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Le budget de la zone euro s’éloigne des ambitions affichées

La question de la gestion européenne d’une crise économique survenant dans un État membre de la zone euro est renvoyée aux calendes grecques. RukiMedia/Shutterstock

L’euro vieillit – 20 ans déjà ! – et le temps semble passer de plus en plus vite. Comme il est loin ce mois de septembre 2017 où le projet européen avait cru trouver un nouveau souffle après le discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron ! Que reste-t-il du projet de budget pour la zone euro, et de celui d’un ministre des Finances de la zone euro permettant de rééquilibrer les pouvoirs avec la banque centrale européenne ? Une édulcoration pour le premier, à lire le communiqué du sommet de la zone euro du 14 décembre 2018, et rien pour le second.

Voici un extrait du communiqué :

« Dans le contexte du cadre financier pluriannuel (CFP), nous chargeons l’Eurogroupe de mener des travaux sur la conception, les modalités de mise en œuvre et le calendrier d’un instrument budgétaire de convergence et de compétitivité pour la zone euro[…] »

Exit donc, semble-t-il, la question d’un budget de la zone euro pour soutenir un État membre victime d’un grave choc économique. Dans la déclaration de Meseberg du 19 juin 2018, gouvernements allemand et français s’étaient pourtant entendu sur l’existence d’un tel budget, promouvant la compétitivité, la convergence et la stabilisation dans la zone euro.

Le précédent allemand

La disparition du terme « stabilisation » dans le communiqué du sommet de la zone euro n’est pas anodine : d’une part, elle renvoie aux calendes grecques la question de la gestion européenne d’une crise économique survenant dans un État membre de la zone euro. À moins que l’État en question ait déjà recouvré l’équilibre de ses finances publiques, il pourrait ne pas disposer de marges de manœuvre suffisantes pour faire face à un choc grave. Lors de la crise de 2009, un État membre, l’Allemagne, disposait de telles marges de manœuvre. Ce précédent n’est sans doute pas étranger au manque d’empressement à adopter un mécanisme européen de gestion des chocs nationaux : si les Allemands ont su le faire, pourquoi pas les autres ? Ce serait oublier un peu vite que le gouvernement allemand de Gerhard Schröder a mené une politique non coopérative au début des années 2000 en taxant (de manière détournée) les importations allemandes : la décision d’augmenter la TVA touchait certes tous les produits, mais celle de baisser les cotisations sociales ne bénéficiait qu’aux entreprises ayant leur activité en Allemagne… Autrement dit, l’effet net était neutre pour les biens produits outre-Rhin, mais pas pour les biens importés.

Prendre exemple sur un pays qui a profité de l’intégration européenne pour mener une politique allant délibérément à l’encontre de l’intérêt général de la zone euro est forcément discutable. D’autre part, la disparition du terme « stabilisation » dans le communiqué du sommet de la zone euro reporte ou enterre la question du mécanisme de (ré)assurance-chômage européenne, un temps envisagé (il est aussi mentionné dans la déclaration de Meseberg). Ce mécanisme, ou Fonds de stabilisation pour l’emploi, avait pourtant vocation à atténuer les fluctuations asymétriques entre les États membres de la zone, celles que la Banque centrale européenne ne peut justement pas éliminer car elle mène, par définition, sa politique monétaire en fonction des évolutions moyennes dans la zone euro. Ce fonds de stabilisation aurait pu favoriser la convergence sociale entre les États membres de la zone euro, en harmonisant notamment le taux de remplacement (le rapport entre indemnité-chômage et salaire).

Un budget de nature structurelle

Le budget de la zone euro à vocation conjoncturelle que défendait la France mais aussi la Commission européenne deviendrait donc un budget de la zone euro à vocation structurelle, un peu à la façon de la politique de cohésion économique, sociale et territoriale du budget de l’UE. En effet, le communiqué poursuit :

« Cet instrument fera partie du budget de l’UE, sera cohérent avec d’autres politiques de l’UE et sera subordonné aux critères et aux orientations stratégiques des États membres de la zone euro. Nous déterminerons sa taille dans le cadre du CFP. Les caractéristiques de l’instrument budgétaire seront arrêtées en juin 2019. »

Au-delà de la question de la taille du budget de la zone euro, qui sera déterminante pour appréhender l’efficacité du nouveau dispositif, sa nature structurelle reste une bonne nouvelle. À défaut d’une convergence sociale par l’intermédiaire d’un fonds de stabilisation pour l’emploi, la zone euro se doterait tout de même d’un instrument supplémentaire permettant de renforcer, via la relance des investissements publics, l’activité macroéconomique des États membres. Si l’on en croit en effet la méta-analyse des économistes allemands Sebastian Gechert et Ansgar Rannenberg (version 2014 en libre accès, ou version 2018 publiée), l’instrument de politique budgétaire le plus à même de produire un fort effet multiplicateur, c’est-à-dire un fort effet sur le produit intérieur brut, est l’investissement public. Cet instrument peut donc favoriser la convergence réelle entre les États membres s’il est affecté en priorité aux régions et aux États en retard de développement selon les critères qui s’appliquent déjà à la politique de cohésion économique, sociale et territoriale du budget de l’UE.

Renforcer les stabilisateurs automatiques nationaux

C’est donc une étape importante dans l’amélioration du fonctionnement de la zone euro. Pour autant, le bon fonctionnement d’une union monétaire ne requiert pas uniquement la convergence entre ses États membres – plus leurs structures se rapprochent, plus le fait qu’ils partagent une seule et même monnaie prend du sens – mais aussi le renforcement de leur capacité à faire face à un choc asymétrique (ou capacité de résilience). Et l’on en revient alors à cette fameuse stabilisation de la zone euro.

Pour que la zone euro fonctionne plus efficacement, le budget structurel de la zone euro doit être adossé à des politiques budgétaires nationales libres de réagir aux fluctuations économiques. Ces stabilisateurs automatiques – les variations de dépenses sociales et de recettes fiscales qui varient au gré de l’activité – doivent effectivement rester nationaux en vertu du principe de subsidiarité qui veut qu’une politique soit menée en Europe à l’échelon, européen, national ou plus local, pour lequel elle sera la plus efficace. Le choix d’exclure la stabilisation macroéconomique européenne des prérogatives du budget de la zone euro répond à cette logique institutionnelle. Cependant, cela ne suffit pas, et face à la faiblesse de leurs propriétés stabilisatrices (Commission européenne, partie III, chapitre 4), les stabilisateurs automatiques nationaux devraient être renforcés.

La logique comptable appliquée aux politiques budgétaires européennes depuis les critères de Maastricht et le Pacte de stabilité et de croissance ainsi que la libéralisation des économies européennes entamée bien avant ont nui aux stabilisateurs automatiques. Les coupes budgétaires, dans les politiques d’indemnisation du chômage et dans les programmes sociaux, et les baisses d’impôts et les exonérations et niches fiscales attribuées à des catégories de ménages ou d’entreprises du haut de la distribution des revenus, des patrimoines ou des profits, réduisent l’efficacité des stabilisateurs automatiques : en phase basse de cycle, les ménages modestes reçoivent un peu moins d’aide de l’État tandis que les ménages aisés et les entreprises paient un peu moins d’impôts. Pour autant, les effets globaux d’un peu moins d’aide et d’un peu moins d’impôts ne se compensent pas au plan macroéconomique : la propension à consommer des ménages aisés est plus faible que celle des ménages modestes, et la propension des entreprises à investir en phase basse de cycle est généralement faible.

En phase haute de cycle, les ménages modestes perçoivent moins d’aide parce que l’emploi est mieux orienté tandis que les ménages aisés et les entreprises profitables continuent de bénéficier de leurs exonérations. En n’accumulant pas plus de recettes fiscales en phase haute de cycle, l’État ne dégage donc pas de marges de manœuvre budgétaires pour faire face à la prochaine phase basse de cycle. Lorsqu’elle vient à se produire, l’État reprend donc ses coupes budgétaires et fragilise un peu plus les stabilisateurs automatiques. Il faudrait pourtant, à l’inverse, que les États membres de la zone euro renforcent la progressivité de leur système fiscal et la réactivité des dépenses sociales par rapport aux variations de l’activité économique pour faire face, individuellement et collectivement, à un retournement conjoncturel. Tout un programme, sur lequel le dernier sommet a été très, voire trop, discret.

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