Cet article est publié en partenariat avec [VertigO], la revue électronique en sciences de l’environnement.
L’acceptabilité sociale fait régulièrement les titres des journaux, que ce soit dans des dossiers de mise en œuvre de parcs éoliens marins, de développements miniers ou d’installation de bioraffineries pour des objectifs de développement durable dans un territoire.
Hors des projets industriels, la création de parcs pour des fins de conservation et la création de zones humides pour l’épuration des effluents ne sont pas exempts de l’utilisation de ce concept souvent pour leur refus, rarement pour leur acceptation. Toutefois, l’acceptabilité sociale reste foncièrement ambivalente.
Ce concept est devenu un leitmotiv pour les décideurs ainsi que pour les entreprises. Pour les premiers, elle constitue l’élément social pour accepter ou refuser un projet ; pour les seconds, c’est un élément de défense contre les critiques appuyées des impacts sociaux et environnementaux de projets. Comprendre cette pluralité des logiques de justification des différents acteurs dans des enjeux d’acceptabilité sociale est essentiel.
Une notion embarrassante
Alors même que nombre d’acteurs institutionnels et opérationnels la considèrent comme un allant de soi, la notion d’acceptabilité sociale suscite des questionnements pour nombre de chercheurs. Cet embarras paraît légitime à propos d’une notion comportant une forte charge normative et, par ailleurs, encore très peu stabilisée dans le champ scientifique.
Cet embarras place les chercheurs face à un dilemme : soit ils rejettent la notion pour créer des termes alternatifs, au risque alors que ces derniers soient repris pour renommer des pratiques ayant elles, peu évolué. Soit ils s’approprient l’expression portée par les acteurs opérationnels et institutionnels, mais tentent alors d’en changer le sens en proposant des définitions, en précisant des cadres d’analyse.
A-t-elle un sens scientifique ?
Élaborée à partir du milieu des années 1980, elle est utilisée de manière plus soutenue depuis les années 2000 par de nombreux acteurs représentant des intérêts publics ou privés (élus, consultants, institutions financières, collectivités locales, sociétés d’investissement, ministères, dirigeants d’entreprises, etc.). Malgré un caractère relatif et flou, elle doit son succès à trois tendances majeures.
Dans un premier temps, la montée en puissance des contestations citoyennes environnementales, devenues au fil des ans une des formes légitimes d’intervention dans le débat démocratique. Face à cette évolution, le cadrage en termes d’acceptabilité sociale tend à réinstaurer les oppositions classiques entre citoyens ordinaires et citoyens concernés, ou entre intérêt général et intérêts particuliers que l’on a connues avec la diffusion du « syndrome Nimby » (« Not in my backyard » pour « pas dans mon jardin »).
Par ailleurs, la perte de légitimité des outils de gestion du territoire (décentralisation, fin de la planification, etc.) que les dispositifs « participatifs » (enquête publique, CNDP, conférences de citoyens, etc.) n’ont pas remplacés. La notion d’acceptabilité sociale, directement issue de la gestion des risques et du calcul rationnel, a donc progressivement été mise en œuvre afin d’assurer la bonne fin de projets industriels, d’aménagement ou de politique publique. Elle inclut les parties prenantes et les groupes d’intérêts considérés comme stratégiques de façon continue durant la réalisation du projet, à l’aide d’une pédagogie bienveillante qui légitime ce processus d’enrôlement (sens du compromis, dépassement des conservatismes, etc.).
Liée à ces deux premières tendances, pour nombre d’entreprises, la prise de conscience grandissante que les arguments classiques de justification de nuisances liés à une activité industrielle ou économique au nom de la création d’emplois et de richesse économique dans le respect des lois et règlements existants convainquent moins ou ne convainquent plus des parties prenantes locales et régionales. Ce scepticisme des parties prenantes locales est marqué, dans nombre de juridictions, d’un doute quant à la neutralité des autorités gouvernementales quant au respect des aspirations des populations.
Entre approbation et résignation
Tout en ayant un caractère polysémique, l’interprétation courante est limitée à la médiation et à la résolution de conflits, sous l’hypothèse que ce sur quoi elle s’applique est nécessaire, légitime, et est ou sera réalisée. La psychologie sociale, l’économie comportementale, les sciences de la communication, les neurosciences ou la science politique sont sollicitées pour répondre à « l’impératif écologique » qui nécessite de prendre des décisions publiques dans des « univers controversés ». « L’injonction à la durabilité », qui laisse peu de place aux alternatives, légitime les démarches d’acceptabilité sociale.
Alors que des méthodes d’acceptabilité sociale visaient à prédire et à changer le comportement des utilisateurs face à des systèmes technologiques, une telle approche intervient aujourd’hui à des échelles bien plus larges, lorsqu’il s’agit par exemple de définir un principe d’équité dans le marché des permis d’émission de gaz à effet de serre pour en favoriser l’acceptabilité.
Que l’on évoque les conséquences du traitement des informations collectées par la géolocalisation ou les questions d’accompagnement des publics et de reconnaissance des méthodes de conduite des projets urbains, « l’inacceptabilité » représente une menace qui hante aujourd’hui une grande part de l’action publique et en démultiplie les enjeux, en particulier lorsqu’elle s’aventure sur des terrains environnementaux : en contribuant à l’acceptabilité sociale, la participation est moins justifiée par ses effets sur les décisions environnementales, que par le fait que ces décisions ont été produites par un processus reconnu comme légitime par les publics.
En visant l’assentiment, l’acceptabilité sociale des projets environnementaux joue des frontières entre approbation et résignation, notamment lorsqu’elle se revendique d’un « paternalisme libertaire » qui cherche à contourner les résistances en évitant l’écueil de l’injonction autoritaire et à inciter à une réorientation volontaire des comportements.
Pourtant, on assiste aujourd’hui à un retour du réel qui réinterroge le couplage de ces deux notions, acceptabilité et durabilité, qu’il s’agisse de l’effet rebond, des accusations de greenwashing ou des « effets pervers » de solutions « acceptées » par les consommateurs, usagers, habitants ou citoyens.
Retrouvez l’intégralité du dossier consacré à l’acceptabilité sociale sur le site de la revue [VertigO]. Fondée en 2000, [VertigO] est une revue scientifique internationale qui diffuse des résultats de recherche et des analyses sur les enjeux environnementaux contemporains.