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La ministre du Développement économique et des Langues officielles, Melanie Joly, lors d'une période de questions à la Chambre des communes, en novembre 2020, à Ottawa. Son nouveau visant à moderniser la Loi sur les langues officielles est la plus importante proposition sur le statut du français et de l'anglais au Canada depuis l'adoption en 1982 de la Charte des droits et libertés. La Presse Canadienne/Adrian Wyld

La réforme de la Loi sur les langues officielles : un pari prometteur, mais périlleux

Le gouvernement fédéral a récemment dévoilé un plan ambitieux visant à moderniser la Loi sur les langues officielles (LLO), vieille de 51 ans. Il s’agit de la plus importante proposition sur le statut du français et de l’anglais au Canada depuis l’adoption en 1982 de la Charte des droits et libertés, qui a inscrit les principales dispositions de la LLO de 1969 dans la Constitution canadienne.

La dernière grande réforme de la LLO remonte à 1988.

La Charte et la LLO proclament toutes deux que « le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada et qu’ils ont un statut et des droits et privilèges égaux […] dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ». En réalité, bien sûr, comme Statistique Canada le rapporte régulièrement, l’anglais domine partout alors que le français est en déclin, y compris au Québec.

La nouvelle politique, Le français et l’anglais : Vers une égalité réelle des langues officielles au Canada est basée sur le constat indéniable que le français et l’anglais ne sont pas sur le même pied au Canada et que le gouvernement fédéral est constitutionnellement obligé d’en faire plus pour protéger le français.

En ce sens, la politique concorde avec les principes bien établis en matière de droits de la personne : les différentes réalités exigent un traitement différencié afin que l’égalité réelle (par opposition à l’égalité formelle) puisse être réalisée. Une approche explicitement asymétrique aux langues officielles constitue un changement remarquable dans la politique fédérale.

En tant que chercheur et professeur qui s’intéresse aux droits linguistiques des communautés de langues officielles minoritaires et des peuples autochtones, j’accueille favorablement cette nouvelle orientation à la politique linguistique canadienne.

En faire davantage pour le français

Atteindre une égalité réelle entre les langues officielles, c’est donner un coup de pouce au français. À cette fin, la politique énonce plus de 50 mesures législatives et administratives visant à soutenir les communautés francophones et leurs institutions, à améliorer l’accès à l’immersion française et, plus généralement, à renforcer l’exemplarité du gouvernement fédéral en matière de bilinguisme officiel.

Par exemple, le gouvernement prévoit d’adopter une politique d’immigration francophone plus robuste pour favoriser la vitalité des communautés minoritaires, en mettant l’accent sur le recrutement d’enseignants francophones pour les programmes d’immersion, de langue seconde et de français. L’objectif avoué est d’améliorer les possibilités pour tous les Canadiens d’acquérir les deux langues officielles et de favoriser une plus grande cohésion sociale à l’échelle du pays.

De nombreux changements sont sensés et opportuns, comme l’exigence d’une révision périodique de la LLO tous les dix ans et le renforcement des pouvoirs d’exécution du commissaire aux langues officielles.

Le secteur privé mis de la partie

L’une des propositions les plus ambitieuses, et peut-être aussi la plus délicate, est l’application de la LLO aux entreprises privées relevant de la compétence fédérale (comme les banques, les entreprises de transport et de télécommunication) qui exercent leurs activités au Québec et dans les régions à forte présence francophone. L’objectif est de protéger le français en dehors du secteur public et de normaliser son utilisation comme langue de travail et de service dans un plus grand nombre de contextes.

Au Québec et dans d’autres régions francophones, les employeurs et les entreprises de juridiction fédérale seraient tenus de communiquer avec les travailleurs et les consommateurs dans la langue officielle de leur choix. De nouveaux droits linguistiques seraient promulgués sur la recommandation d’un « comité d’experts » qui conseillera le gouvernement sur les recours juridiques possibles et sur la portée géographique du nouveau plan.

La reconnaissance du fait que le secteur privé ait un rôle à jouer dans la promotion de la sécurité linguistique est un développement opportun. Il reste cependant à voir si cette mesure saura satisfaire le gouvernement du Québec et le Bloc québécois qui veulent soumettre les entreprises privées de compétence fédérale à la Charte de la langue française.

Des juges bilingues

Une autre proposition phare est d’abroger la disposition de la LLO qui exempte actuellement les juges de la Cour suprême du Canada de l’obligation de pouvoir comprendre les deux langues officielles sans l’aide d’un interprète. Cette mesure codifierait la pratique du gouvernement actuel qui consiste à ne nommer que des juges bilingues et alignerait la Cour suprême sur les autres cours et tribunaux fédéraux.

Certaines critiques allégueront probablement qu’une telle mesure fera obstacle aux candidats autochtones et racialisés, mais la diversité et le bilinguisme sont loin de s’exclure mutuellement au Canada.

Il est certain que la politique doit tenir compte des aspirations des autres communautés culturelles, y compris les Anglo-Québécois, et les démarches de réappropriation et de revitalisation linguistique entreprises sous l’égide de la Loi sur les langues autochtones.

Les périls de la politique partisane

Bien que cette politique contienne plusieurs des propositions récemment avancées par le chef du parti conservateur Erin O’Toole pour protéger le Français, elle va beaucoup plus loin et sa portée ambitieuse allumera assurément l’opposition. Par exemple, le gouvernement entend reconnaître la CBC/Radio-Canada comme une institution fédérale phare qui promeut la vitalité des deux langues officielles dans tout le pays, une mesure qui vise probablement à contrecarrer le plan du M. O’Toole d’affaiblir considérablement le radiodiffuseur national.

Une autre proposition potentiellement litigieuse est celle d’enchâsser le Programme de contestation judiciaire dans la LLO. Le Programme, qui finance les litiges contre le gouvernement relatifs au droit à l’égalité et aux droits linguistiques, a été aboli par les conservateurs en 2006 avant que les libéraux ne le rétablissent et l’élargissent en 2017.

Le temps nous dira si un nouveau projet de LLO sera déposé avant les prochaines élections. Chose certaine, la nouvelle politique linguistique du Canada reflète largement les aspirations des communautés francophones et acadiennes. Sa mise en œuvre est réalisable, pourvu que les partis arrivent à s’entendre sur l’importance de faire primer la sécurité des communautés linguistiques vulnérables sur la bisbille partisane.

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