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La France désenchantée ?

Brigitte et Emmanuel Macron qui se prend la tête entre les mains
Le président Emmanuel Macron et son épouse Brigitte se rendent au Touquet pour voter lors du premier tour des élections législatives le 12 juin 2022. Ludovic Marin/AFP

Ces élections législatives pointent un fait clair : les urnes ont soif, l’assèchement de la vie politique n’épargne personne ou presque.

52,5 % d’abstention pour ce premier tour des législatives, plus de 12 millions d’électeurs perdus dans la campagne, soit 35,2 % de chute, deux mois après le premier tour de l’élection présidentielle. À la petite exception près de LR, qui remonte de 700 000 voix son faible score d’avril, toutes les forces sont atteintes par cette hémorragie exceptionnelle.

La Nupes espérait redonner souffle à la gauche enfin unie : elle se voit privée de 5 millions des voix qui s’étaient portées sur les candidats séparés au mois d’avril, soit 45,7 %. Dans le même temps, la majorité présidentielle perd 3,9 millions des suffrages recueillis par Emmanuel Macron (39,8 %), et le RN 3,8 millions (47,7 %).

Le piège du ressenti

Cette pâleur du scrutin est source de fausse transparence : s’en tenir aux pourcentages, quand la part des électeurs s’avère congrue, est source d’erreurs et peut conduire à substituer le ressenti au réel.

Au vu des quelques chiffres que nous relevons, le premier enseignement qui se dégage c’est l’aggravation du fossé qui sépare les électeurs de leurs représentants.

Ce 12 juin est donc d’abord une défaite pour tous les acteurs politiques, qui voient se réduire comme une peau de chagrin la base de leur légitimité déjà fortement mise à mal par la perte de confiance dans la capacité du politique à répondre aux attentes de la société.

Car, quelle que soit l’issue du deuxième tour, la question se posera exactement dans les mêmes termes pour Ensemble ! ou pour la Nupes : comment construire une majorité pleinement légitime avec 13 % des inscrits ?

En ce sens, la première victime de cette guillotine électorale est le président lui-même, forcé de constater que la mécanique, jusque-là bien huilée, qui amenait automatiquement une majorité parlementaire hologramme de sa majorité présidentielle, est incontestablement voire durablement grippée.

L’attraction élyséenne n’est plus ce qu’elle était, la machine toussote et menace de caler. Les deux mois qui viennent de s’écouler ont été marqués par trop d’incertitudes : extrême lenteur dans la constitution du gouvernement, manque d’informations précises sur les projets à venir, peu d’indications sur la nature du changement de mode de gouvernance. Trop de silences pour susciter le désir chez les électeurs de donner à la présidence un nouveau blanc-seing. Les liens entre les deux scrutins, déjà affaiblis par l’intervalle de deux mois, s’en sont trouvés encore desserrés.


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Impasse électorale

Dans le même temps, le paysage politique, loin de s’assouplir, s’est cristallisé de manière cruciale. La création de la Nupes autour de Jean-Luc Mélenchon est venue conforter la tripartition des forces, en donnant à celle-ci une rigidité accrue. L’espace d’ouverture de la majorité présidentielle sur la gauche se voit retranché, limitant d’autant les marges de compromis possible. On fige de la sorte une figure centrale enfermée entre deux pôles adossés aux extrêmes. Cette figure composée de blocs étanches interdit toute flexibilité au débat politique et limite à un LR expirant les perspectives de compromis de gouvernement en cas de majorité relative.

L’effet de ressac est amplifié par la mécanique implacable du scrutin à deux tours, qui vient atrophier un peu plus encore les termes du débat. La règle des 12,5 % des inscrits impose aux électeurs un choix strictement binaire. Qu’on en juge : il n’y aura que huit triangulaires sur l’ensemble des 572 circonscriptions restant à pourvoir.

L’une est particulièrement emblématique : dans la deuxième circonscription de la Nièvre, longtemps détenue par François Mitterrand, le candidat du RN est arrivé en tête, devançant la candidate d’Ensemble ! et celle de la Nupes. Pour la première fois, il n’y avait pas de candidat socialiste.

Dans la plupart des 564 autres circonscriptions restant à pourvoir, les électeurs devront opter entre deux candidats dont un appartient aux blocs extrêmes ; si ce n’est parfois les deux (61 duels Nupes-RN). Voilà qui permet de mesurer les effets de la tragique absence de proportionnelle, condition absolue de création d’un nuancier politique indispensable pour fluidifier le champ politique.

Flux et refus

Le pari de Jean-Luc Mélenchon de faire son miel sur la nostalgie d’union des électeurs et électrices de gauche cimentée avec un fond d’antimacronisme est à demi gagné. Certes, il lui est difficile de faire croire encore à son destin de premier ministrable. Mais il s’impose d’ores et déjà comme leader de la future opposition, dont il disposera du premier groupe dans la nouvelle Assemblée. Avec peut-être, à l’issue du scrutin, la capacité de condamner le gouvernement à la majorité relative et, faute de gouverner ou de pouvoir imposer ses projets, d’accroître sa capacité d’empêchement.

Certes, le fait de ne disposer que d’une majorité relative n’est pas forcément l’annonce d’une paralysie : François Mitterrand, réélu en 1988 a connu cette même situation. Certes, dans un contexte différent, où Michel Rocard était premier ministre, mais dans lequel, avec l’appui de Raymond Barre, une ouverture aux centristes avait été possible. La tripartition actuelle, par sa rigidité, ne laisse pas espérer pareille issue.

François Mitterand, ré-élu en 1988.

Le « tout sauf Macron » face au « tout sauf Mélenchon »

Moins que par une alternative politique crédible, le sort du deuxième tour sera donc conditionné par le jeu de deux forces symétriquement antagonistes : le « tout sauf Macron » face au « tout sauf Mélenchon ». L’incertitude sur la marge majoritaire réside dans la manière dont les électeurs réagiront à ce dualisme, qui conditionne les reports de voix.

Avec en arrière-plan le risque que cette configuration, loin de provoquer un sursaut de mobilisation, ne désespère un peu plus des citoyens en mal de repères et de perspectives, et ne les pousse un peu plus vers l’abstention. Car dans ce système politique usé au point d’être totalement désarticulé, les vieux réflexes perdent de leur efficience : la prime au sortant n’est plus aussi opérante qu’elle le fut, tandis que le « front républicain » ou « sursaut » dans la bouche du président, n’a quasiment plus aucun sens.

Conçue comme une union de tous les républicains contre l’extrême droite, la notion devient confuse lorsque des candidats de gauche sont également perçus comme s’écartant du champ des valeurs républicaines.

Plus que d’un mystérieux Conseil national de la refondation, c’est d’une rénovation du système politique, avec une véritable valorisation du statut et du rôle parlementaire que cette séquence électorale marque le besoin criant.

Avec deux priorités qu’il serait dangereux d’ignorer : la déconnexion des scrutins présidentiel et législatif ; l’instauration de la proportionnelle pour l’élection des députés. Si ce mode de scrutin avait été celui des législatives actuelles, la Nupes aurait-elle vu le jour ? On aurait peut-être pu échapper à la tripolarisation sclérosante qui semble vouloir s’installer tout en donnant une chance de redonner de la vitalité à la démocratie représentative.

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