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Groupe de personnes non binaires
Des études récentes font état d'une surreprésentation de personnes non-binaires chez les jeunes, à hauteur de 2% des moins de 25 ans. Shutterstock

« L’envers des mots » : Non-binaire

Depuis quelques années, le terme de non-binaire a fait son entrée dans le langage courant. Qu’il s’agisse de personnages de films ou de séries comme Sort of ou bien encore de la controverse autour de l’accueil des minorités de genre à l’école, la non-binarité interroge le grand public comme les spécialistes. Quelles réalités cette nouvelle identité de genre recouvre-t-elle ?

La non-binarité et des termes équivalents comme gender fluid sont assez récents dans la littérature scientifique comme dans les récits de personnes concernées. Évacuons d’emblée les sondages méthodologiquement plus que douteux qui font état de « 36 % des jeunes de moins de 25 ans qui se reconnaissent comme non-binaires » et regardons l’évolution démographique de cette population sur la base d’auto-déclarations dans des enquêtes nationales.


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Des études récentes font état d’une surreprésentation de cette population chez les jeunes de moins de 25 ans (à hauteur de 2 % environ) et plus encore chez les jeunes appartenant à des minorités de genre et de sexualité (14 % dans cette même tranche d’âge).

Observons le passé récent. En 2015, l’enquête « transphobie » permettait aux personnes trans (toutes formes de transidentités confondues) de s’autodéfinir. Seules 2 % d’entre elles employaient des termes relatifs à la non-binarité. Cette évolution démographique n’est en rien un effet de mode. On assiste plutôt, à la manière de l’homosexualité jadis, à une prise de conscience, par une partie de la jeunesse, que le genre peut se prononcer et se vivre autrement que dans la binarité et la fixité des normes de genre.

Cette identité de genre, si elle demeure récente et nouvelle dans les termes, n’est cependant pas inédite. L’histoire des expressions de genre dissidentes, les récits d’équilibres au genre singuliers, n’a pas attendus le XXIe siècle pour être documentée. Les travaux du sexologue Magnus Hirschfeld en attestent dès le début du XXe siècle, et certains historiens éclairent aujourd’hui des figures historiques à l’aune de ces nouveaux concepts.

Mais aujourd’hui, comme se caractérisent les expressions non-binaires ? Comment apparaissent-elles ? Tous les individus ont une identité de genre. Mais toutes les identités de genre ne demandent pas de réagencer son rapport aux modèles du « féminin » et du « masculin ». C’est le cas de la non-binarité que le sociologue Emmanuel Beaubatie définira comme des nouveaux « styles de féminité et de masculinité ».


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Plus concrètement, on observe trois façons de vivre la non-binarité, trois équilibres au genre. La première renvoie à un retrait de la binarité. Il s’agit d’être « ni masculin.e/ni féminin·e » et de construire son genre dans des codes nouveaux. L’extrême imprégnation des normes de genre dans l’ensemble de nos actes comme de nos représentations rend fatalement cet exercice compliqué. Des tentatives de neutralisation des corps ou du langage (comme le « iel ») sont néanmoins proposées par les personnes concernées afin de s’extraire de la dyade « masculin/féminin ».

La seconde façon de vivre sa non-binarité renvoie plutôt au fait d’être alternativement d’un genre ou d’un autre : « masculin·e ou féminin·e ». Cette oscillation interpelle alors les institutions : combien de fois et à quelle fréquence un individu peut-il change d’identité de genre ? Si la France reste frileuse en la matière, l’Espagne (dans une récente « ley trans ») a autorisé plusieurs changements de genre au cours d’une vie : une évolution juridique qui découle des revendications non-binaires !

Mais une troisième voie de non-binarité apparait : celle qui consiste à se situer simultanément du côté du féminin et du masculin. Ce qui se nommait jadis l’androgynie trouve ici une nouvelle forme d’expression.

Pour conclure, on assiste à une libéralisation du rapport au genre. Mais également à la possibilité d’un « droit à l’erreur de genre ». Dans cette perspective la non-binarité s’avère aussi être un sas expérimental, afin de saisir comment l’identité de genre s’équilibre, toujours singulièrement.


Cet article s’intègre dans la série « L’envers des mots », consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?

De « validisme » à « silencier », de « bifurquer » à « dégenrer », nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public. À découvrir aussi dans cette série :

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