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Le référendum d’initiative partagée, un instrument démocratique neutralisé

Une photo prise le 15 octobre 2018 montre des drapeaux français devant le siège du Conseil constitutionnel français à Paris.
C'est le Conseil constitutionnel qui est chargé de contrôler le respect des dispositions de l’article 11 de la Constitution relatif à l'organisation de référendum. Bertrand Guay/AFP

La proposition de référendum d’initiative partagée (RIP) sur la création d’une taxe sur les superprofits soutenue par la Nupes a été rejetée par décision du Conseil constitutionnel le 25 octobre 2022. Il s’agit de la troisième tentative d’utilisation du RIP, après la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris (2019) et celle de programmation pour garantir un accès universel à un service public hospitalier de qualité (2021).


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En fermant la possibilité d’organiser un RIP, la décision du Conseil constitutionnel confirme la tendance à la neutralisation de cet instrument démocratique et contribue à le cantonner dans un rôle d’arme de guérilla parlementaire.

Le juge constitutionnel devait trancher

La proposition d’une taxation des profits réalisés par les grandes entreprises à l’occasion de conjonctures défavorables (pandémie de Covid, guerre en Ukraine) remplissait la condition d’être soutenue par un cinquième des parlementaires (185) puisqu’elle a recueilli 242 signatures.

Dès lors, le Conseil constitutionnel doit contrôler le respect des dispositions de l’article 11 de la Constitution par la proposition, ce qui impose notamment de vérifier que son objet entre dans les domaines fixés par ce même article. Or, par sa décision du 25 octobre, le Conseil a estimé ce n’était pas le cas.

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Une proposition de RIP peut porter (depuis la réforme constitutionnelle de 1995) « sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».

Il est clair que la proposition défendue par la Nupes ne pouvait se rattacher qu’à « la politique économique de la nation ». Or, le juge constitutionnel devait se prononcer pour la première fois sur ce point, car dans les deux précédentes décisions rendues à propos d’un RIP, le juge avait reconnu que les propositions entraient dans le champ de l’article 11 puisqu’elles avaient porté sur un service public et sur la politique sociale.

Une interprétation restrictive du domaine du référendum

Deux questions complémentaires devaient obtenir une réponse positive pour que la proposition entre dans le champ de l’article 11 : la proposition relevait-elle du domaine « économique » ? Constituait-elle une « réforme » relative à une « politique » ?

Contrairement aux constitutions italienne ou portugaise, une proposition de nature fiscale n’est pas exclue explicitement par la constitution française. Le juge constitutionnel n’a d’ailleurs pas écarté explicitement un tel type de proposition, pour autant qu’elle s’insère dans une réforme relative à une politique.

En revanche, le juge a estimé que la proposition ne constituait pas une « réforme » relative à une « politique » car elle se limitait à « abonder le budget de l’État par l’instauration… d’une mesure qui se borne à augmenter le niveau de l’imposition existante des bénéfices de certaines sociétés » et avait seulement un caractère temporaire (« jusqu’au 31 décembre 2025 »).

Plus largement, on peut considérer que le juge retient une interprétation restrictive du domaine du référendum, s’écartant du principe de l’article 3 de la constitution selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

Une procédure ramenée au rôle d’arme de guérilla parlementaire

La décision du 25 octobre 2022 contribue à cantonner la procédure de l’article 11 à une manœuvre parlementaire. Elle participe à installer la procédure de dépôt d’une proposition de référendum dans une logique d’opposition politique à l’exécutif.

Autrement dit, le dispositif mis en place à l’article 11 pourrait apparaître en pratique comme une compensation de la faible capacité d’action de l’opposition parlementaire. Et cette démarche a porté ses fruits de manière indirecte si l’on se réfère au précédent de la proposition déposée pour empêcher la privatisation d’Aéroports de Paris : celle-ci n’a recueilli qu’un million de soutiens populaires mais a convaincu le gouvernement de renoncer à cette privatisation.

La tendance à utiliser la voie du RIP comme instrument de pression parlementaire par l’opposition est confortée par le nombre élevé de signatures exigées. En effet, même si le juge constitutionnel valide la proposition, il faut encore recueillir l’appui de 10 % du corps électoral (soit 4,7 millions de soutiens), qui devrait sans doute être revu à la baisse pour se rapprocher de la situation des pays qui pratiquent une initiative populaire du référendum. D’ailleurs, si les signatures suffisantes sont recueillies, le parlement est saisi pour se prononcer sur la proposition et c’est seulement si les deux chambres n’ont pas examiné la proposition dans un délai de 6 mois que le Président soumet la proposition au peuple.

Dès lors, la conception restrictive de l’objet du référendum par le Conseil participe à la neutralisation de cet outil – qui aurait pu être une façon de rééquilibrer les pouvoirs institutionnels, en tempérant le pouvoir exécutif et sa majorité et de revitaliser la démocratie – et tend à installer la procédure de l’article 11 dans un jeu purement institutionnel entre opposition et majorité.

Le Conseil constitutionnel, soutien conjoncturel de la majorité ?

Il est vrai que la réforme de la constitution en 1974 relative à la saisine du juge constitutionnel par 60 députés ou 60 sénateurs avait permis à l’opposition de

chercher dans le Conseil constitutionnel un arbitre ultime entre majorité et opposition. Mais la démarche produit un effet objectif : le juge étant saisi, la loi est examinée par rapport à la constitution et l’opposition permet ainsi de vérifier la constitutionnalité des lois, dans l’intérêt général. Alors que dans le cadre de l’utilisation de l’article 11, il s’agit de plutôt d’une arme de guérilla parlementaire qui risque de mettre le Conseil constitutionnel à rude épreuve car il pourrait apparaître comme celui qui empêche la consultation populaire.

Certes le principe du contrôle est d’autant plus nécessaire que le Conseil se refuse à exercer un contrôle sur les lois référendaires. Cependant, une fermeture de l’accès au RIP fondée seulement sur le non-respect de son champ d’application nécessite d’être particulièrement motivée pour justifier la mise à l’écart du peuple et permettre aux auteurs de propositions de connaître le cadre dans lequel ces dernières seront acceptables.

Enfin, le rejet opéré par le Conseil constitutionnel est d’autant plus discutable que la probabilité d’obtenir les 4,7 millions de soutiens populaire paraît très faible. À moins que les plus critiques ne soutiennent que ce rejet est fondé sur l’idée que ces soutiens populaires auraient pu être réunis exceptionnellement dans un contexte de contestation sociale. Dans cette hypothèse, le juge constitutionnel s’écarterait de son rôle de filtrage des questions référendaires au profit d’une fonction d’arbitre institutionnel entre opposition et majorité : cette dernière étant relative, le juge constitutionnel serait-il été tenté de soutenir un système majoritaire issu du référendum de 1962 et mis à mal par les dernières élections législatives ?

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