Menu Close

Le coup de force de Loukachenko souligne l’impuissance de l’UE

Manifestation devant les bureaux de la Commission européenne à Varsovie, le 24 mai 2021, pour demander la libération de l'opposant biélorusse Roman Protassevitch
Manifestation devant les bureaux de la Commission européenne à Varsovie, le 24 mai 2021, pour demander la libération de l’opposant biélorusse Roman Protassevitch. La pancarte de droite proclame : « Votre préoccupation ne suffit pas. » Wojtek Radwanski/AFP

L’interception d’un avion de ligne Athènes-Vilnius de la compagnie RyanAir par un chasseur Mig-29 de l’armée de l’air biélorusse est d’une extrême gravité. La Biélorussie n’est pas une puissance régionale mais juste une voisine de l’UE et de la Russie. Qu’elle se sente autorisée comme bon lui semble à faire prisonniers durant une journée tous les passagers d’un vol européen envoie un signal désastreux : celui que l’Europe est un pantin diplomatique.

L’UE ne fait pas peur

Le régime de Loukachenko avait un objectif circonscrit : mettre la main sur Roman Protassevitch, un opposant déterminé qui a quitté son pays en 2019 et qui réside désormais en Lituanie, où il dispose du statut de réfugié politique. Ce n’est hélas pas la première fois, ni la dernière, qu’une dictature parvient à se jouer de la protection accordée en Europe à un de ses opposants. Mais il est totalement inhabituel qu’un État voisin de l’UE fasse prisonnier tout un groupe de ressortissants européens.

Cet arraisonnement ridiculise en quelques heures tous les discours sur la souveraineté européenne. Il occulte les actes qui lui donnent corps, certes lentement, depuis la désignation de la Chine comme « rival systémique » par les dirigeants de l’UE en mars 2019. Alors que l’idée d’une défense commune bénéficie d’une approbation importante (dans les enquêtes Eurobaromètre par exemple), ce coup de force aérien ruine l’intention proclamée des dirigeants européens de bâtir une armée ou une défense européenne dans l’actuelle décennie.

L’enseignement à tirer de cet événement est hélas très clair : l’UE n’inspire ni respect, ni peur. Elle a beau être une entité territoriale de plus de 450 millions d’habitants, cumuler l’un des plus gros budgets de dépenses militaires du monde, concentrer des acteurs de l’industrie de défense parmi les plus anciens, les plus sophistiqués et les plus exportateurs du globe, elle est un fantoche polémologique.

Une puissance incapable de se mobiliser

Il y a un état-major militaire de l’UE sous commandement du Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell, membre du Conseil européen de l’UE et de la Commission.

Il y a des États membres dont les armées sont équipées, entraînées et commandées par des gouvernements qui proclament la nécessité de savoir se défendre et de se préparer à toute éventualité. C’est le cas par exemple du gouvernement nationaliste polonais ; mais aussi de gouvernements de pays plus discrets qui, comme la Lituanie ou la Suède, ayant rétabli le service militaire, donnent régulièrement à leur population des consignes sur la conduite à adopter en cas d’invasion ou de guerre hybride venue du nord ou de l’est, à l’instar de ce qui se passe en Ukraine ; c’est aussi le cas du gouvernement grec qui alerte sur une possible guerre avec la Turquie ; le gouvernement français prône, lui, une capacité de défense européenne et l’extension des capacités françaises à la protection de l’Europe…

En effet, les Européens sont depuis près de dix ans en butte à des conflits de valeurs et à des manifestations inamicales, voire menaçantes, des puissances régionales de leur voisinage : récurrentes violations des espaces aériens, maritimes et cyber de l’UE dans l’espace baltique par les autorités russes depuis près de dix ans ; annexion de la Crimée en 2014 et quasi-occupation de l’Est de l’Ukraine par l’armée russe depuis 2015 pour empêcher l’accord d’association de celle-ci avec l’UE ; incursion de la marine turque dans les eaux territoriales grecques, c’est-à-dire européennes, durant plusieurs semaines en 2020 et 2021 pour tester la possibilité de réviser par la force le tracé de la frontière turco-européenne et préempter les gisements sous-marins de gaz.

Une humiliation de plus

Les 23 et 24 mai, aucun gouvernement européen, pas plus que leurs chefs réunis en Conseil européen, n’ont semble-t-il envisagé de faire décoller en temps réel des avions de chasse de pays européens pour répondre à l’arraisonnement du vol Athènes-Vilnius par l’armée de l’air biélorusse, pour intimider le gouvernement de Loukachenko, et pour exiger que l’avion civil détourné sur Minsk soit relâché avec tous ses passagers, ressortissants de l’UE et réfugiés politiques biélorusses. Qu’on n’objecte pas que c’eût été inutile, trop risqué ou irréaliste ! C’est exactement l’inverse : mobiliser des avions de chasse européens aurait été utile, hardi et réaliste.

Il ne s’agit pas de donner dans la martialité mais de se faire respecter et de garantir aux ressortissants européens le sentiment de protection qu’ils attendent légitimement de leurs autorités au sein de l’UE. Au passage, il s’agit également de rendre tangible la politique de protection aux opposants politiques menacés et poursuivis dans les dictatures.

Les chefs d’État et de gouvernements réunis en Conseil européen le 24 mai ont renforcé les sanctions à l’encontre du régime de Loukachenko. C’est tout ? Celles-ci ne l’avaient pourtant pas dissuadé d’intercepter le vol Athènes-Vilnius.

La pente est glissante ; à force d’à-coups, elle pourrait se transformer en toboggan pour la crédibilité des Européens dans leur propre espace régional et en annus horribilis pour la diplomatie européenne. Les masques sont d’abord venus de Chine ; les vaccins ont surtout été trouvés avec le financement des États-Unis ; le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell a été mis en position de grande faiblesse, pour ne pas dire humilié, lors de son dernier voyage à Moscou ; lors du sofagate, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a été rabaissée et déconsidérée durant sa visite de haut rang à Ankara, devant un Charles Michel, président du Conseil européen, impuissant voire adjuvant. Et maintenant, c’est tout un avion de ligne sur un vol intra-européen qui est arrêté par l’armée d’un pays militairement et économiquement modeste, avec lequel l’UE entretient des relations diplomatiques depuis trente ans.

Quelle sera la prochaine occurrence ? Le plan de relance financé par des bons du trésor européens témoigne que les dirigeants européens sont capables de réagir ensemble et fort face aux défis intérieurs imprévus. Il est urgent que les dirigeants européens s’autorisent à réagir promptement face aux défis et aux provocations extérieurs sans céder à la peur. Personne ne leur en fera le reproche, au contraire.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,100 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now