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La French Tech, agile mais encore fragile

Emmanuel Macron, à l'époque ministre de l'Économie, lors de la French Tech Night du CES 2016. Christophe Pelletier / Flickr, CC BY-NC-SA

Sébastien Bourdin et Fabien Nadou sont les auteurs de l’article de recherche « La French Tech : une nouvelle forme de mobilisation des territoires pour faire face à la compétition mondiale ? », publié dans les « Annales de géographies » 2018.


Du 8 au 11 janvier 2019 s'est tenu à Las Vegas le salon International CES (Consummer Electronic Show). Consacré aux produits high-tech, cet évènement annuel est désormais bien connu de bon nombre d’entreprises du secteur. Au total, 360 startups françaises se sont déplacées outre-Atlantique pour présenter leurs produits et se faire connaître à l’international… et les politiques publiques de soutien aux nouvelles entreprises du numérique n’y sont peut-être pas étrangères.

Reportage du site Presse Citron sur la présence des startups française au CES 2019.

Développement international

Pour accompagner les startups dans la mondialisation, les territoires se sont mis en « ordre de bataille » depuis de quelques années. De nombreux dispositifs ont été développés sous de multiples formes (accélérateurs, incubateurs, pépinières d’entreprises, club open innovation, etc.). À ce jour, en France, la forme la plus aboutie d’une politique publique au service des écosystèmes d’innovation est celle des pôles de compétitivité, qui ont été créés en 2004. Le but était de restructurer des filières industrielles sur les territoires et de pouvoir favoriser l’accès aux marchés, et à l’international notamment, des productions des entreprises membres.

En 2014, le ministère de l’Économie et des Finances – alors dirigé par le futur président Emmanuel Macron – engage une initiative d’ampleur nationale appelée « French Tech », pour le développement de startups et d’entreprises du digital et du numérique. Les pilotes du projet sont partis du constat que la France occupait seulement la 15ᵉ place du classement mondial de l’innovation et possédait donc une marge de progrès importante. Le sens de la démarche fait écho à celle des pôles de compétitivité, mais se veut plus souple.

Ce dispositif de la French Tech prend la forme d’un label dont le but est de mobiliser les écosystèmes métropolitains pour faire émerger des startups à succès, susceptibles de générer du développement économique et de l’emploi. Cette initiative est dotée d’un budget de 200 millions d’euros investis par l’État dans les accélérateurs et 15 autres millions pour renforcer le rayonnement de la France à l’international sur les questions numériques.

« La French Tech, c’est quoi ? », reportage de France 3 Bretagne, janvier 2016.

D’autres établissements viennent compléter les financements/investissements avec, entre autres, Bpifrance, Business France, la Caisse des dépôts et consignations ou encore la Direction générale des entreprises.

Le label se veut plus flexible, ancré localement et a pour objectif principal d’améliorer la visibilité internationale des jeunes entreprises françaises qui souhaitent conquérir le marché mondial. Il rassemble sous une même entité les startups françaises, l’écosystème des grands groupes et les acteurs publics, selon une logique collective initiée et poussée par l’État. L’initiative, pilotée au sein de l’Agence du numérique et rattachée au ministère de l’Économie, vise à fédérer tout un écosystème français du numérique et du digital, en incitant les entreprises à créer des réseaux de coopérations. À ce jour, on dénombre 13 métropoles French Tech en dehors de la capitale qui ont le label.

Carte des 13 métropoles labellisées French Tech. Bpifrance

Jouer collectif

Avec moins de cinq ans d’existence, le dispositif de la French Tech est encore très jeune, opérationnalisé différemment en fonction des territoires (compte tenu de la plus ou moins grande ampleur des moyens humains et financiers déployés par les métropoles labellisées). On remarque néanmoins que le leitmotiv est bien de « jouer collectif » en fédérant les entreprises, les collectivités territoriales, la recherche et les organismes de développement économique en région. Il s’agit de faciliter et d’accélérer l’internationalisation de l’innovation dans les PME high-tech en réduisant les difficultés évidentes telles que des ressources limitées, le manque de masse critique, l’expertise internationale, etc.

Avec la French Tech, l’idée est donc de créer une culture commune et de « chasser en meute » à l’international tout en n’excluant pas pour autant, à d’autres niveaux, d’être en concurrence sur les marchés. De ce point de vue, l’exemple du dynamisme des PME allemandes exportatrices peut présenter des éléments forts à intégrer et à copier.

En outre, la combinaison de la coopération et de la concurrence permet aux entreprises de produire une qualité supérieure à un prix inférieur, et donc de gagner en compétitivité. Avec la French Tech, il ne s’agit pas seulement de mettre en relation les entreprises entre elles, mais aussi de fédérer les acteurs sur les territoires et de développer un langage commun au travers de la multiplication des rencontres territoire-entreprises-recherche.

Ce déplacement à Las Vegas au CES est stratégique pour les start-ups car il vise à leur faire gagner en visibilité et en crédibilité, à nouer des partenariats commerciaux, stratégiques et financiers et à confronter leur innovation à la réalité du marché. Bien souvent, en amont, les pépites entrepreneuriales françaises ont été préparées pour ce grand rendez-vous… C’est par exemple le cas de la start-up de Meurthe-et-Moselle Monfoxy, accompagnée par la Région Grand Est, qui travaille sur la chaussette intelligente. Ou encore de la jeune entreprise Eveia, qui développe des produits et des solutions de santé connectée, et qui a bénéficié pour l’édition 2018 du soutien de Région Centre-Val de Loire.

Disparités entre territoires

Malgré tout, on relève une certaine fragilité dans la démarche, qui n’enlève bien sûr en rien à la motivation générale des différentes parties prenantes pour accompagner les entreprises du numérique et du digital. Cela tient au fait que certaines entreprises y voient seulement un simple outil de communication et de promotion, mais aussi parce que le dispositif en local ne dispose, bien souvent, que de très peu de moyens humains et financiers pour exister, organiser, coordonner, animer l’écosystème.

C’est un problème important et qui met les territoires dans des situations inégales : certains, en fonction de leur statut (association, structure liée à une métropole et à son périmètre, etc.), disposent d’une ingénierie non négligeable, tandis que d’autres ne tiennent que sur une seule personne…

La crainte est alors de voir progresser les disparités entre territoires, entre ceux qui sont mieux dotés en moyens ou qui ont des capacités plus grandes pour les mobiliser, et ceux qui peinent davantage à le faire. Dans ce contexte, il est légitime de se poser des questions sur la durabilité de la marque French Tech alors même qu’elle constitue un moyen agile de faire la promotion de l’écosystème entrepreneurial innovant français, qu’elle est susceptible d’améliorer l’attractivité des territoires, et qu’elle est à l’origine de nouvelles proximités et coopérations entre acteurs.

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