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Voitures électriques garées sur un parking d'Oslo en Norvège
Selon une étude la banque suisse UBS, 20 % des voitures électriques en Europe pourraient être chinoises et 10 % seraient des Tesla d’ici 2030. Flickr/Mario Duran-Ortiz, CC BY-SA

La voiture électrique accessible à tous ? Les marges de manœuvre limitées des constructeurs européens

Ces dernières années, on assiste à une évidente électrification de l’industrie automobile : en septembre 2023, les ventes de voitures électriques représentaient 19 % des ventes totales de voitures particulières, en augmentation de 3 points sur un an. Il faut dire que cette augmentation des ventes s’inscrit dans un double contexte : une sensibilité accrue des consommateurs à l’impact environnemental de leurs achats et une législation européenne fortement incitative.

Pourtant, la voiture électrique se situe aujourd’hui à la croisée de plusieurs paradoxes. Si la sensibilité accrue à l’impact environnemental est un facteur essentiel dans la décision d’acheter une voiture électrique, le prix joue évidemment un rôle central dans le choix final du véhicule. Autrement dit, l’intention de mieux consommer se heurte régulièrement à la réalité financière des acheteurs, qui n’ont pas forcément les moyens d’acquérir une Tesla, dont le Model 3 est vendu à 42 990 euros.

De la même façon, le dispositif européen pour mettre fin à la vente des voitures thermiques d’ici 2035 engendre des conséquences potentiellement négatives pour l’Union européenne, en profitant notamment aux constructeurs non européens, chinois en tête. Et les aides à l’achat offertes par la France pourraient conduire au même paradoxe, comme le rappelait en octobre 2023 récemment Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances :

« L’argent des contribuables français n’a pas vocation à financer des véhicules provenant à 70 % de Chine. »

La Chine en avance

En 2022, la Chine est devenue le premier exportateur mondial de voitures électriques, avec un poids significatif en Europe, où un véhicule vendu sur cinq est fabriqué en Chine. Une étude approfondie sur quatre constructeurs automobiles chinois met en lumière une complémentarité institutionnelle, combinant politiques gouvernementales, conditions de marché et capacités technologiques, comme fondement du succès chinois.

Cette complémentarité institutionnelle se traduit notamment par une politique forte de subventions publiques ainsi que d’une aide de l’État chinois pour sécuriser l’accès au lithium, au nickel et aux terres rares indispensables à la fabrication des batteries.

Une Tesla roule sur une route côtière
Tesla s’est positionnée sur le segment haut de gamme. Automobile Italia/Flickr, CC BY-SA

La Chine compte ainsi une cinquantaine de constructeurs automobiles produisant des voitures électriques. Et certains d’entre eux sont en train de devenir des géants mondiaux du secteur, notamment BYD, SAIC et GAC. Grâce à cette complémentarité institutionnelle, le leader chinois, BYD, profite de capacités technologiques exceptionnelles : le groupe possède en effet un contrôle complet de sa chaîne de production de batteries, source majeure de réduction des coûts, et compte s’appuyer sur l’attractivité du prix de ses modèles, notamment la Dolphin et la Seal, pour conquérir le marché européen.

Un « Buy European Act » ?

Dans le contexte de cette avancée chinoise, les constructeurs européens s’interrogent sur leurs marges de manœuvre pour prendre la tête dans la démocratisation des voitures électriques sur le Vieux Continent. Selon une étude de la banque d’investissement UBS, d’ici 2030, 20 % des voitures électriques en Europe pourraient être chinoises, et 10 % seraient des Tesla. Il resterait donc 70 % du marché à conquérir. Quelles sont dès lors les marges de manœuvre des constructeurs européens pour capter ces 70 % ?

Voiture du constructeur chinois BYD
Le constructeur chinois BYD s’appuie sur le prix pour conquérir le marché français. Mariordo/Wikimedia, CC BY-SA

Une complémentarité institutionnelle, partiellement inspirée du modèle chinois, est à l’étude et fait notamment l’objet de vives discussions au Parlement européen. En France, Bruno Le Maire et le président de la République Emmanuel Macron estiment que l’Union européenne ne pourra pas relever ce défi sans un « Buy European Act », une forme de protectionnisme européen servant de rempart aux voitures chinoises, fortement subventionnées par des aides d’État et des tarifs douaniers favorables à l’importation en Europe.

Dans ce contexte, les règles du bonus écologique français ont déjà été adaptées pour favoriser les voitures électriques produites en Europe. Une étude menée dans 50 États américains a d’ailleurs démontré l’efficacité de ces incitations sur l’adoption des voitures électriques : une augmentation de 1 000 dollars de la valeur de ces aides entraîne une hausse de 5 à 11 % des nouvelles immatriculations de voitures électriques.

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La France veut désormais aller plus loin avec l’annonce fin septembre dernier du chef de l’État d’un dispositif de location de voitures électriques à 100 euros par mois pour les modèles produits en Europe et pour les ménages dont le revenu fiscal est inférieur ou égal à 14 089 euros.

Une gigafactory près de Lens

La complémentarité institutionnelle exige néanmoins un travail de la part des constructeurs européens sur leur modèle économique. En se fondant sur les récentes avancées de la recherche académique, examinons ici les marges de manœuvre actuelles des constructeurs européens :

En premier lieu, l’importance des innovations technologiques, en terme notamment de batteries, n’est plus à démontrer et les partenariats semblent incontournables pour les constructeurs dans cette course à l’innovation. Le constructeur japonais Toyota a d’ailleurs fait l’objet d’une étude pour ses liens forts avec ses fournisseurs, à l’origine de transferts de connaissances majeurs. En Europe, la gigafactory récemment inaugurée près de Lens (Pas-de-Calais), visant à stimuler la production française de batteries, est le fruit de la collaboration entre Stellantis, TotalEnergies et Mercedes Benz. D’autres projets similaires devraient voir le jour.

Des employés surveillent les écrans de contrôle de la gigafactory d’Automotive Cells Company (ACC), une coentreprise de Stellantis, TotalEnergies et Mercedes, près de Lens dans le nord de la France. Pascal Rossignol/AFP

Ensuite, de nouvelles propositions de valeur doivent être introduites. La recherche montre que les intentions d’achat et l’adoption ultérieure de véhicules électriques sont fortement influencées par les perceptions et la confiance des consommateurs à l’égard de différentes variables, tels que la technologie, le prix, la disponibilité et leur connaissance de l’utilisation des véhicules électriques.

Les constructeurs doivent donc comprendre ces motivations pour capitaliser sur les sources de valeur. Par exemple, les actifs de plus de 40 ans choisissent moins fréquemment des véhicules électriques que leurs homologues plus jeunes. Il apparaît ainsi essentiel pour les constructeurs d’en identifier les raisons, car cette tranche d’âge est plus encline à accepter le prix élevé des véhicules électriques tout en privilégiant la qualité comme critère principal d’achat. Cela pourrait se traduire par la vente de modèles plus chers, générant ainsi des marges plus importantes pour les constructeurs.

Une production 59 % plus chère

Autre marge de manœuvre dans une perspective similaire : les modèles économiques des constructeurs européens doivent intégrer l’infrastructure de recharge. Cela peut être aussi une opportunité pour les acteurs de la chaîne de valeur des véhicules électriques de tirer parti de la numérisation et trouver de nouvelles sources de création de valeur pour le client. Par exemple, l’utilisation des stations de recharge pour offrir des services numériques de tiers, notamment à des fins publicitaires, peut générer une valeur ajoutée supplémentaire.

Voiture en cours de recharge
Les infrastructures de recharge restent un enjeu majeur de la démocratisation de la voiture électrique. Pxhere, CC BY-SA

En outre, le prix des véhicules électriques doit aussi être revu à la baisse, notamment grâce aux marges de manœuvre que nous venons de citer. Leur prix reste le frein majeur à leur démocratisation. Certes, deux constructeurs automobiles français, Renault et Citroën, ont récemment annoncé le lancement de leurs premières voitures électriques à moins de 25 000 euros : la Twingo Legend et la Citroën ë-C3, respectivement. Néanmoins, les coûts de production d’un véhicule électrique restent actuellement 59 % plus élevés que ceux d’un véhicule thermique.

Comment résoudre ce dilemme ? Une solution avancée dans la recherche est de transférer une partie du prix d’achat vers les coûts d’exploitation du véhicule. Ainsi, une partie des coûts (et notamment ceux liés à la création d’infrastructure de recharge mentionnée ci-dessus) pourrait être intégrée aux frais payés par les clients lorsqu’ils optent pour des modèles de location. Ceci semble d’autant plus pertinent que la location reste le mode préféré d’acquisition pour les véhicules électriques tandis que l’achat reste la préférence pour les véhicules thermiques.

En conclusion, selon une étude récente, les véhicules électriques peuvent devenir pleinement compétitifs d’ici 2035. Les marges de manœuvre côté européen, dans un contexte concurrentiel mondialisé, semblent se profiler autour d’une complémentarité institutionnelle entre décideurs publics, partenariats privés et innovations technologiques. Cette complémentarité reste l’enjeu principal pour permettre aux constructeurs européens de se faire une place importante sur le marché mondial.

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