possibilité de s’entraîner à temps plein dans des structures idoines.

L’affaire des deux Chine : exister à l’échelle internationale

Parallèlement, la RPC cherche à intégrer les grandes instances du sport mondial pour pouvoir exister sur la scène internationale. Dès 1952, Mao Zedong souhaite rejoindre le CIO pour pouvoir participer aux JO d’Helsinki.

Problème, la Chine y est déjà représentée depuis 1922 par la République de Chine (ROC) et son Comité national olympique chinois (CNO) pré-existant à la révolution maoïste. En 1951, 19 des 25 membres du CNO chinois s’envolent pour Taïwan et participent à la création de facto de l’État de Taïwan. Ils demandent officiellement au CIO de prendre une position définitive.

Dans le même temps, la RPC formule la demande de participation aux JO. Cela a pour effet de créer deux entités politiques qui revendiquent un même territoire : c’est l’affaire des deux Chine. Pris entre deux feux, le CIO décide d’admettre des athlètes des deux territoires et d’éluder la question du statut de ces deux pays. La RPC envoie 38 hommes et 2 femmes à Helsinki. C’est la première fois de l’histoire olympique que le drapeau de la RPC flotte lors d’un événement sportif international. En réponse, Taïwan refuse d’envoyer ses représentants.

Deux ans plus tard, en 1954, le CIO est la première grande organisation internationale à officiellement reconnaître la RPC et son « Comité olympique de la République populaire de Chine ». Mais il continue aussi à reconnaître la Chine nationaliste présente à Taipei. Ainsi les deux délégations sont-elles présentes lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Melbourne en 1956.

En voyant le drapeau de la ROC flotter sur la ville australienne, Mao demande à sa délégation d’athlètes de repartir à Pékin et de quitter les JO. La Chine est donc exclue du mouvement olympique en 1958, faute de solution.

Le temps de l’ouverture

À partir des années 1960, les dirigeants chinois font du sport un élément de la diplomatie du pays et le ping-pong est proclamé sport national. En 1959, le pongiste Rong Guotuan remporte les championnats du monde de tennis de table et offre à la RPC son premier sacre sportif de premier plan. Pour Mao, cette victoire est « une arme nucléaire spirituelle » : « La balle de ping-pong représente la tête de l’ennemi capitaliste », la frapper avec la « raquette socialiste » permet de marquer « des points pour la mère patrie ».

Il s’agit bien entendu de renforcer l’image de la Chine dans le monde, dans un contexte d’isolement vis-à-vis des puissances occidentales et de tensions croissantes avec l’URSS.

Le sport en Chine selon Mao, Archive INA du 2 septembre 1974.

Si le sport permet au pouvoir chinois de signifier une intention négative, il devient un vecteur diplomatique positif à partir des années 1970. En effet, entre 1971 et 1972, le slogan chinois « L’amitié d’abord, la compétition après » se traduit par l’émergence de la célèbre « diplomatie du ping-pong », qui voit des échanges de pongistes américains et chinois participer au renouveau des relations entre les deux pays.

Suite aux réformes de Deng Xiaoping, après la mort de Mao, le système sportif chinois s’inspire des moyens occidentaux pour croître.

En 1979, lors d’une conférence à Pékin, il est décidé que la politique sportive, qui s’inscrivait jusqu’ici dans le cadre de la lutte des classes, devait être abolie au profit d’une nouvelle politique sportive destinée à servir les « Quatre modernisations ». L’objectif est de s’éloigner de la Révolution culturelle et de ses conséquences : le déclin du sport de haut niveau au profit de l’hygiénisation du peuple.

En 1980, Wang Meng, le ministre des Sports, affirme que la Chine est une puissance pauvre qui doit concentrer ses efforts sur le sport de haut niveau afin d’améliorer l’image du pays dans le monde et augmenter la fierté et le patriotisme chinois. Le sport doit désormais servir à renforcer la fierté nationale à travers les victoires sur d’autres nations. Le nouveau slogan, « Compétition ! », est sans équivoque.

Signe de l’importance du sport pour le PCC, et alors que le CIO continue de reconnaître Taïwan, la Chine réintègre le CIO en 1979 et envoie pour la première fois depuis 1952 une délégation de 24 athlètes aux JO d’hiver de 1980 à Lake Placid. La même année, le PCC juge que l’invasion soviétique en Afghanistan met en péril les frontières chinoises et s’allie avec les États-Unis pour boycotter les JO de Moscou.

Quatre ans plus tard, en 1984, 216 athlètes chinois participent aux JO de Los Angeles, alors que l’URSS refuse de s’y rendre. Principale représentante du monde communiste, la Chine finit à la quatrième place en remportant pas moins de 32 médailles, dont 15 en or. À leur retour au pays, les athlètes reçoivent un message officiel du Conseil d’État : « Vous avez réalisé de grands succès aux Jeux olympiques. La victoire aux JO va aider à construire la confiance et l’esprit chinois ».

L’engouement est tel que les médias de la RPC parlent alors d’« événement historique » et de « nouveau chapitre dans l’émergence de la Chine en tant que grande puissance du sport ».

Le « Juguo Tizhi » : tout pour le sport de haut niveau

C’est le début de la mutation du système sportif chinois concernant le haut niveau. L’objectif ? « Sportiviser » l’ensemble de la population chinoise dès le plus jeune âge afin de performer sur la scène internationale.

Pour ce faire, le budget dédié au sport est augmenté afin d’attirer les experts du sport international. Au lendemain des JO de Los Angeles, le slogan « Développer l’élite du sport et faire de la Chine une superpuissance dans le monde » a pignon sur rue.

Il devient clair pour les dirigeants chinois que le sport sera le reflet des échecs et des succès du régime à l’étranger. C’est ainsi que le PCC adopte un projet de réforme du système sportif le 15 avril 1986. Dès lors, le « Juguo Tizhi », à savoir « le soutien de l’ensemble du pays au système sportif de haut niveau », devient la norme en Chine.

Concrètement, un système pyramidal à trois niveaux est mis en place afin de créer et faire émerger le champion de la masse des sportifs.

Le premier niveau est constitué de la masse des pratiquants présents dans les écoles primaires et secondaires. Dès leur plus jeune âge, les enfants et adolescents sont chaperonnés par une commission locale des sports qui les repère, les teste et les entraîne « scientifiquement ». L’État opère un écrémage chez les enfants entre 6 et 9 ans, suite à quoi les meilleurs sont envoyés dans des écoles du sport spécialisées où ils s’entraîneront 10 heures par jour. Le programme sportif est composé d’un savant mélange du meilleur des méthodes d’entraînement soviétique et capitaliste.

Ensuite, au deuxième niveau, les athlètes sont répartis dans des équipes de province et des clubs professionnels pour faire leurs classes. Dès lors, l’objectif est de tirer le meilleur de chacun d’eux.

Enfin, et c’est le troisième niveau, les meilleurs acquièrent le droit d’intégrer les équipes nationales puis, si leur niveau le permet, l’équipe olympique. Grâce à ce système, qui perdure encore aujourd’hui, c’est toute la société chinoise qui est mise en branle pour performer vite et bien.

L’entraînement des jeunes gymnastes chinoises, Archive INA du 11 octobre 2004.

Le temps des records et des polémiques

En dépit de ce renouveau systémique, les JO de 1988 sont un relatif échec compte tenu du retour des Soviétiques et des autres pays du bloc communiste. La RPC n’obtient que la onzième place au classement des médailles.

Dans la foulée, quelques critiques commencent à apparaître à l’égard du « Juguo Tizhi ». Certaines pointent notamment du doigt l’incapacité pour les athlètes à prendre du plaisir dans un contexte d’ultra-performance, le fait que l’omniprésence de l’État empêche une certaine forme d’innovation ou encore la mauvaise santé des athlètes de haut niveau.

De manière générale, les acteurs du mouvement sportif chinois – managers, athlètes et entraîneurs – font tout pour améliorer le niveau de performance. Les sportifs de haut niveau sont soumis par les autorités à un régime semi-militaire strict. Les campus sportifs sont organisés de façon à améliorer au maximum les performances et les lieux de vie des athlètes sont situés sur ceux-ci, les séparant ainsi de la vie civile.

À l’intérieur, les hommes et les femmes vivent séparément et n’ont pas le droit d’avoir de relations intimes. Il est d’ailleurs vivement conseillé aux athlètes de ne pas tomber amoureux ou de fonder une famille.

En outre, certaines méthodes illicites sont également employées pour améliorer les performances des sportifs. Parfois, les autorités mentent sur l’âge des athlètes qu’ils chapeautent afin qu’ils puissent se confronter rapidement à leurs pairs plus âgés et ainsi connaître le haut niveau plus tôt. Par ailleurs, l’usage de produits dopants devient courant en Chine dans les années 1980. Herbes, décoctions traditionnelles, ou encore « pilules miracles », les techniques sont aussi variées qu’originales.

Si la Chine remporte les Jeux asiatiques de Séoul en 1986, 11 athlètes sont testés positifs dans la foulée, laissant planer l’ombre d’un doute sur l’ensemble des performances chinoises. Pour le ministère des Sports chinois, il est hors de question que l’image du pays en pâtisse à l’étranger. En 1989, après quelques balbutiements, le premier centre de test antidopage chinois est reconnu par le CIO et les autorités promeuvent les « trois sérieux principes » : tests antidopage sérieux, interdiction de l’usage de produits dopants dans le sport et punitions pour ceux qui utilisent ces produits. Mais, dans un premier temps, cela ne suffira pas.

En 1993, « l’armée de Ma » – du nom de l’entraîneur chinois Ma Junren – fait sensation aux championnats du monde d’athlétisme de Stuttgart en remportant victoire sur victoire et en pulvérisant record sur record. Symbole du succès du « Juguo Tizhi », les Chinoises Qu Yunxia, Zhang Linli et Zhang Lirong réalisent un triplé retentissant en finale du 3000 mètres féminin. Mais épuisées par la dureté des conditions qui leur sont imposées, neuf femmes de l’équipe écrivent une lettre (révélée seulement en 2015) où elles dénoncent les pratiques de leur entraîneur, qui les forçait à prendre des produits dopants.

En dépit de ces déclarations, le sport chinois continue sa marche en avant.

La finale du triplé chinois aux Mondiaux d’athlétisme de Stuttgart en 1993.

Une montée en puissance irrésistible ?

Il faut attendre les années 1990 et la chute de l’URSS pour voir la Chine grappiller année après année des places au classement olympique des médailles. Elle est quatrième en 1992 et 1996 puis franchit un cap en 2000, finissant troisième, avant d’atteindre la deuxième place en 2004. À mesure que la Russie baisse le pied, la Chine se positionne comme une puissance sportive incontournable.

Le 13 juillet 2001, le CIO attribue l’organisation des JO d’été 2008 à Pékin. Pour les autorités chinoises, la victoire est totale. Un sondage d’opinion à l’époque montre que 96 % de la population chinoise soutient cette initiative. C’est fait, la Chine va accueillir les JO pour la première fois de son histoire. Mieux : elle va même les remporter au classement des médailles.

En dépit de cet indéniable succès, l’événement est marqué par de nombreuses protestations à l’égard du régime chinois. La chancelière allemande Angela Merkel, le premier ministre britannique Gordon Brown, ou encore le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-Moon, décident de ne pas assister à la cérémonie d’ouverture pour dénoncer les atteintes de Pékin aux droits humains. Dès lors, l’événement sportif est un projecteur qui éclaire la RDC pour le meilleur et pour le pire.

Depuis, le sport reste un enjeu majeur pour la Chine, qui cherche à atteindre le premier rang des superpuissances sportives. Pourtant, les boycotts annoncés aux JO d’hiver de Pékin 2022 laissent penser que les puissances occidentales ne la laisseront pas faire. À suivre…

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