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Le XIXᵉ siècle, premier moment de l’ère des pollutions

C'est en Angleterre que se généralise au XVIIIᵉ siècle l'utilisation du charbon : commence alors un peu partout en Europe puis dans le monde une exploitation industrielle de ses mines. Ministry of Information/Wikimedia, CC BY-SA

On débat depuis quelques décennies des ravages de la pollution industrielle et de ses effets néfastes sur l’environnement comme s’il s’agissait de phénomènes nouveaux.

Dans la seconde moitié de XIXe siècle, pourtant, à une époque où la France renforce son industrialisation, les Français des villes et des régions industrielles découvrent les méfaits des usines et des mines – qui les font vivre et, dans le même temps, les tuent à petit feu.

Les feuilletonistes, dont les récits peuplent le rez-de-chaussée d’une presse en plein développement, y consacrent des pages bien avant Zola. Ils y décrivent des villes « noires » baignant dans un bruit assourdissant, et des campagnes passées en quelques décennies du vert de la nature à la couleur du bitume et de la suie.

Personne ou presque ne peut alors ignorer les conséquences désastreuses de la modernisation économique sur l’environnement, même si la notion de pollution n’est pas encore au cœur des préoccupations de la population. Pas plus qu’elle ne le sera à Londres, dans la première moitié du XXe siècle, quand séviront les fameux « smog » ; ou dans les pays de l’Est dans les années 1970, où des régions entières, notamment en Roumanie, seront contaminées par les rejets de l’industrie chimique.

Des arbres couverts de charbon

Scène du film inspiré de Germinal, d’Emile Zola, qui décrit la vie des travailleurs dans les mines de charbon du Nord-Pas-de-Calais. Germinal, Claude Berry

Si Germinal révèle en 1884-1885 les tragédies qui se jouent dans le monde de la mine, d’autres écrivains célèbres mettaient déjà en scène quelques années plus tôt la France industrielle dans toute sa noirceur.

George Sand dans La Ville noire (1880), n’hésite pas à évoquer un « enfer » de « toits de bois noircis par la fumée », de « trou noir et hideux » et « d’eau qui tombait en une nappe noire » dans cette ville du centre de la France – sans doute Thiers –, tout entière dédiée à la métallurgie, où règnent en maîtres le bruit et la fumée.

Dans Sans famille (1878), le bourg de Varses imaginé par Malot est recouvert d’une poussière industrielle « bicolore ». La rouge provient du minerai de fer ; la noire, du charbon.

Élie Berthet, l’un des grands papes du feuilleton sous le Second Empire, va plus loin dans sa description de la pollution causée par la houille. Dans Les Houillères de Polignies (1866), il écrit que « le feuillage des arbres demeure couvert de poussière fine et brillante du charbon ».

On trouve aussi ces évocations chez Jules Verne, avec Les Indes noires (1878), et chez d’autres écrivains aujourd’hui oubliés, tels Victor Cherbuliez de l’Académie française avec Olivier Maugant (1885) ou encore George Maisonneuve avec Plébéienne (1884).

Et pour Louis Simonin, auteur d’un ouvrage incontournable sur La vie souterraine. La mine et les mineurs (1867), la pollution s’infiltre partout, y compris à l’intérieur des maisons où le linge tourne rapidement au jais, tout comme les visages des hommes, des femmes et des enfants qui y vivent et qui, lorsqu’il pleut, pataugent dans une boue noire, épaisse selon les uns, liquide selon les autres. Les jours de grand vent, c’est un gros nuage couleur de suie qui tourbillonne au-dessus de ces bourgades.

Ces romans, qui circulent largement parmi les Français, diffusent chez leurs lecteurs l’image d’une pollution jusque-là inconnue, sans jamais la nommer ni en évoquer les conséquences possibles sur la santé des habitants de ces régions, ou sur les campagnes qui les environnent.

Des marteaux-pilons qui ébranlent le sol

Machine d’extraction à vapeur dans une mine.

Les nuisances ne se limitent pas à cette forme de contamination, pourtant particulièrement agressive. À la noirceur de la ville s’agrège une pollution sonore assourdissante, que l’on mesurerait de nos jours en décibels.

Dans l’industrie métallurgique, on entend les marteaux pilons ébranler le sol de leurs coups sourds. Dans les mines, ce sont les allers-retours assurés par les chevalements, structures qui descendent et remontent les mineurs et leur production, ou le bruit incessant des puissantes machines d’extraction à vapeur qui trépident pour alimenter les galeries en air pur.

Hector Malot évoque les « puissants ronflements » des ventilateurs que les voyageurs entendent à une heure de marche de la ville. Sans oublier le roulement des wagons sur les rails.

Toutes ces régions ont longtemps été « bercées » par l’envahissante musique de l’industrie. Paradoxalement, le répit n’intervenait qu’en cas de grève générale !

Un smog de pollution a envahi le ciel londonien le 10 avril 2015. David Holt, CC BY-NC-ND

Un smog noir rouille

Le « smog » – néologisme qui date du début du XXe siècle, formé à partir des mots « smoke » (fumée) et « fog » (brouillard) – londonien est quant à lui très présent dans les romans de Dickens, qui parle spécifiquement de « pollutions ».

Dans Bleak House (1853), ce brouillard industriel est décrit avec une précision quasi scientifique, quant à sa coloration. Plutôt jaune à proximité de la capitale, du fait des émanations sulfuriques que dégage le chauffage domestique au charbon, il prend dans les faubourgs une couleur de plus en plus brune.

Arrivé au cœur de la cité, Dickens le qualifie de « rusty black », noir rouille. Propice à la mise en scène des crimes les plus horribles, comme ceux de Jack l’Éventreur qui semèrent la panique parmi les Londoniens à la fin des années 1880, le « smog » est aussi cause de mortalité.

Durant la Première Guerre mondiale, nombreux ont été les Londoniens à rentrer chez eux, en plein jour et en file indienne, s’accrochant les uns aux autres. Ils parcouraient ainsi les rues de la ville, nimbée d’un « smog » si épais qu’ils ne distinguaient plus rien, guidés par des personnes qui connaissaient le parcours les yeux fermés et les escortaient chacun leur tour jusqu’à leur domicile.

Le dernier épisode de « smog » date de la fin de l’année 1952. Entre le 5 et le 9 décembre, la capitale britannique fut complètement noyée dans un brouillard à couper au couteau. Au troisième jour, la visibilité était quasi nulle et l’air devenu irrespirable. Entre 4 000 et 12 000 personnes, selon les sources, auraient perdu la vie des suites de ce dramatique évènement.

Le village le plus pollué d’Europe

À Copsa Mica (5 000 habitants) dans la vallée de la Tarnava en Transylvanie, région de Roumanie – pays hautement contaminé –, l’industrie chimique a connu une très forte activité sous Nicolas Ceausescu pendant la période communiste. Surnommé, à l’époque, le « village noir », il était considéré comme l’un des lieux les plus pollués d’Europe.

Les usines abandonnées dominent encore aujourd’hui la petite cité dont le sous-sol regorge de métaux lourds tels que le cadmium, ou le dioxyde de soufre.

Copsa Mica Plant. Julian Nitzsche/Wikimedia, CC BY-NC-ND

Dans les villages allemands de cette partie de la Transylvanie, placés depuis le XIIe siècle sous la protection de leurs imposantes églises fortifiées, non loin de Copsa Mica, on tente de tourner la page de la pollution sans limites. Depuis la chute du régime communiste, l’objectif est de repasser « au vert », afin d’attirer les touristes, et de permettre à la population de vivre sur une terre saine.

Mais encore aujourd’hui, trente ans après la fermeture des entreprises polluantes, la production agricole de ces lieux, tout comme l’eau des environs, demeurent impropres à la consommation.

Partout où elle a eu lieu, quels que soient la période et le régime, l’industrialisation à marche forcée s’est d’abord installée aux abords des villes ou dans les campagnes. Dans un premier temps, le vert et le noir coexistent, avant que la pollution ne dévore le vert et finisse par ravager villes et campagnes en empoisonnant durablement leurs sols.

Si la prise de conscience vis-à-vis de la pollution industrielle a été relativement tardive, elle n’en reste pas moins un phénomène aussi ancien que l’industrie elle-même.

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