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Des personnes participent à une manifestation à Montréal, le dimanche 20 décembre 2020, pour protester contre les mesures mises en place par le gouvernement du Québec pour aider à stopper la propagation de la Covid-19. Partout dans le monde, les mesures mise en place depuis la début de cette pandémie ont suscité de l'opposition. LA PRESSE CANADIENNE/Graham Hughes

L’acceptabilité sociale est essentielle pour réaliser des projets ou instaurer des mesures, mais reste difficile à mesurer

En mars 2020, lorsque François Legault a mis le « Québec sur pause », la population a suivi - sans trop de contestation - les premières mesures annoncées par le gouvernement. Mais au gré des annonces de confinement et de déconfinement, les contestations s'intensifient, comme nous avons pu l’observer dans les derniers jours avec les manifestations contre le couvre-feu.

Que ce soit pour de grands projets, des innovations techniques, ou pour des mesures sanitaires telles que celles adoptées pour lutter contre la pandémie, la notion «d’acceptabilité sociale» apparaît désormais comme une condition sine qua non à la réalisation de projets ou décisions publiques contestés.

En tant que chercheuses au département de communication sociale et publique à l’Université du Québec à Montréal, nous nous intéressons notamment aux dimensions communicationnelles de l’acceptabilité sociale et à ses implications dans la société.

Un concept fourre-tout

La notion d’acceptabilité sociale trouve sa force dans sa plus grande faiblesse : son manque de balises et de références claires et explicites. Ce concept en est un fourre-tout, que les promoteurs, groupes militants et autorités politiques utilisent, définissent et circonscrivent en leur faveur.

Or, puisqu’il est politiquement difficile d’imposer des décisions publiques qui vont à l’encontre de ce que veut la population dans une démocratie, cette notion est d’une importance majeure dans les choix que nous faisons en tant que société.

Il est donc nécessaire de prendre un pas de recul et de s’attarder aux différentes composantes de l’acceptabilité sociale, pour porter un regard critique sur son utilisation, paradoxalement aussi courante que floue.

Qui doit « accepter »

C’est en balisant le « social » que l’acceptabilité sociale prend tout son sens. C’est ce terme malléable, aux contours flous et perméables qui nous indique qui accepte.

Le « social » peut désigner tantôt une collectivité, les parties prenantes ayant des intérêts dans le projet ou encore la population d’un territoire donné. C’est sans oublier les acteurs sociopolitiques et ceux du marché, qui, eux aussi, doivent accepter un projet pour que sa réalisation soit possible.


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Sans périmètre clair, et idéalement commun, de ce qu’est le « social », le dialogue entre le promoteur et les acteurs sociaux sera condamné à l’inefficience.

L’acceptabilité sociale peut être articulée et conceptualisée de diverses manières. Promoteurs, autorités politiques et groupes militants la cadreront alors différemment dans l’espace public.

Par exemple, un promoteur pourrait affirmer détenir l’acceptabilité sociale dans la communauté d’accueil de son projet et ainsi juger qu’il peut aller de l’avant. À l’inverse, pour le même projet, des militants pourraient arguer que les effets environnementaux auront des effets à l’échelle provinciale, et conséquemment, le promoteur devrait s’assurer de l’acceptabilité sociale non seulement de la communauté d’accueil, mais bien de toute la province.

C’est dans cette optique que la société Ressources Strateco, promoteur d’un projet d’exploration minière, avait demandé de façon plutôt sarcastique si elle devait aller consulter la population du Plateau Mont-Royal pour un projet d’uranium à Sept-Îles.

L’acceptabilité sociale comme résultat

Si considérée comme un résultat par les promoteurs, l’acceptabilité sociale serait quelque chose que l’on peut détenir. Un projet détiendrait ainsi (ou non) l’acceptabilité de telle ou telle communauté.

Cette conception de l’acceptabilité sociale est à la fois statique, linéaire et binaire. Statique puisqu’une fois détenue, elle n’évolue pas, c’est un état de fait. Elle est également le résultat qui arrive à la fin d’un processus. Et elle est binaire puisque soit on la détient, soit on ne la détient pas.

Dans cette perspective, le promoteur (ou l’État), est le principal acteur responsable de mettre en œuvre des moyens pour atteindre l’acceptabilité sociale, notamment via des activités de consultations et de communication.

L’atteinte de l’acceptabilité sociale est donc davantage un enjeu d’affaires pour les promoteurs, et un enjeu politique pour le gouvernement, qu’un enjeu social. Il s’agit enfin d’une condition de succès au projet.

L’acceptabilité sociale comme processus

L’acceptabilité sociale peut aussi être un processus, une direction à prendre, sans qu’il n’y ait de but à atteindre. Tout en reconnaissant son existence, on ne cherche pas à l’obtenir, mais plutôt à la favoriser dans le temps.

Quand François Legault a annoncé mettre le « Québec sur pause », nous avons observé très peu de contestation, contrairement à d’autres pays. Il répond ici aux questions des journalistes lors d’une conférence de presse le 22 mars 2020. LA PRESSE CANADIENNE/Jacques Boissinot

On reconnaît ainsi son caractère temporaire et dynamique, qui varie dans le temps en fonction de divers éléments – contrôlés ou non par le promoteur. L’acceptabilité sociale fluctue en fonction du degré de connaissances des citoyens, du niveau de confiance envers les autorités, d’événements charnières dans la société ou encore selon l’avancement du projet.

Ainsi, au début de la pandémie, nous avons observé très peu de contestation, contrairement à des pays tels que le Royaume-Uni, la France, la Suède et les États-Unis, où les politiques gouvernementales ont rapidement fait l’objet de scepticisme et de critiques.

Au Québec, la population a suivi, presque avec enthousiasme les premières mesures annoncées par le gouvernement. Mais plus le temps a passé, que le sentiment d’urgence s’est amenuisé et que les annonces de confinement et de déconfinement se sont succédées, plus les contestations sont apparues.

Ici, pour les autorités politiques, l’acceptabilité sociale ressemble davantage à un processus de négociation sociale. Le gouvernement cherche à prendre la décision la plus susceptible de créer une adhésion forte, celle que la population jugera supérieure à toutes les autres possibilités, y compris le statu quo.

Un baromètre de l’opinion publique

Si l’acceptabilité sociale est considérée comme un baromètre, il est sous-entendu qu’il existerait un « seuil minimum » à atteindre pour qu’un projet ou une mesure soit socialement accepté.

Il existe pourtant un spectre, qui dépasse largement la dualité accord/désaccord. Un individu qui contestera haut et fort une décision exercera de la résistance, tandis qu’un autre pourrait au contraire s’approprier le projet et l’endosser publiquement. Au milieu, on observera les personnes qui consentent, celles qui tolèrent, et enfin celles qui sont simplement désintéressées.

L’acceptabilité sociale est difficilement quantifiable, mais on peut toutefois la constater de diverses manières dans l’espace public, notamment par la contestation.

L’approbation n’est pas l’absence de contestation

Comme les mesures de santé publique ont besoin de l’adhésion de la population pour fonctionner, il devient crucial de pouvoir mesurer cette dite acceptabilité. Toutefois, il est beaucoup plus aisé de quantifier la non-acceptabilité, puisque c’est la contestation et la résistance qui sont visibles dans l’espace public.

L’absence de contestation n’est toutefois pas synonyme d’acceptation, et vice-versa. La contestation demeure un indicateur de la non-approbation, mais n’est pas révélatrice de l’ampleur de l’approbation, plusieurs acteurs sociaux étant simplement indifférents ou passifs.

Par exemple, le Center for Countering Digital Hate a constaté que seuls 12 comptes étaient responsables de 73 % du contenu anti-vaccin partagé sur Facebook. La vigilance est donc de mise quand vient le temps de mesurer un niveau d’appui en observant uniquement la contestation.

En somme, l’importance de l’acceptabilité sociale n’est plus à démontrer, mais encore faut-il s’entendre sur ce que cette notion signifie pour se permettre collectivement de porter un jugement, tout en se donnant des bases communes pour dialoguer ensemble.

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