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L’architecte burkinabé Diébédo Francis Kéré, concepteur des « villes paisibles »

En 2017, Diébédo Francis Kéré a réalisé le Pavillon éphémère de la Serpentine Gallery de Londres, pour sa 17e édition. Bettina Strenske | Alamy Stock Photo

Le Burkinabé Diébédo Francis Kéré est devenu le premier Africain et le premier noir à remporter le prix Pritzker, l’équivalent d’un prix Nobel en architecture.

Son travail a toujours souligné l’importance cruciale de concevoir ce qu’il appelle des « villes cohérentes et paisibles ». Après l’incendie qui a ravagé l’Assemblée nationale du Burkina Faso à Ouagadougou durant la révolution de 2014, il a soumis un projet visant à faire du nouveau complexe le symbole de la transparence et de l’inclusion que les protestataires exigeaient du nouveau gouvernement.

Il a donné au bâtiment principal (toujours en construction) la forme d’une pyramide à degrés, dont la façade accueille un espace public accessible à tous, 24 heures sur 24. L’édifice est agrémenté de terrasses végétalisées en l’honneur des accomplissements agricoles du pays. En 2017, Diébédo Francis Kéré expliquait :

« Cette idée illustre mon espoir, peut-être un peu naïf, qu’à la prochaine révolution, on épargnera le bâtiment et qu’on ne le brûlera pas, puisqu’on s’en sert. »

Sa toute première réalisation est l’école primaire de Gando, son village natal. À cette occasion, il a modernisé – mais non rejeté – les techniques traditionnelles en utilisant de l’argile locale (que l’on trouve en abondance) mais, surtout, en impliquant la communauté tout entière. Les enfants ont ramassé des pierres pour les fondations. Les femmes ont apporté de l’eau pour modeler les briques. « Plus on emploie de ressources locales, plus on stimule l’économie locale et le savoir régional. Tout cela contribue à la fierté des habitants », ajoute-t-il.

An interior shot of a clay brick building with circular holes in the ceiling, through which light filters down onto the floor
Pour la bibliothèque de l’école primaire de Gando, Diébédo Francis Kéré a percé des puits de lumière circulaires dans le toit, qui assurent également une bonne aération. GandoIT/Wikimedia, CC BY-SA

Remettre en question la pensée eurocentrée

D’ici 2030, on estime que deux milliards de personnes habiteront des bâtiments dits « non-conventionnels » qu’elles auront construits elles-mêmes. Plus de 61 % de la population active mondiale participe déjà à cette économie parallèle.

Il incombe cependant aux architectes de métier de dépasser les approches dominantes, occidentales et eurocentriques en matière de milieu bâti et, à l’instar de Diébédo Francis Kéré, d’y réinsuffler les connaissances indigènes. Cette dynamique contribuerait non seulement à l’autonomisation des communautés locales, mais favoriserait aussi une plus grande durabilité. Comme il le précisait lui-même à CNN peu après l’annonce du prix qui lui était décerné :

« Compte tenu de son mode de communication, l’Occident se présente parfois comme ce qui se fait de mieux. Le reste du monde le perçoit alors comme tel, oubliant que les ressources locales pourraient résoudre la crise climatique et représenter une alternative sérieuse en matière de développement socio-économique. »

A man in a white shirt stands in front of an orange brick building with green shutters
Achevé en 2011, le village-opéra de Diébédo Francis Kéré, à Laongo, au Burkina Faso, accueille des festivals, des ateliers et des cours de musique pour enfants. DPA Picture Alliance Archive/Alamy

Depuis deux ans, le prix Pritzker délaisse les « starchitectes » pour ceux dont les travaux tiennent davantage compte des préoccupations sociales. En 2021, il a ainsi distingué les architectes français Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, dont l’approche radicale en termes de revalorisation et de rénovation traduit l’impact environnemental massif du secteur. L’année précédente, le prix avait été décerné au binôme irlandais Yvonne Farrell et Shelley McNamara, du cabinet Grafton Architects, pour leurs travaux d’amélioration et de mise en valeur du territoire local.

La problématique plus générale et plus pressante de la représentation et de l’exclusion, longtemps esquivée par les architectes, n’avait néanmoins pas été traitée jusqu’à l’annonce de cette année. En tant qu’architectes, universitaires et codirecteurs récemment nommés dans le cadre d’une politique d’égalité, de diversité et d’inclusion à la Bartlett School of Architecture de Londres, nous sommes bien placés pour en attester.

Le racisme systémique continue de façonner la profession, et la pensée colonialiste reste bien souvent au cœur de l’enseignement en architecture. À mesure que les inégalités environnementales, sociales et économiques se creusent à l’échelle mondiale, nous avons plus que jamais besoin d’architectes doués d’une conscience éthique. C’est donc un honneur d’assister à la légitime consécration de Diébédo Francis Kéré.

Promouvoir la diversité

L’architecture demeure une affaire d’hommes blancs, rongée par les discriminations raciales. Selon l’Architect Review Board, en 2020, moins de 1 % des architectes diplômés au Royaume-Uni étaient noirs, ou d’origine africaine.

Plus inquiétant encore, comme l’a découvert le Royal Institute of British Architects en 2019, sur les 8,3 % de candidats noirs qui souhaitaient étudier l’architecture en 2018-2019, seuls 1,5 % ont réussi à valider leur cursus.

Les écoles d’architecture en Occident ne s’attaquent que depuis peu à la question de l’incidence de la race, grâce à des initiatives de décolonisation de l’enseignement en génie de la conception. La victoire de Diébédo Francis Kéré apparaît comme une rectification indispensable à la liste des architectes les plus connus au monde. Elle fait écho à la nomination de l’architecte écossaise et ghanéenne Lesley Lokko au poste de commissaire de la prochaine Biennale d’architecture, qui se tiendra à Venise en 2023. Elle sera la première architecte noire – et seulement la troisième femme – à diriger le célèbre événement bisannuel.

A temporary building with blue sculpted walls and a large pale roof structure, seen under a cloudy sky
Avec sa large toiture, inspirée d’une canopée, le Serpentine Pavilion de Diébédo Francis Kéré a pour objectif de reconnecter les visiteurs à la nature. Goddard on the Go/Alamy

Ce glissement de valeurs dans les plus hautes sphères de l’architecture a été souligné par Diébédo Francis Kéré lorsqu’il s’est exprimé sur le prix Pritzker de cette année :

« La qualité, le luxe, le confort sont des droits. Nous sommes interconnectés et les préoccupations liées au climat, à la démocratie et aux pénuries sont de notre responsabilité à tous. »

L’œuvre de Diébédo Francis Kéré et la reconnaissance symbolique de ce prix seront bénéfiques pour les professionnels du secteur et pour la société dans son ensemble. Nous avons donc tout intérêt à écouter ce qu’il nous dit.


Traduit de l’anglais par Mathilde Montier pour Fast ForWord

This article was originally published in English

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