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La transition énergétique reste conditionnée à la souveraineté industrielle en Europe

Parc de centrales solaires photovoltaïques de la Colle des Mées (Alpes-de-Haute-Provence, France)
Le coût de production des panneaux photovoltaïques a été divisé par 10 ans 10 ans. Christian Pinatel de Salvator/Wikimedia commons, CC BY-SA

L’objectif de souveraineté technologique s’impose de plus en plus à tout pays dit « moderne » ou s’en réclamant. Cette « capacité d’un État à développer l’accès et fournir aux citoyens et entreprises les technologies dont ils ont besoin », pour reprendre la définition de l’institut allemand Fraunhofer, est en effet censée favoriser la croissance de son économie et renforcer son autonomie stratégique.

En matière de politique énergétique, cette souveraineté technologique doit alors intégrer et faciliter l’atteinte de trois objectifs souvent opposés entre eux. On parle alors de « trilemme énergétique » que l’on peut résumer de la manière suivante :

  • Sécurité, pour garantir un approvisionnement fiable des besoins, en limitant les dépendances à des pays ou sociétés fournisseurs externes trop dominantes.

  • Compétitivité, pour garantir l’accès à tous et sur longue période à une énergie abondante et bon marché.

  • Environnement, afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES) et pollutions liées à la production et consommation d’énergie dans les différents secteurs de l’économie (énergie, industrie, transport, bâtiment, etc.).

Les politiques pour atteindre la souveraineté technologique doivent ainsi permettre de décarboner l’économie, tout en garantissant l’accès à une énergie bon marché et en limitant les dépendances extérieures.

Comment faire ? Pour répondre à cette question, il s’agit d’abord de rappeler le contexte. Ces 10 dernières années, les politiques européennes de transition énergétique ont favorisé un développement rapide et étendu de l’accès aux technologies favorables à la transition énergétique, principalement dans les « nouvelles » énergies renouvelables (solaire photovoltaïque et éolien en tête, et plus récemment sur les batteries lithium-ion pour véhicules électriques). Cet essor a été notamment favorisé par le marché unique européen, accélérateur du libre-échange international.


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Or, les politiques d’innovation technologique menées n’ont pas permis (à l’exception notable de l’éolien, néanmoins menacé) le développement d’un accès élargi à des technologies d’origine européenne, souvent bien moins compétitives que celles importées d’Asie, Chine en tête. Ainsi, ce développement s’est appuyé sur des technologies importées sous forme d’équipements fabriqués en masse en Asie, Chine en particulier, qui a nettement renforcé la dépendance technico-économique de l’UE, en particulier sur le solaire photovoltaïque et les batteries pour véhicules électriques.

Une opportunité de réindustrialisation

Pourquoi, dès lors, ne pas se contenter d’importer ces technologies d’Asie, Chine en particulier, l’industrie de masse probablement la plus efficace au monde ? Deux arguments principaux peuvent être opposés ici : d’abord, pouvoir limiter le danger, ou risque de surdépendance économique et politique à un pays pas forcément « ami », avec des ambitions de domination mondiale comme pour la Chine. Cet objectif de leadership justifie un besoin évident de diversification en matière de fournisseurs, dont des productions en partie localisées au sein de l’UE.

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En outre, la crise du gaz née de l’invasion russe en Ukraine en février 2022 a bien démontré la réalité du risque d’approvisionnement sur une énergie primaire (dite « de transition » parfois), potentiellement démultiplié sur les technologies de la transition énergétique. Il s’agit donc d’investir en Europe pour limiter ce risque de dépendance énergétique tout en sécurisant et diversifiant l’approvisionnement en métaux rares, essentiels pour les technologies de transition énergétique. Dit autrement, de payer une « assurance industrielle » pour réduction du risque de souveraineté énergétique en Europe.

Deuxièmement, la transition énergétique peut constituer une formidable opportunité de réindustrialisation pour favoriser la croissance d’activités et d’emplois à valeur ajoutée élevée, comme l’ont bien compris Américains et Chinois, et en totale cohérence avec l’objectif premier de souveraineté technologique.

Ainsi concilier souveraineté technologique et transition énergétique exige de réintroduire davantage de politique industrielle européenne.

Un besoin élevé d’investissement

Cette exigence apparaît en outre d’autant plus cruciale que la transition énergétique repose essentiellement sur des technologies matures fortement industrialisées. Plus que des technologies « de pointe », la transition énergétique repose en effet sur des équipements qui doivent être fabriqués à grande échelle, ce qui permettra de les rendre plus accessibles en faisant baisser les coûts de production.

On a en effet clairement observé ces effets des volumes sur les prix ces dernières années dans le développement du solaire photovoltaïque et des batteries lithium-ion au niveau mondial. Dans les deux cas, le coût de production des équipements pour produire un watt a été divisé environ par 10 ans en 10 ans tandis que les capacités de production étaient de leur côté multipliées par 10.

Ainsi, l’innovation nécessaire semble de l’ordre de l’« incrémentale » (par touches successives) plus que « de rupture », ce qui nécessite des investissements élevés et stables sur long terme que seule une politique industrielle peut assurer.

À noter que le pilotage de la transition et management de l’énergie à base de numérique et service, en lien avec l’évolution des réseaux vers plus de flexibilité (« smart grids »), échappent à cette contrainte industrielle, avec d’importants atouts européens à valoriser (réseaux, industrie et régulations).

Au bilan, concilier souveraineté technologique et transition énergétique exige de réintroduire davantage de politique industrielle de l’UE, sans pour autant abandonner les avantages de son marché unique. C’est pourquoi les grands groupes industriels privés, Européens en priorité, sont incités aujourd’hui à participer directement au développement d’une industrie européenne de la transition énergétique, notamment sous forme d’alliances. Cette capacité à attirer et sécuriser davantage les financements privés de long terme, font partie des bases d’une nouvelle politique industrielle européenne.

En mars dernier, la Commission européenne a fait un pas supplémentaire en ce sens en adoptant le projet « Net-zero Industry Act » (NZIA), en réaction aux politiques protectionnistes entrées en vigueur aux États-Unis avec l’Inflation Reduction Act. Une preuve qu’à Bruxelles, les dirigeants européens ont parfaitement compris que la transition énergétique irait de pair avec la souveraineté technologique et industrielle.

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