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La mobilité, l’autre inégalité subie par les quartiers populaires

Le quartier prioritaire des Arènes à Toulouse, un grand ensemble métropolitain.
Le quartier prioritaire des Arènes à Toulouse est desservi par un métro, un tram et des bus. L’« enclavement » est-il toujours celui que l’on croit ? Crédit photo : Thibault Isambourg

La page Wikipédia des « Émeutes dans les banlieues françaises depuis les années 1970 » s’est encore allongée. Le cycle de violence qui s’est propagé à une échelle nationale fin juin et début juillet vient enrichir celle-ci. Il s’agit d’un phénomène complexe, et aux causes variables suivant les situations urbaines et individuelles. Pris dans sa globalité, ce type d’événement répond à la manifestation d’un mal-être profond.

Et pour cause, les quartiers populaires subissent des inégalités dans de nombreux domaines : leurs habitants sont en moins bonne santé et l’offre de soins dont ils disposent est réduite ; en matière d’éducation, les résultats sont moins bons (notamment au brevet des collèges), les aspirations d’ascension sociale bridées, et les difficultés se cumulent face à des enseignants moins expérimentés qu’ailleurs en France.

La mobilité quotidienne ne fait pas exception, et l’« enclavement » est souvent mis sur la table par les responsables politiques. La politique de la ville, qui vise à la réduction des inégalités urbaines en France, se saisit de la question des transports de manière croissante (à l’exemple du Pacte de Dijon en 2018). Cette politique s’appuie sur un zonage géographique, les quartiers prioritaires de la politique la ville (QPV), anciennes Zones urbaines sensibles (ZUS). Les orientations en sont fixées à l’échelle nationale.

Or, la politique de la ville se fonde pour l’instant sur des études morcelées à l’échelle d’agglomérations et d’idées préconçues – qui ne manquent pas lorsqu’il s’agit des quartiers populaires. En effet, à l’heure actuelle et à notre connaissance, il n’existe aucune étude sur la mobilité dans ces QPV qui soit représentative du territoire français dans son ensemble.


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Nous avons ainsi cherché à objectiver quelques-uns des traits de la mobilité dans ces quartiers défavorisés, à une échelle représentative de l’hexagone. Notre étude, qui s’appuie sur les deux dernières éditions (2019 et 2008) des enquêtes nationales de mobilité et compare les enquêtés qui résident dans un zonage de la politique de la ville (QPV ou ZUS) et les autres, démontre l’existence d’inégalités.

Ces résultats montrent, en outre, que l’enclavement des quartiers populaires est multifactoriel, incitant la puissance publique à agir sur plusieurs fronts.

Une sobriété à marche forcée

La durée moyenne porte-à-porte de tous les déplacements est équivalente pour l’ensemble des urbains à  20 minutes en moyenne. Pourtant, on observe des différences notables sur les distances. Bien plus courtes dans les quartiers défavorisés, elles sont synonymes d’une mobilité de proximité. C’est le résultat d’un accès inégalitaire à la vitesse, notamment pour les vitesses les plus rapides. En effet, la vitesse porte-à-porte moyenne, de 22 km/h dans cet échantillon, est d’un tiers plus lente dans les quartiers populaires.

Cette tendance reste liée à l’usage bien moins intensif du mode le plus efficace, c’est-à-dire la voiture (y compris en grande agglomération, comme à Lyon). L’automobile permet en effet de réaliser plus de 6 déplacements sur 10 en milieu urbain, contre moins de 4 sur 10 dans les quartiers prioritaires où l’on use davantage des modes sobres, comme la marche et les transports collectifs.

Si ces disparités s’observaient déjà en 2008, elles se sont creusées en 2019.

Des contraintes diverses

Les inégalités de motorisation sont aussi pointées comme le principal élément explicatif des disparités de mobilité par les études déployées dans les métropoles. Dans notre échantillon, on observe bien une possession significativement disparate de la voiture.

Cependant, les quartiers défavorisés présentent certaines spécificités qui pourraient biaiser l’interprétation. Par exemple, la population y est plus jeune, le chômage davantage présent et les habitants de ces quartiers sont plus nombreux à vivre dans de grandes agglomérations. Or, ces facteurs sont réputés pour accroître les chances de choisir les modes actifs et les transports collectifs.

Nous avons donc développé un modèle statistique qui permet de démêler l’influence propre de chacun de ces facteurs sur le choix des individus. De cette manière, nous neutralisons les biais inhérents à l’étude des quartiers populaires.

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Le résultat de cette modélisation est très net. D’abord, il existe bien de fortes inégalités de motorisation dans les quartiers populaires. Ensuite, ces inégalités expliquent une part importante des spécificités dans le « choix » des modes de transport. Néanmoins, elles sont loin de constituer le seul facteur explicatif de ces différences de mobilité.

En réalité, l’enclavement subi par les habitants des quartiers populaires ne renvoie pas qu’à une simple question de distance, mais bien à un système de contraintes. Outre des facteurs relatifs aux situations individuelles (précarité économique, diversité socioculturelle, fracture numérique, etc.), on sait que l’environnement urbain pénalise la mobilité. Parmi les causes, on peut citer les importantes inégalités d’accès aux ressources de la ville et notamment à l’emploi. L’isolement par les grandes infrastructures qui les quadrillent jouent également un rôle, tout comme les rues moins pourvues en aménagements et plus accidentogènes.

Répondre par les nouveaux contrats de ville ?

La réduction des inégalités dans les quartiers populaires en France reste donc un chantier ouvert. Les propositions avancées pour l’instant par le président de la République, comme la reconstruction des dégâts des émeutes et tenter d’instaurer un « tarif minimum dès la première connerie », n’interviennent pas à la racine du problème.

Les nouveaux contrats de ville, qui doivent entrer en vigueur début 2024 et qui sont actuellement en élaboration, représentent une occasion pour les politiques publiques de proposer une réponse ambitieuse, après la mise à l’écart du Plan Borloo en 2018.


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Ces contrats doivent être articulés avec les politiques de mobilité et de ville durable. En effet, nos recherches mettent en évidence que, si les habitants des quartiers défavorisés se déplacent moins loin, ils disposent d’une longueur d’avance en matière de sobriété. Toutefois, il s’agit vraisemblablement d’une sobriété moins choisie que subie.

Celle-ci risque désormais d’être exacerbée par le contexte de double inflation de l’énergie et des contraintes réglementaires. En effet, la généralisation en cours des Zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) exclue ainsi une partie des agglomérations aux véhicules les plus anciens (et détenus davantage par les plus modestes).

Une connaissance fine des contraintes dans ces quartiers semble donc nécessaire pour éclairer la politique de la ville. Avec son mode de fonctionnement participatif, la commission « participation citoyenne dans les quartiers » formée par le ministre délégué à la Ville et au Logement pourrait apporter des éléments de réponse directement à partir de la vision des habitants.

Il est également primordial d’enrichir l’apport scientifique sur toutes les thématiques présentant un risque d’inégalité (éducation, santé, logement, emploi, sécurité, etc.). En matière de mobilité, pour trouver des solutions efficaces, il s’agira d’étayer un savoir parcellaire, et, surtout, sortir de la vision d’un « enclavement » qui serait uniquement physique.

On pourra réfléchir, par exemple, à comment mieux adapter l’offre de transports publics à ces habitants moins motorisés, et qui exercent des emplois moins qualifiés comme dans la logistique qui recrute aujourd’hui beaucoup d’ouvriers urbains. Pourtant, localisées en périphérie des villes, les entreprises de ce secteur restent moins accessibles en transports collectifs a fortiori en horaires atypiques, alors que le travail en 3x8 y est plus fréquent. Ainsi, les possibilités d’actions concrètes sont diverses et demandent encore à être évaluées.

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