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Le nouveau visage du nationalisme européen

(De g. à d.) Olli Kotro, membre du parti conservateur finlandais. Joerg Meuthen, porte-parole de l'AfD en Allemagne. Matteo Salvini, ministre de l'Intérieur italien et Anders Primdahl Vistisen, membre du Parti populaire du Danemark, le 8 avril 2019 lors d'une réunion des nationalistes européens à Milan. Miguel Medina/AFP

Ceux que l’on appelle les nationalistes défendent leur nation comme étant un principe sensé qui régit tout. La plupart d’entre eux ne semblent pas être opposés à une construction européenne. Cependant, la nuance est de mise : les nationalistes ne sont pas non plus pour un approfondissement de cette construction.

De ce point de vue là, il existe une différence notoire entre les nationalistes et ceux qu’on pourrait appeler les « européistes » ou les pro-européens. Notamment dans la forme que prend le combat qu’ils mènent en faveur de la défense de leur nation ou de ce qu’ils appellent « l’État-nation ». Aujourd’hui, les nationalistes considèrent que ce combat peut se faire – et gagne à se faire – à l’intérieur de la construction européenne.

Dans l’ouvrage que j’ai co-écrit avec Jacques Lévy, on peut interpréter ce changement à travers l’importante métamorphose du nationalisme en Europe par rapport à l’entre-deux-guerres – une référence faite régulièrement dans la période dans laquelle nous vivons actuellement.

Dans les années 30, les nationalistes considéraient que leur État-nation était supérieur aux autres, s’inscrivant dans une sorte de pyramide dans laquelle existait une hiérarchie. Les plus radicaux d’entre eux considéraient qu’ils avaient le droit et le devoir de conquérir d’autres États-nations – ce fut le cas des nazis.

Le congrès de l’Europe des nations et de la liberté (ENF) au Parlement européen à Coblence, en Allemagne occidentale, le 21 janvier 2017. Roberto Pfeil/AFP

Désormais, les nationalistes européens disposent tous de partis politiques. Ils ne pensent plus que leur nation est supérieure aux autres, mais plutôt qu’il existe une convergence des nations et surtout l’existence d’un ennemi commun qui se trouve à l’extérieur de l’Europe (l’islam, les musulmans, les Arabes, les Noirs…). En ce sens, ils reconnaissent que l’UE est quelque chose de positif.

Un attachement au modèle économique

L’UE est également une institution disposant de ressources institutionnelles et commerciales et dotée d’une politique d’asile et d’une politique migratoire communes. Pourquoi ne pas mettre ces ressources au service de leur vision du monde ?

D’autre part, l’électorat des nationalistes n’est pas prêt à quitter l’UE et encore moins à quitter la zone euro. Selon des sondages Eurobaromètre commandés par la Commission européenne, on constate que l’euro est redevenu populaire dans la plupart des pays européens.

Globalement il y a un attachement à la devise européenne qui est très fort. Quel que soit le parti politique pour lequel on vote, tout le monde comprend qu’à partir du moment où l’on sort de la zone euro, il existe un gros risque de dévaluation de la monnaie.

Les populistes au gouvernement, en particulier les eurosceptiques de Hongrie ou de Pologne, dirigent des pays qui sont parmi ceux qui reçoivent le plus de financements de la part des politiques européennes. Un exemple : l’argent qui est versé par l’UE à la Hongrie, dans le cadre de ce que l’on appelle la politique régionale de l’UE ou politique agricole commune. Ces sommes, versées chaque année, représentent 4 % du PIB de la Hongrie. Il convient ainsi de rappeler que l’UE représente aussi pour les souverainistes des ressources budgétaires très concrètes.

Un extrême droite encore timide au Parlement européen

Aujourd’hui, les nationalistes ne disent plus : « L’Europe tu l’aimes ou tu la quittes », mais plutôt : « L’Europe, tu ne l’aimes pas mais tu ne la quittes pas », pour la transformer de l’intérieur.

En Autriche, l’extrême droite eurosceptique et nationaliste est le FPÖ (parti de la liberté d’Autriche). Ce parti est le partenaire junior de la coalition gouvernemental. Le parti « senior » est le grand parti de droite chrétien-démocrate, l’ÖVP. Le chancelier Sebastian Kurz, qui en est le dirigeant, a confié deux ministères régaliens au FPÖ d’extrême droite. Du jamais vu depuis la fin de la Seconde guerre mondiale en Europe. L’extrême droite dirige ainsi les ministères de l’Intérieur et de la Défense. On ne saurait mieux signifier combien la droite autrichienne est en train de faire sienne la doctrine d’extrême droite sur les questions des libertés, de la sécurité, de l’État de droit, des migrations et de l’asile.

Il n’y a pas qu’en Autriche. Le ministère de l’Intérieur est aussi dirigé par l’extrême droite en Italie, et par la droite ultra-conservatrice et xénophobe en Hongrie et en Pologne. L’extrême droite parvient donc à avoir sur les politiques européennes une influence certaine, et à peser au sein du Conseil de l’Union européenne, l’Assemblée des États-membres.

Le chancelier autrichien Sebastian Kurtz, le 14 décembre 2018 à Bruxelles lors du sommet européen consacré à l’accord Brexit. Emmanuel Dunand/AFP

On assiste à une espèce de recyclage ou de mutation du nationalisme classique en nationalisme européen : si ces partis politiques investissent véritablement les institutions européennes (ce qu’ils ne font pas vraiment de façon méthodique et systématique pour l’instant), cela leur permettrait de détourner les institutions européennes des valeurs au service desquelles ces dernières ont été créées initialement.

Le combat idéologique à venir

Depuis 15 ans, élection après élection les partis populistes d’extrême droite ou eurosceptiques progressent au Parlement européen. Les estimations actuelles leur donnent à cette famille politique 20 à 25 % des sièges dans le futur Parlement.

L’espoir européen de ces partis politiques est de constituer le troisième groupe parlementaire. Cela supposerait qu’ils siègent tous dans un même groupe, alors qu’aujourd’hui ils sont répartis dans trois groupes distincts (CRE, EFDD, ENL) – et même quatre, puisque le parti Fidesz du gouvernement hongrois de Viktor Orban est membre du PPE, le grand groupe de droite. Le cas échéant ils pourraient alors présider plusieurs commissions ou encore rédiger plusieurs rapports parlementaires. Ils pourront aussi influencer l’ordre du jour du Parlement et mettre sur la table des projets de résolution.

Faut-il y voir les prémices d’un nouveau combat politique, au sens noble et plein du mot, avec la confrontation de deux projets d’Europe bien distincts ? Le Parlement européen élu en 2019 en serait le lieu central. En effet, ce risque de détournement de l’intérieur des ressources institutionnelles et politiques de la construction européenne par les forces politiques qui en combattent les valeurs et l’esprit devraient obliger les familles politiques dites « pro-européennes » à faire preuve d’inventivité et de combativité pour faire triompher leurs projets et leurs doctrines.


L’auteur, historien et géographe, a récemment publié avec le géographe Jacques Lévy « Le pays des Européens » aux éditions Odile Jacob.

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