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la reconstitution d'une cuisine des années 60 sur le compte Instagram de Monoprix
La nouvelle collection “maison” de Monoprix joue avec la nostalgie du passé. Monoprix /Instagram

La nostalgie, un puissant levier du marketing

À l’origine, la nostalgie désignait la profonde tristesse due à l’éloignement de sa patrie et était donc perçue comme une maladie. C’est Jean Hofer (Johannes Hoferus en latin) qui « invente » le mot en 1688. Alors étudiant en médecine et seulement âgé de 19 ans, il expose ses recherches à l’Université de Bâle dans un essai intitulé Dissertatio medica de nostalgia, oder heimwehe, en français « Dissertation médicale sur la nostalgie ou le mal du pays ».

La nostalgie a depuis lors transcendé son statut de maladie pour devenir une émotion célébrée, influençant profondément la société contemporaine… et la consommation. Cette transformation révèle notre besoin intrinsèque de se connecter avec le passé, non seulement pour trouver du réconfort dans le présent mais aussi pour enrichir notre avenir. Il était fatal que le marketing s’y intéresse.

Notre recherche à paraître dans la revue Gérer & Comprendre souligne que, dans un monde en constante mutation, la nostalgie sert de refuge, offrant un espace de réconfort et de sécurité. En se remémorant des moments issus d’un passé joyeux, les individus puisent la force nécessaire pour affronter les défis actuels. Cela contribue à renforcer leur identité et leur bien-être émotionnel. Ce pont entre le passé et le présent joue un rôle crucial dans leur capacité à naviguer dans la vie avec résilience. Il est néanmoins important de reconnaître que cet ancrage dans le passé peut également présenter des risques, notamment lorsque la nostalgie dégénère en une idéalisation excessive du passé propice à la croyance selon laquelle « c’était mieux avant ».

En matière de marketing la nostalgie devient un outil puissant pour établir une connexion émotionnelle profonde entre les marques et les consommateurs. Le recours à la nostalgie en marketing ne date pas d’hier. C’est à la fin du XXᵉ siècle, une ère où le progrès flirtait souvent dans l’esprit du grand public avec danger, que les entreprises ont commencé à capitaliser de manière plus flagrante sur le sentiment nostalgique du public. Crises et turbulences engendrent ainsi une quête collective d’un havre, suscitant le retour à des valeurs fondamentales, perçues comme plus authentiques et rassurantes.

Le téléphone à cadran Fisher Price incarne parfaitement cette quête d’un lien tangible avec le passé. Ironiquement, cet objet, symbole d’une technologie désuète, a récemment été remis sous les projecteurs dans une publicité pour Orange, l’un des géants des télécoms. Pourquoi un jouet évoquant une époque révolue suscite-t-il encore tant d’affection dans un monde dominé par les smartphones ? La réponse réside dans la puissance de la nostalgie, capable de transcender les générations, de réveiller des souvenirs d’enfance et de créer un sentiment d’appartenance. Ce téléphone, bien plus qu’un simple jouet, est devenu un symbole de simplicité et d’innocence. Les jouets, en tant qu’objets liés à l’enfance, sont ainsi particulièrement propices au réveil de la nostalgie. Ils sont évocateurs des souvenirs et des émotions profondes qui restent gravés dans nos mémoires.

Le paradis perdu des adulescents

Des entreprises comme Polaroid et Nintendo ont su revitaliser leur image et leurs produits en puisant dans le réservoir d’affection que les gens ont pour le passé. La nostalgie suscitée par les appareils photo instantanés Polaroid témoigne d’une époque révolue, où la magie de voir une photo se développer juste après la prise était un plaisir unique. Ces appareils, symboles d’une ère prénumérique, incarnent le charme de l’instantanéité et du tangible dans un monde désormais dominé par le numérique. Leur popularité reflète un désir collectif de renouer avec la simplicité et l’authenticité des souvenirs palpables.

La nostalgie qui entoure Nintendo et ses séries phares comme Animal Crossing et Super Mario se manifeste dans le souvenir de moments ludiques associés à l’enfance. Qualifiés d’adulescents ou de « kidults », les adultes continuent à jouer, soulignant ainsi le caractère intemporel de ces jeux. Cette tendance reflète une passion durable pour des univers qui transcendent les générations, permettant aux adultes de se replonger dans leurs propres souvenirs d’enfance tout en partageant et en transmettant cet héritage ludique à leurs enfants. Ce phénomène de transmission de génération en génération illustre la capacité des jeux Nintendo à créer des liens transgénérationnels, renforçant l’attachement émotionnel et la nostalgie pour ces expériences partagées qui définissent et enrichissent les relations à travers le temps.

Des enseignes de distribution, à l’image de Monoprix, surfent également sur la vague de la nostalgie. Après une première collection en décembre 2021 ainsi qu’une rétrospective au musée des arts décoratifs de Paris, Monoprix a réédité en fin d’année 2023 des pièces issues des collections Prisunic des années 1970. Monoprix frappe encore en mars 2024 avec une nouvelle collection « maison » inspirée du mouvement « Space age » – mouvement futuriste et utopique des années 1960.

Un effet madeleine de Proust

Dans des périodes empreintes d’une certaine morosité, il serait alors plus facile de vendre de la nostalgie. Dans le champ du marketing, nos recherches mettent en perspective le rôle joué par la nostalgie dans la résurrection de « belles endormies ». Au cœur d’une étude de cas publiée auprès de la Centrale des Cas et Médias Pédagogiques, l’analyse de la résurrection en 2023 de la marque de Chocolat « Merveilles du Monde » est intéressante à plus d’un titre. Lancée en 1978 par Nestlé, la production de cette marque ralentit peu à peu malgré plusieurs relookings, et finit par s’arrêter en 2007. La marque laisse alors de nombreux fans esseulés. Sur le site change.org, on trouve une pétition intitulée « Pour le retour du chocolat Merveilles du Monde » ayant réuni près de 2 700 signataires. En fin d’année 2022, un duo d’entrepreneurs constitué d’Amélie Coulombe et Alexandre Kanar annonce son pari fou de faire revivre la marque « Merveilles du Monde ».

Pour ressusciter la marque, les deux associés se sont appuyés sur des fans appartenant à des communautés actives sur les réseaux sociaux tels Facebook. Il s’agit de communautés dédiées à la seule marque « Merveilles du Monde » ou bien plus largement aux produits iconiques des années 1980/1990. Lancée sur la plateforme Ulule en janvier 2023, la campagne de crowdfunding a constitué un puissant moteur d’activation de la communauté de marque. Depuis lors, le succès est au rendez-vous. Notre recherche, à paraître dans la revue Gérer & Comprendre, met particulièrement en perspective l’effet « madeleine de Proust » associé au retour de marques anciennes et la nécessité pour toucher la cible des nostalgiques de conserver l’épine dorsale de la marque ressuscitée. Le cas de « Merveilles du Monde » témoigne de l’attachement de la communauté historique au design de la tablette (animaux sur les six grands carreaux aux bords ourlés), à la carte à collectionner et au goût.

Puiser dans le passé pour innover

La résurrection de « belles endormies » exige de respecter l’ADN de la marque tout en l’ancrant dans les exigences de l’ère contemporaine. C’est dans cette perspective que Renault a récemment lancé la Renault 5 E-Tech Electric. Faire renaître un modèle du passé, la R5 de 1972, pour représenter l’avenir de l’automobile, tel a été le défi du constructeur automobile. Unanime, la presse n’a pas manqué de mettre en exergue l’empreinte nostalgique en parlant de « concentré de nostalgie », du « charme de la nostalgie », de « nostalgie sous tension » ou bien encore d’une « nostalgie renaulutionaire » ! En jouant sur la carte de l’émotion avec un design qualifié de « rétrofuturiste », Renault entend marquer les esprits.

Plus qu’une simple stratégie de marketing, la nostalgie forge des liens sociaux, rapprochant les gens à travers des souvenirs et expériences partagées. Des séries comme « Stranger Things » de Netflix, qui rendent hommage aux films et à la culture pop des années 1980, ne se contentent pas de captiver les fans du premier jour ; elles créent également de nouvelles communautés unies par l’affection pour une époque révolue. En 2022, la popularité explosive de « Running Up That Hill » de Kate Bush est un témoignage direct du pouvoir de la série « Stranger Things » à réintroduire l’univers musical des années 1980, propulsant ainsi la chanson au sommet des classements musicaux.

La nostalgie révèle son inestimable valeur, non seulement en tant que refuge dans les moments de crise mais aussi comme moteur de croissance et d’innovation. En exploitant les souvenirs et les émotions liés au passé, les marques peuvent renforcer leur connexion avec les consommateurs, se démarquer dans un marché concurrentiel et stimuler une croissance durable. Les exemples mis en perspective dans cet article témoignent de la puissance de la nostalgie pour ressusciter des marques, revitaliser des produits, créer des expériences mémorables et tisser des liens communautaires, rappelant que notre passé reste une source constante d’inspiration, de réconfort et de partage.

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