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Dessin d'une carte du monde
Depuis le début des annes 1990, la globalisation a connu plusieurs phases. Une nouvelle s'amorce aujourd'hui. TheDigitalArtist/Pixabay, CC BY-SA

La globalisation à l’aube d’un nouveau cycle

La globalisation ne doit pas être conçue comme un processus de convergence aboutissant à un espace mondial plat et lisse dans lequel les technologies, les organisations structurées en réseau et les chaînes de valeur permettent à de grandes firmes installées de combiner et de recombiner des blocs d’activité en mobilisant parfois de la recherche et développement (R&D), souvent des capacités de production et de commercialisation.

Au-delà de l’aspect géographique, la globalisation est aussi un déroulé sur la façon dont les économies nationales et les régions qui les englobent interagissent à un niveau supérieur qualifié de global. C’est ce que nous montrions dès 2012 dans l’essai Les Paradoxes de l’économie du savoir (éditions Hermès Lavoisier).

Sur la période 1990-2022, l’évolution de la globalisation présente ainsi une discontinuité temporelle des flux mondiaux d’exportations, d’importations et d’investissements directs à l’étranger (IDE) marquée par trois phases : d’hyperglobalisation (1990-2008), de crise financière et de stabilisation des trois variables (2008-2011) et de déglobalisation relative jusqu’en 2022.

Ce constat permet une lecture selon laquelle la globalisation s’inscrit dans un cycle et, comme telle, elle a vocation à se reproduire, non pas à l’identique, mais en réorganisant les interconnexions pour répondre aux multiples contraintes économiques, technologiques et géopolitiques.

Une rupture en 2008

Entre 1990 et 2008, la croissance annuelle des exportations mondiales (10 %) excède celle du PIB mondial (6 %). Dans de nombreux pays et régions, on observe une forte corrélation entre les flux commerciaux et la croissance qui se soutiennent mutuellement (États-Unis, Union européenne, Chine). Des transformations structurelles sont à l’œuvre, la part de l’industrie globale dans la valeur ajoutée mondiale décline de 21 % en 1990 à 16 % en 2011, la désindustrialisation des pays du Nord l’emportant sur l’industrialisation du Sud.

Le système d’échange global prend appui sur des créations institutionnelles (Union européenne, Accord de libre-échange nord-américain, Accord de partenariat transpacifique) et il est fondé sur une idéologie néolibérale centrée sur les entreprises et les marchés et sur des règles globales des flux commerciaux et d’investissements édictées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

La période post-crise financière a par la suite créé de fortes pressions en faveur de la déglobalisation : inégalités croissantes et concurrence accrue, complexité croissante des chaînes de valeur et importance grandissante des considérations géopolitiques.

Une d’un journal américain titrant sur la crise de 2008
Le crise financière de 2008 a déclenché des pressions propices à une déglobalisation. Myeyesees/Flickr, CC BY-SA

Le ralentissement du commerce mondial à partir de 2011 a accompagné le freinage de la croissance mondiale. L’analyse de cette période exige toutefois de dissocier les biens et les services : le commerce manufacturier s’est tassé de 15,6 % du PIB mondial en 2011 à 14,5 % en 2021 alors que le commerce des services s’est accru de 6 % du PIB mondial en 2011 à 8 % en 2021.

La Chine de plus en plus influente

En phase d’hyperglobalisation, les flux traduisent le pouvoir économique et géopolitique des États-Unis, alors que la phase de tassement est plutôt configurée par l’influence croissante de la Chine qui peut être repérée par deux indicateurs. Le ratio exports-imports/PIB décline de 71 % en 2008 à 35 % en 2022 pendant que la part de marché des exportations manufacturières de la Chine dans les exportations mondiales augmente de 12 % en 2008 à 22 % en 2022.

Le premier indicateur traduit le recentrage de la Chine sur son marché intérieur et le changement d’orientation de la politique économique privilégiant désormais les biens non échangeables, notamment l’immobilier et les infrastructures. Les dépenses publiques orchestrent cette modification de la composition de la production qui a pour effet d’atténuer la compétitivité du secteur échangeable en provoquant une hausse des salaires sur le marché du travail.

Le second indicateur indique que, malgré l’affaiblissement de la compétitivité, le différentiel de productivité en faveur de la Chine dans les biens échangeables est si élevé que les exportations continuent de croître. Dans le même temps, la Chine a élaboré l’Accord de partenariat économique régional global qui regroupe 15 pays représentant le tiers du PIB mondial et qui représente l’accord le plus vaste de libre-échange dans le monde.

Les prémisses d’un nouveau cycle

La volatilité accrue des variables économiques et les incertitudes liées aux conflits géopolitiques amorcent un nouveau cycle de globalisation. Les difficultés actuelles de la Chine (crise démographique, croissance économique ralentie et prévisions de croissance en baisse, effondrement du secteur de l’immobilier) conduisent ce pays à redoubler d’efforts pour acquérir des positions dominantes sur des produits et des technologies critiques, tout en contrôlant les exportations de terres rares. D’où l’attitude « de-risk China » de l’Ouest global pour assurer ses approvisionnements et pour accéder à des produits et des technologies d’importance économique et géopolitique stratégique.

Le principe est qu’il n’y a pas d’opposition entre politiques industrielles et marchés. Les politiques industrielles non seulement corrigent les mécanismes de marché, mais encore elles éclairent les choix stratégiques des entreprises en orientant l’investissement vers des produits et des technologies essentielles pour la sécurité nationale et la neutralité carbone.

Dans ce contexte, des mesures défensives sont prises. L’imposition par les États-Unis et la Chine de multiples barrières sur leurs échanges bilatéraux poussent les entreprises à diversifier leurs sources d’approvisionnement et leurs localisations. En Chine, les IDE ont régressé sur la période 2014-2020, puis se sont effondrés entre 2020 et 2023, passant de 400 milliards à 15 milliards de dollars, pendant qu’ils augmentaient fortement vers d’autres régions : l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie du Sud-Est et l’Inde. Le déclin marqué des importations chinoises aux États-Unis s’est traduit par une relocalisation partielle de certaines activités et par des importations accrues en provenance de Mexico (15 % en 2023 contre 13,9 % pour la Chine), du Vietnam, etc.

L’enjeu de sécurité économique s’impose

Début 2024, la Commission européenne s’est rapprochée des États-Unis en proposant plusieurs mesures pour renforcer la sécurité économique. En premier lieu, développer des mécanismes de criblage des IDE en évaluant leurs effets sur les infrastructures et les technologies critiques et identifier les secteurs sensibles (semi-conducteurs, intelligence artificielle, médicaments). En deuxième lieu, elle demande aux gouvernements d’évaluer les risques potentiels d’investir à l’étranger dans les technologies avancées.

Une troisième initiative propose de contrôler les exportations de biens à usage dual, civil et militaire dont les mécanismes de financement de la R&D devraient être sensiblement améliorés. La proposition finale vise à doter les organisations de recherche d’outils permettant d’exercer une « diligence raisonnable » lorsqu’elles s’engagent dans une coopération internationale, afin d’éviter la capture d’informations.

Au bilan, les politiques industrielles contiennent des mesures protectionnistes. Le cycle de la globalisation se reproduit en renforçant les formes publiques de pilotage des économies.

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