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La cigarette électronique encourage le tabagisme chez les ados

Vapoter, un usage en augmentation chez les adolescents. Shutterstock

Les adolescents qui n’étaient pas fumeurs risquent-ils de le devenir, après avoir essayé la cigarette électronique ? Sur cette question controversée, une étude d’une grande ampleur, publiée le 2 janvier dans la revue JAMA Pediatrics, fait pencher la balance du côté du oui. Menée auprès de 10 400 adolescents américains non-fumeurs, âgés de 12 à 17 ans, elle montre que ceux qui s’initient à la cigarette électronique ont un risque deux à trois fois plus important de fumer des cigarettes classiques un an plus tard.

En France, cette question de santé publique se double d’enjeux politiques. Le candidat Emmanuel Macron, révélant son programme santé, le 6 janvier 2017, avait fixé comme « objectif national que la génération qui naît aujourd’hui soit une génération sans tabac ». Avant lui, Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, avait lancé son Programme national de réduction du tabagisme, en 2014, avec un axe prioritaire : encadrer la consommation de cigarettes électroniques.

L’étude réalisée par notre équipe laisse penser que les jeunes Français ne sont pas différents des adolescents américains. Publiée dans la revue Public Health en mars 2017, notre enquête a été menée auprès de 666 adolescents, âgés de 15 à 18 ans, dans trois lycées de Lille. 75 % d’entre eux sont d’accord pour dire que vapoter s’assimile à fumer. Et quand on leur soumet la proposition « la cigarette électronique est un bon remède pour aider à l’arrêt du tabac », seulement 30 % d’entre eux répondent « d’accord ».

La cigarette électronique serait-elle, chez les jeunes, une manière de fumer comme une autre ? Si l’on veut réussir à les dissuader de vapoter, en tout cas, le préalable est de mieux cerner leurs motivations à le faire.

L’interdiction du vapotage, légitime aux yeux des ados

Depuis le 1er octobre 2017, il est interdit de vapoter dans certains lieux publics, conformément au décret du 27 avril 2017. Ainsi, il n’est plus possible de vapoter dans les établissements scolaires (école, collège, lycée), ni dans les établissements destinés à l’accueil, à la formation et à l’hébergement du public, ni dans les moyens de transports collectifs fermés (métro, trains, bus), ni dans les véhicules en présence d’enfants de moins de 18 ans. En revanche, il n’est pas interdit de vapoter dans les restaurants ou les bars.

Ces interdictions sont légitimes aux yeux des ados. Interrogés avant la publication du décret, les jeunes ayant participé à notre enquête étaient dans leur immense majorité (90 %) d’accord avec l’interdiction de la cigarette électronique au collège et au lycée. 85 % d’entre eux étaient d’accord avec son interdiction dans les transports collectifs fermés.

Enfin, 82 % d’entre eux pensaient qu’elle devrait être interdite dans les lieux publics ouverts comme les restaurants, les bars, ainsi que les centres commerciaux. Signe que dans leur esprit, la cigarette électronique est bien l’équivalent de la cigarette tout court.

Un usage en augmentation chez les jeunes français

L’usage de la cigarette électronique augmente rapidement chez les jeunes. En 2012, seuls 8 % des adolescents fumeurs l’avaient déjà testée, dans l’enquête Paris sans tabac menée auprès de collégiens et lycéens parisiens. Deux ans plus tard, plus de 90 % des adolescents fumeurs l’avaient expérimentée !

Si la cigarette électronique est reconnue comme un moyen utile chez les adultes de rompre avec l’addiction au tabac, son rôle auprès des adolescents est très discuté. Une étude publiée l’an dernier dans la revue Addictive Behavior a suggéré que la cigarette électronique n’entraîne pas de passage vers le tabagisme. Mais elle portait sur un échantillon limité de 3 657 étudiants américains. L’étude publiée dans JAMA Pediatrics, citée plus haut, montre au contraire que l’e-cigarette est une porte d’entrée vers le tabagisme. Et cela, sur une population trois fois plus importante.

D’autres scientifiques ont trouvé une relation positive entre l’usage de l’e-cigarette et la consommation de tabac chez les jeunes, notamment dans une étude qualitative menée en Suisse et publiée en 2015, ou une étude menée aux États-Unis et publiée en 2017.

Dans notre enquête réalisée dans trois lycées de Lille, plus d'un fumeur de cigarettes classiques sur deux était aussi un vapoteur. shutterstock

Dans notre enquête, parmi les 40 % d’adolescents fumeurs de cigarettes classiques, 75 % avaient déjà essayé le vapotage et 56 % vapotaient occasionnellement ou régulièrement. L’usage de la cigarette électronique apparaîtrait donc chez eux comme un complément plutôt qu’un substitut à la cigarette classique.

Un moyen de s’intégrer dans le groupe des pairs

Si l’on admet que la cigarette électronique pousse des jeunes à devenir fumeurs, l’étape suivante est de comprendre pourquoi ils s’y mettent, afin de l’éviter. Des chercheurs en psychologie sociale ont montré, dès 2001, le lien existant entre la consommation de cigarettes classiques et le degré d’intégration de l’adolescent dans son groupe de pairs. La palme de la plus forte consommation de cigarettes est détenue par l’adolescent intégré dans un groupe où fumer représente la pratique usuelle. Les chercheurs expliquent leurs résultats par le fait que les adolescents intégrés et donc populaires exprimeraient une volonté forte de maintenir cette position en répondant aux attentes de leur groupe de référence via la cigarette.

Notre étude montre le même effet avec la cigarette électronique. Les adolescents interrogés vapotent pour acquérir une position stratégique au sein de leur groupe de pairs. Ainsi, le sentiment de solitude et le fait d’être influençable sont deux facteurs qui encouragent l’expérimentation de l’e-cigarette. Chez les garçons, cet usage répond à un besoin d’exercer un leadership d’opinion, autrement dit de gagner en pouvoir d’influence. Chez les filles, il répond plutôt au besoin d’obtenir le soutien de leurs pairs.

Aussi, si l’on veut, comme le président de la République Emmanuel Macron, que la nouvelle génération soit une génération sans tabac, il faudrait imaginer des actions de prévention prenant en compte les différences entre les genres. Et éviter que la cigarette électronique vienne à terme remplacer, chez les jeunes, une cigarette classique devenue ringarde.

L’industriel du tabac Philip Morris aurait-il anticipé ce basculement ? Le fabricant de Marlboro a annoncé le 2 janvier, par des pages de publicité dans des journaux britanniques, qu’il voulait arrêter de vendre des cigarettes au Royaume-Uni. Un changement de stratégie qui se ferait au profit de produits alternatifs comme… la cigarette électronique.


Pierre-françois Dancoine, médecin généraliste, tabacologue à l’Hôpital de Wattrelos (Nord) et à l’hôpital privé la Louvière à Lille (Ramsay Générale de Santé), est co-auteur de l’étude parue dans la revue Public Health. Il a participé à la rédaction de cet article.

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