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Le catalan, le basque et le galicien, futures langues officielles de l’UE ?

Pedro Sanchez prononce un discours devant les drapeaux catalan, espagnol et européen
Pendant un discours à Barcelone en 2021, Pedro Sanchez se tient devant les drapeaux catalan, espagnol et européen. Lluis Gene/AFP

Le 17 août dernier, le gouvernement espagnol, dirigé par le socialiste Pedro Sanchez, a demandé à ce que le basque, le catalan et le galicien soient désormais reconnus comme langues officielles de l’Union européenne. Cette démarche est venue s’inscrire dans un ensemble de mesures promises par le premier ministre au parti indépendantiste catalan de Carles Puigdemont dans le cadre d’un accord de coalition.

L’ajout de langues officielles dans l’ordre juridique de l’UE n’est ni automatique, ni anodin. Le régime linguistique de l’Union s’est construit petit à petit dès l’entrée en vigueur du Traité de Rome en 1958. D’abord, les quatre langues de la Communauté (français, allemand, italien, néerlandais) ont été choisies. C’était alors un choix complètement révolutionnaire, que l’on peine toujours à expliquer aujourd’hui, mais dont on suppose notamment qu’il a permis d’éviter tout conflit en Belgique dès lors que le pays partageait ses trois langues officielles avec quatre autres États membres.

Une tradition s’est ensuite durablement installée : à chaque élargissement de l’organisation, les représentants des États membres au Conseil de l’UE intégraient la langue officielle de l’État entrant. À quelques exceptions près, le nombre de langues officielles de l’Union a donc augmenté progressivement à mesure que l’Union s’élargissait.

La règle de l’UE est celle du multilinguisme

Le règlement consacré à la question est très clair : l’UE est une organisation multilingue qui compte 24 langues officielles et de travail. Une recherche Internet un peu hâtive aurait pourtant tôt fait de semer le doute, car on a fortement tendance à confondre les langues officielles de l’UE et les langues de travail de certaines institutions.

En effet, la Commission européenne a pris l’habitude d’utiliser l’anglais pour son fonctionnement interne, ainsi que dans ses rapports avec d’autres institutions ou partenaires extérieurs (on peut estimer que l’anglais représente environ 80 % des usages, contre 15 % pour le français et le reste pour l’allemand). Il est parfaitement vrai que l’anglais jouit aujourd’hui d’une position largement dominante dans l’usage au travail de la plupart des institutions européennes. Cela peut paraître étonnant alors que le Brexit a été définitivement acté en janvier 2020, mais s’explique par le fait que l’unanimité des États membres est nécessaire pour effectuer le moindre changement – ajout ou retranchement – dans le nombre de langues officielles de l’Union.

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L’anglais étant la première langue étrangère maîtrisée par les Européens, il n’est pas étonnant qu’aucun des États membres n’ait cherché à demander une modification du régime linguistique dans le sens d’une suppression de cette langue véhiculaire efficace et déjà bien ancrée dans leurs habitudes. Pour autant, il serait faux de dire qu’une institution comme la Commission européenne n’utilise que trois langues de travail. On parle principalement anglais, français ou allemand à la Commission (par ordre d’importance), parce qu’il faut bien réussir à se comprendre lors des réunions et que l’on ne peut pas exiger qu’une armée d’interprètes se tienne en permanence disponible comme cela est nécessaire au Parlement européen.

Un euro-député est un élu au suffrage universel direct, qui doit pouvoir être choisi par le peuple sans considération pour ses aptitudes linguistiques ; en revanche, il est normal d’exiger des fonctionnaires de la Commission qu’ils sachent s’exprimer dans plusieurs langues européennes. Malgré la prédominance de l’anglais, l’ensemble des 24 langues officielles sont employées, à un moment ou un autre, par écrit ou par oral. La Cour de justice de l’UE veille d’ailleurs à ce que les concours d’embauche des fonctionnaires européens ne privilégient jamais l’anglais sans que cela ne soit dûment motivé par l’institution.

N’oublions pas, enfin, que les « langues de travail des institutions » ne doivent pas être confondues purement et simplement avec les « langues officielles de l’UE ». Ces dernières peuvent effectivement être employées dans les institutions (le Parlement européen en étant sans doute l’exemple le plus marquant), mais elles sont aussi notamment les langues qui font foi dans la rédaction des textes législatifs et des jurisprudences de la Cour de justice de l’UE. Ainsi, une directive ou un règlement européen ne seront réputés juridiquement opposables que s’ils ont été traduits et publiés dans toutes les 24 langues officielles de l’Union.

L’ajout systématique des langues officielles des nouveaux États entrants

Sur certains sujets, l’unanimité des pays membres de l’UE est nécessaire pour qu’une modification soit apportée aux règles existantes. C’est le cas de la fiscalité par exemple, mais aussi de l’élargissement de l’Union à un nouvel État, ou encore de son régime linguistique. Cette unanimité doit être recueillie au Conseil de l’Union européenne, c’est-à-dire lors de la réunion des ministres de chaque État. Pour une telle question institutionnelle, le ministre des Affaires étrangères de chacun des vingt-sept États membres sera donc convié à cette réunion du Conseil.

Jusqu’à aujourd’hui, il existait un certain consensus sur l’ajout d’une nouvelle langue officielle lorsqu’un nouvel État intégrait l’Union. Lors de la vague d’adhésion de 2004 et 2007 vers les pays d’Europe centrale par exemple, les États ont accepté d’ajouter quasiment autant de nouvelles langues officielles qu’il y eut de nouveaux États membres ; le hongrois au titre de la Hongrie, le tchèque pour la République tchèque, etc.

Pour différentes raisons, le cas des États membres qui avaient plusieurs langues nationales ou plusieurs langues officielles n’a pas posé de problème au moment des adhésions. La principale explication est qu’une langue qui est régionale dans un État est souvent la langue nationale d’un autre. Par exemple, la langue allemande au nord de l’Italie, ou française dans le Val d’Aoste. L’Espagne est un cas unique dans ce sens car, contrairement à la Belgique qui possède trois langues nationales, c’est un État qui s’organise avec une langue nationale et des langues régionales qui ne sont, dans l’ensemble, parlées qu’en Espagne.

Les langues régionales (principalement catalan, basque, galicien et aranais) jouissent d’un très haut niveau de protection puisqu’elles sont des langues co-officielles dans chacune des régions espagnoles concernées. Cette configuration particulière de l’Espagne explique que seul l’espagnol (castillan) ait été réclamé au moment de l’adhésion à l’UE.

Ce n’est pas la seule raison. Il est évident qu’en 1986, à la date de l’entrée de l’Espagne dans l’UE, la protection et la reconnaissance des langues régionales espagnoles n’étaient pas aussi poussées qu’aujourd’hui. À cela s’ajoute une volonté des États – que l’on constate souvent – d’employer leur seule langue nationale pour exercer leur diplomatie, ainsi que le souhait ne pas dévier de la tradition « une nouvelle adhésion, une nouvelle langue » qui avait prévalu jusqu’alors et qui permettait une certaine économie financière et logistique à l’UE.

Unanimité et budget : des conditions peu favorables

Une fois le régime linguistique de l’UE arrêté, la seule façon de le modifier est – nous l’avons dit – un vote unanime des États membres. Cela rend l’ajout ou le retrait d’une langue quasiment impossible en dehors de l’hypothèse d’une entrée d’un nouvel État membre. Cette unanimité rend très peu plausible le scénario dans lequel tous les autres États européens acceptent qu’un État propose d’ajouter trois nouvelles langues officielles.

En effet, aucun État européen n’aurait aujourd’hui un intérêt à accepter une telle modification, car elle alourdirait encore davantage le budget de l’UE consacré à la traduction et au fonctionnement multilingue. De plus, il est rare que les États européens voient d’un très bon œil que l’on accorde trop d’importance aux langues régionales et minoritaires. Il est très peu probable qu’un État comme la France, par exemple, accepte de soutenir cet ajout alors qu’elle est dans une posture historique et politique de forte défiance vis-à-vis de ses langues régionales et minoritaires.

Absolument rien ne laisse donc présager que la proposition espagnole sera suivie d’effet. En cas de probable réponse négative de la part de l’UE, les élus espagnols devront donc parvenir à faire preuve d’une grande habileté politique pour éviter que la coalition ne vole en éclats.

Comment l’UE peut-elle communiquer avec ses locuteurs catalans, basques et galiciens ?

Face à ce constat, il peut être intéressant de rappeler que l’Espagne a su, durant les vingt dernières années, trouver des solutions administratives intelligentes pour permettre à tous ses citoyens – même ceux qui ne parlent pas castillan ou ne souhaitent pas l’employer – d’avoir un accès plein et complet au droit de l’Union et aux institutions de l’UE.

L’un des principaux mécanismes consiste à permettre aux locuteurs des langues régionales espagnoles d’écrire aux institutions européennes dans leur langue (par exemple le catalan). L’institution destinataire envoie alors le texte à Madrid, qui se charge d’en effectuer une traduction en espagnol (langue officielle de l’UE). L’institution peut ensuite répondre au citoyen en espagnol puis transférer cette réponse à Madrid qui la traduira de nouveau dans la langue régionale (disons donc en catalan).

Puisque les trois langues régionales espagnoles ne sont pas des langues officielles de l’UE, il n’existe pas de service de traduction qui leur soit dédié au Parlement européen. Cela peut poser problème, car la règle européenne sous-tend qu’un député doit toujours pouvoir représenter ses concitoyens européens sans être entravé par une barrière linguistique. Les interprètes du Parlement européen expliquent que les députés s’accommodent du régime actuel et les experts de langue espagnole s’arrangent pour traduire le plus largement possible. Il demeure toutefois un réel enjeu de démocratie, surtout dans la mesure où les locuteurs du catalan sont nombreux (estimés à environ 9 millions). Mais l’unanimité nécessaire pour modifier le régime linguistique de l’Union a tendance à le « figer ».

Une solution en demi-teinte pourrait avoir pour effet de procurer les bénéfices du multilinguisme sans avoir pour conséquence d’alourdir trop gravement le budget et les efforts pratiques de l’UE. Il s’agirait d’une solution analogue à celle qui avait été apportée aux langues nationales irlandaise et maltaise, et qui pourrait s’avérer gagnante pour toutes les parties prenantes. Il s’agirait de convenir que la législation européenne juridiquement opposable aux citoyens doit être traduite et accessible dans les langues régionales d’Espagne, sans pour autant en faire des langues officielles de l’UE, ce qui aurait des conséquences beaucoup plus profondes pour l’organisation de toute l’Union…

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