Menu Close

Le Front national, un parti de plus en plus national

Meeting de Marine Le Pen le 1er mai 2012. Blandine Le Cain/Flickr, CC BY

Avec plus de 28 % des suffrages exprimés, les listes du Front national (FN) ont remporté le premier tour des élections régionales et atteint un niveau jamais rencontré, même dans les élections les plus récentes où le parti de Marine Le Pen semblait déjà avoir « fait le plein de ses voix » : 24,9 % lors des élections européennes de 2014 ; 25,2 % lors des élections départementales de mars 2015.

Cette forte dynamique s’inscrit dans la continuité d’une croissance engagée en 2012 qui a tendance à remanier la structure des soutiens démographiques et sociaux du Front national tout en trouvant, dans la période post-attentats du 13 novembre, des éléments conjoncturels décisifs pour comprendre l’installation de cet électorat frontiste dans la position de premier électorat de France.

Un profil « classique » renforcé

La poussée du Front national est sensible dans tous les milieux, tout en préservant les fortes spécificités de cet électorat. Celui-ci reste à dominante masculine : 34 % des hommes choisissent une liste du Front national contre 27 % des femmes. Il est à la fois jeune et mature : 33 % des moins de 35 ans et des 35 à 64 ans contre seulement 23 % des 65 ans et plus. Enfin, il est enraciné dans une alliance des couches populaires et des travailleurs indépendants : 35 % des professions indépendantes, 41 % des employés, 46 % des ouvriers, 41 % des chômeurs, contre 18 % seulement des cadres supérieurs. (Tous les chiffres cités sont extraits d’une enquête IPSOS Sopra Steria réalisée pour le CEVIPOF et Le Monde entre le 20 au 29 novembre 2015.)

Le vote frontiste reste aussi très corrélé au niveau de diplôme et à la richesse du foyer. Alors que 37 % des personnes sans diplôme et 39 % de ceux qui sont détenteurs d’un diplôme professionnel (BEP, CAP) votent en faveur du FN, 15 % seulement de ceux qui ont un diplôme Bac+4 ou « grandes écoles » font de même. Alors que 36 % des Français qui vivent dans un foyer où le revenu mensuel est inférieur à 1250 euros par mois choisissent de voter en faveur du Front national, 19 % seulement de ceux qui sont dans un foyer où le revenu est de 6000 euros et plus partagent ce vote.

Au-delà de ce profil classique où le Front national a renforcé – souvent massivement – son influence dans des milieux qui déjà lui accordaient leurs faveurs, le parti de Marine Le Pen a su s’attaquer à d’autres qui, jusqu’alors, lui étaient relativement hostiles.

Des nouvelles terres de conquête

Dans le milieu des couches moyennes salariées qui, pendant longtemps, ont résisté à la pénétration de la droite et du FN, les listes du Front national sont aujourd’hui en première position (28 %) devant les listes de droite (25 %) et du PS (25 %). Chez les agriculteurs exploitants, la percée est également impressionnante (33 %) et amène le Front national à proximité des listes LR/UDI/MoDem (37 %). Enfin, dernier bastion sociologique de la gauche, les salariés du public sont en train de céder puisque, là aussi, les listes du Front national sont en tête (30 %) devant le PS (26 %) et la droite associée au centre (22 %).

Dans ce monde des « gens du public », tous les milieux sont touchés puisque si le Front national atteint un sommet parmi les salariés des entreprises publiques (36 %) il est également très présent dans la fonction publique hospitalière (30 %), la fonction publique d’État (28 %) et la fonction publique territoriale (27 %). Les couches moyennes salariées et le monde du public semblent être les dernières terres de conquête du Front national. Cela lui permet aujourd’hui d’avoir une véritable implantation nationale, tous azimuts, puisque dans aucun milieu social il n’est en dessous de la barre des 18 % (cadres supérieurs).

Ce parti « national », qui rassemble une majorité relative dans l’immense majorité des tranches d’âge et des milieux sociaux, a été aidé dans la période récente par une conjoncture porteuse pour lui.

Une conjoncture porteuse

Ce parti qui pouvait connaître des problèmes de mobilisation dans les « élections intermédiaires » est, aujourd’hui, celui qui a le mieux réussi à mobiliser ses soutiens potentiels dans ces élections régionales. 79 % des électeurs qui ont voté en faveur de Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2012 déclarent être tout à fait sûrs de voter aux régionales. C’est l’électorat le plus mobilisé devant celui de Nicolas Sarkozy (78 %), de François Hollande (70 %) et de Jean-Luc Mélenchon (66 %).

Une fois mobilisé, l’électorat frontiste est celui qui est le plus fidèle : 93 % des électeurs présidentiels de Marine Le Pen qui se déplacent aux régionales déclarent leur intention de voter pour une liste du Front national, alors que seulement 73 % des électeurs de Nicolas Sarkozy et 70 % des électeurs de François Hollande ont l’intention de voter pour une liste LR/UDI/MoDem ou une liste socialiste. Le Front national fidélise de plus en plus ses soutiens d’une élection à l’autre et est de moins en moins victime d’une volatilité des comportements et en particulier des comportements de participation électorale.

Cette capacité mobilisatrice a été activée par la séquence des attentats de janvier et de novembre qui ont propulsé au premier plan de l’agenda politique les enjeux de la sécurité et de l’immigration sur lesquels le Front national a construit depuis plus de trente ans son image et une partie de sa crédibilité. Parmi les Français qui partagent un credo sécuritaire fort et chez ceux qui expriment des inquiétudes par rapport à l’immigration et à l’islam, le Front national atteint aujourd’hui des niveaux très élevés.

Comme la conjoncture très récente a propulsé ces thèmes au premier plan des préoccupations des Français et a entraîné en même temps une minoration des thèmes économiques et sociaux, un véritable vote d’enjeux a libéré une nouvelle dynamique pour le Front national. On peut citer quelques exemples. Ainsi alors que 39 % des personnes interrogées sont favorables à un rétablissement de la peine de mort, 56 % de ceux-ci choisissent de voter en faveur des listes du Front national. Sur les 50 % des personnes interrogées qui ne partagent pas l’idée que « les enfants d’immigrés nés en France sont des Français comme les autres », ils sont 58 % à voter en faveur du Front national.

Comme un aimant

Ces thématiques, ces inquiétudes et ces rejets ont permis au Front national d’attirer toute une série d’électeurs venant de l’abstention, des votes blancs et nuls, mais aussi de la droite et de la gauche : 37 % des abstentionnistes de la présidentielle de 2012 qui se sont rendus aux urnes se sont tournés vers le Front national, 26 % de ceux qui avaient choisi le vote blanc ou le vote nul, 20 % de ceux qui avaient voté en faveur de Nicolas Sarkozy, 10 % de ceux qui avaient voté en faveur de François Hollande, 9 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon et 8 % de ceux de François Bayrou. Les listes du Front national agissent comme un véritable aimant dans un système politique et électoral qui a perdu nombre de ses boussoles traditionnelles.

Cette exceptionnelle dynamique du Front national se comprend au confluent du temps long et du temps court. Le temps long de la crise économique et sociale, des mutations de la société post-industrielle, des dégâts réels ou supposés de l’ouverture des économies et des sociétés et du malaise démocratique. Le temps court d’une actualité marquée par le drame des attentats, l’horreur du terrorisme, le télescopage des périls internationaux et des périls nationaux, la prise de conscience de défaillances graves dans l’intégration d’une partie de l’immigration et dans la protection due à la communauté nationale.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 180,900 academics and researchers from 4,921 institutions.

Register now