Le méthane est l’une des molécules les plus abondantes sur Terre, mais c’est un gaz à effet de serre et il est très difficile à convertir en produits chimiques ou en carburants.
Nous avons proposé une méthode novatrice pour convertir le méthane en éthane, à température ambiante et sous l’influence de la lumière. L’éthane peut ensuite être utilisé pour la production d’éthylène, molécule plate-forme pour la synthèse de polymères et de matières plastiques.
Pourquoi s’intéresser au méthane ?
Le méthane provient de ressources renouvelables et fossiles : le biogaz, le gaz naturel, le gaz de houille, le gaz de schiste et les clathrates présents dans les fonds marins.
Cette découverte ouvre des perspectives pour mieux valoriser chimiquement le méthane issu de ressources renouvelables, par exemple le biogaz dont la France dispose de grandes réserves. Le biogaz est actuellement brûlé sur le site de production ou réinjecté dans le réseau de gaz naturel, ce qui conduit à la génération de CO2, le principal gaz à effet de serre émis par les activités humaines. Trouver des moyens de transformer le méthane en produits à haute valeur ajoutée, sans générer de CO2, est un défi scientifique et technologique.
Utiliser l’énergie solaire pour convertir le méthane en éthane
La lumière du soleil offre une opportunité de transformer le méthane à température ambiante. Pour convertir du méthane en éthane sans émettre de CO2, nous avons exploité le concept de « boucle photochimique ».
Cette boucle est composée de deux étapes. Au cours de la première étape, le méthane (pur dans nos expériences) est introduit dans le réacteur, en phase gazeuse, sous petite pression (3 bars). Le réacteur contient une poudre solide « nanocomposite », constitué de cristaux nanométriques d’oxyde de titane, qui absorbe la lumière du soleil. Les cristaux nanométriques sont couverts par une couche mince d’« hétéropolyacide », des acides bien connus en chimie dans lesquels nous avons remplacé les protons H⁺ par de l’argent sous forme de cations Ag⁺.
Le processus implique une réaction stœchiométrique du méthane avec l’argent cationique, sous l’influence de la lumière : la lumière induit très probablement la génération d’atomes métalliques d’argent. La réaction produit aussi des protons et des « radicaux méthyle ». Le radical méthyle est très réactif et il se couple à un autre radical pour générer de l’éthane. Ainsi, la réaction de production d’éthane ressemble à ceci :
2Ag⁺ + 2CH4 = 2Ag + C2H6 + 2H⁺
La recombinaison des radicaux méthyles conduit à la formation sélective et presque quantitative d’éthane (c’est-à-dire que la quantité de méthane convertie en produit de valeur est grande par rapport à la quantité totale de méthane converti ; il y a le moins possible de produits inutiles) : deux molécules de méthane pour une molécule d’éthane, sans production de dioxyde de carbone. En comparaison avec la combustion, nous ne produisons pas de CO2 et nous produisons à la place un produit qui a de la valeur : l’éthane.
Dans la seconde étape, dite « de régénération », le nanocomposite est exposé à la lumière, à température ambiante et à l’air libre, ce qui conduit à une réoxydation de l’argent métallique, et donc une régénération des ions argent. Le nanocomposite est donc prêt pour le cycle suivant de couplage du méthane. C’est précisément le principe d’un catalyseur : il participe à la réaction chimique (généralement pour accélérer la réaction), mais il est régénéré dans une étape subséquente.
La boucle de couplage du méthane et de régénération du nanocomposite peut être répétée un nombre illimité de fois. La quantité maximale d’éthane produite lors d’une itération de la boucle photochimique dépend de la quantité de composite d’argent dans le réacteur : par exemple, on peut ainsi transformer en éthane environ 3,5 L de méthane à pression atmosphérique en utilisant 1 kg de composite d’argent ; puis on répète la réaction.
La technologie développée dans cet article ressemble à celle de la photographie argentique développée au XIXe siècle par le scientifique français Nicéphore Niépce et repose sur la photosensibilité des composés d’argent. Nicéphore Niépce positionne à l’arrière d’une camera obscura des feuilles de papier couché aux sels d’argent, qui sont déjà connus pour noircir à la lumière du jour. En mai 1816, il produit la première image de la nature : une vue depuis une fenêtre.
Objectif : partir du méthane pour produire, à bas coût, d’autres composés que l’éthane
Notre équipe de recherche, à Lille, poursuit actuellement son travail sur de nouvelles technologies pour la conversion du méthane à température ambiante en d’autres produits chimiques à haute valeur ajoutée, par exemple du monoxyde de carbone, du méthanol et des alcanes. L’objectif est la conversion très sélective du méthane en une diversité de composés chimiques, avec des coûts de production bas, et sans émission ni de dioxyde de carbone ni d’autres composés indésirables et toxiques.
En effet, actuellement, les hydrocarbures comme l’éthane sont produits par le craquage du pétrole, qui n’est bien sûr pas une ressource renouvelable. La plupart des voies actuelles de conversion du méthane nécessitent des températures élevées, supérieures 800 °C, ce qui entraîne une consommation d’énergie très importante. De plus, la combustion de combustibles fossiles, qui est généralement utilisée pour chauffer le réacteur, émet du dioxyde de carbone. La valorisation du méthane à température ambiante et grâce à l’énergie solaire ouvre des voies très prometteuses pour l’utilisation rationnelle des ressources énergétiques ainsi que pour la protection de l’environnement.