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Le Mouvement 5 étoiles en Italie : lecture marketing d’un phénomène politique inclassable

Beppe Grillo, le 2 mars 2018, à Rome, lors du dernier meeting de la campagne. Filippo Monteforte/AFP

Les récentes élections italiennes ont été marquées par la victoire du Movimento 5 Stelle (Mouvement 5 étoiles), surnommé le « M5S », un parti fondé par le comédien Beppe Grillo et ses fans en 2009. Pour nombre d’observateurs nationaux et internationaux, ce mouvement est inclassable si l’on s’en tient à l’idée traditionnelle de droite et de gauche. Ainsi, il apparaît à la fois comme étant un mouvement populiste, anti-parti, anti-système, etc.

Cependant, le M5S est la résultante de la mutation de nos sociétés occidentales, moins centrées comme par le passé sur le travail et la culture de la production (sur lesquels s’appuie le consensus politique traditionnel), et plus axées sur la culture de la consommation. D’où l’expression courante de « sociétés de consommation » utilisée par les sociologues et les marketeurs pour définir nos sociétés.

Dans cette perspective, le M5S se distingue des mouvements populistes européens : il s’apparente avant tout un fandom (fanbase), c’est-à-dire un mouvement de fans activistes mobilisés par les messages d’une « célébrité-marque » issue de l’industrie culturelle, Beppe Grillo.

Les origines et l’exploit

Le M5S puise ses racines dans le blog beppegrillo.it que le comédien a mis en ligne en 2004 après avoir été banni dans les années 80 de la télévision nationale. Sur ce blog, Beppe Grillo débat de questions économiques et sociales, mais il dénonce aussi les défaillances de la classe politique italienne. Très vite, le blog devient l’un des plus influents au monde selon The Guardian. D’un point de vue marketing, Beppe Grillo est une célébrité qui fonctionne comme une marque commerciale avec ses contenus, ses textes et son public de fans.

Depuis 2004, ses fans se sont organisés en groupes d’activistes locaux – « Les amis de Beppe Grillo » – et participent au débat public local. En 2007, Grillo lance sur le blog un programme politique pour discuter avec eux. Ces discussions portent notamment sur des propositions d’experts de renommée internationale (dont Joseph Stiglitz) concernant des questions d’intérêt public. Le but étant de les présenter au premier ministre de l’époque Romano Prodi pour qu’il les intègre à l’agenda gouvernemental, ce qui ne fut pas le cas.

L’irrésistible ascension du M5S

Durant la période 2007-2008, Grillo organise à Bologne et à Turin en direct, mais aussi en duplex avec d’autres villes italiennes, les deux « V-Day », des rassemblements pour manifester contre les partis politiques avec la participation de plusieurs célébrités et des milliers de personnes. Les deux événements permettent aussi de recueillir les signatures pour les projets de loi populaires de réforme de la classe politique qui seront ensuite présentés aux institutions publiques, mais encore une fois sans qu’il n’y ait de suite.

En 2008, les listes civiques Beppe Grillo participent pour la première fois aux élections locales. Le 4 octobre 2009, l’ensemble des groupes de fans présents sur le territoire italien et à l’étranger participent à la création officielle du M5S. En 2010, les fans, désormais activistes, participent aux élections régionales (Campanie, Émilie-Romagne, Lombardie, Piémont, Vénétie) avec des résultats prometteurs.

Lors des élections nationales de 2013, et contre toute attente, le M5S atteint les mêmes scores que les partis traditionnels de gauche et de droite, soit environ 25 % des voix. Mis à l’écart par le système politique, le M5S prend place au sein de l’opposition où, de 2013 à 2018, les nouveaux élus dénoncent de l’intérieur tout acte contre les intérêts du peuple italien et à l’avantage des groupes de pouvoir.

En 2016, le M5S a remporté les élections locales dans de grandes villes comme Rome et Turin. En 2018, lors des élections du 4 mars, le M5S devient la première force politique avec 32 % des voix là où le deuxième parti (Parti démocratique) enregistre 18 %.

Un mouvement populiste… au temps de la société de consommation

Le M5S fait partie de ces nouveaux mouvements populistes qui ont émergé ces dernières années en Europe, tels Podemos en Espagne, Aube dorée en Grèce, UKIP au Royaume-Uni, AFD en Allemagne, etc. Mais il présente également des traits en commun avec « En Marche » surtout du fait de sa transversalité entre droite et gauche.

Tous ces mouvements sont apparus comme une réponse à la crise des partis traditionnels. La spécificité du M5S réside dans sa création : il a été créé par le comédien Beppe Grillo grâce au soutien d’un entrepreneur du digital, Gianroberto Casaleggio. Évidemment, deux personnes ne suffisent pas à créer un mouvement. Le troisième acteur, souvent oublié dans les analyses, est le groupe de fans de Beppe Grillo, ceux qui l’ont suivi lors de ses spectacles, sur son blog et au sein de son mouvement.

Ces fans ont peu à peu agrégé d’autres personnes autour d’eux pour atteindre et dépasser la masse critique nécessaire, afin que le M5S ait un impact dans le débat public. Ce qui semble donc inclassable, selon les catégories traditionnelles de la politique, se révèle tout à fait compréhensible dans l’esprit du temps de notre société de consommation. D’ailleurs, ce n’est peut-être pas par hasard si le M5S est surtout populaire parmi les jeunes alors qu’il a du mal à gagner du terrain chez les plus de 50 ans.

Le web, arme absolue des « grillini »

La relation qui lie Beppe Grillo à ses fans et ses fans entre eux, notamment grâce au support du web, s’inscrit pleinement dans celle qui a cours au sein des mouvements de fans (ou fandom), en plein essor dans nos sociétés. Les fandoms sont le résultat de la culture de consommation de masse ou populaire où les médias et surtout les célébrités jouent un rôle central. Les fans s’approprient des contenus véhiculés par les médias pour en créer de nouveau afin de défier l’establishment du pouvoir politique, économique et financier.

Dans ce scénario, une grande partie de la presse et des programmes d’information font office de rempart des élites dominantes, alors que le web est l’arme avec laquelle les fans, et en l’occurrence les « grillini » (fans de Beppe Grillo), mènent la guérilla contre le système en répandant de la contre-information et une vision alternative de la vie en société.

À Bologne, en 2009. Cris/Flickr, CC BY

En tant que fandom, le M5S se heurte au statu quo et aux mécanismes qui le régissent. Ainsi, il subvertit les catégories traditionnelles de gauche et de droite, en proposant simultanément un revenu universel pour tous les citoyens vivant en dessous du seuil de pauvreté et un soutien pour les petites et moyennes entreprises. Le web (du blog à l’actuelle plateforme Rousseau) est non seulement un moyen de communication, mais aussi une infrastructure permettant le fonctionnement du mouvement, la sélection de candidats, les propositions et les débats d’idées, l’élaboration de programmes, etc.

Cette utilisation du web qui relie élus, activistes et citoyens ordinaires est le moyen privilégié par le biais duquel le M5S vise à remplacer l’une des institutions fondamentales des démocraties modernes – la démocratie représentative – par la démocratie directe.

C’est là que réside la différence fondamentale entre le M5S et les autres mouvements « populistes » européens. Alors que tous se positionnent sur la fracture qui sépare le peuple des élites, le M5S incarne le pouvoir que la culture de consommation (la marque et ses fans) peut exercer sur l’évolution des sociétés occidentales. À l’inverse de l’ensemble des mouvements européens qui restent liés aux catégories politiques et/ou à l’histoire des partis traditionnels, même s’ils ont acquis des formes plus mouvantes et adaptées à la société contemporaine.

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