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Un planisphère avec une boussole au premier plan ?
La mondialisation va-t-elle marquer le pas ? Chad McDermott Shutterstock

Les accords de libre-échange, un outil caduc face aux enjeux environnementaux ?

Après avoir mis en exergue la nécessité de re-localiser la production, d’accroître la résilience dans nos chaînes d’approvisionnement ou d’un « green new deal » européen, les accords de libre-échange (ALE) s’invitent de nouveau dans les agendas politiques. Depuis le refus du Sénat de ratifier l’accord de libre-échange avec le Canada – en partie en vigueur depuis 2017 – et la difficile reprise des négociations avec les pays du Mercosur, le gouvernement français semble hésiter sur la conduite à tenir quant aux différents ALE. Si la politique commerciale, et donc la signature de ces accords, est de la compétence exclusive de l’UE, il n’en demeure pas moins vrai que la France est à la manœuvre pour peser sur les négociations.

La question se pose alors de l’utilité pour l’économie française et européenne de tels accords. Si les projections macroéconomiques semblent aujourd’hui indiquer des impacts bien faibles au regard des risques (notamment environnementaux), c’est parce que les ALE sont des instruments désuets, héritages de la pensée économique des années 1990 qui estimait que la mondialisation était « heureuse ».

Retour en 1817

En 1817, un économiste libéral britannique, David Ricardo propose une explication des flux de commerce international basé sur la théorie des avantages comparatifs. Pour le résumer simplement, le commerce international est un jeu « gagnant-gagnant » en ce qu’il oblige chaque pays à se spécialiser dans la production pour laquelle il est le plus efficace ou le moins désavantagé en matière de coûts de production – qui sont exclusivement estimés par les quantités de travail nécessaires. Plus de 200 ans plus tard, c’est cette théorie (et ses prolongements) qui justifie encore la mondialisation et l’insertion internationale des économies dans le « concert des nations ».

Pourtant, depuis 1817, de nombreuses études ont aussi montré la fragilité des hypothèses ricardiennes et le danger d’une trop grande spécialisation des économies, au détriment de la diversification et de la sécurité des approvisionnements. Si l’on ne considère que l’économie française, la stratégie de spécialisation à l’exportation s’est avérée peu concluante : déficit commercial chronique, choix de spécialités en inadéquation avec la demande intérieure, désindustrialisation… À cela s’ajoute une question que David Ricardo ne pouvait pas envisager : celle des enjeux environnementaux qui doivent désormais être intégrés à la réflexion sur le commerce international.

Et l’environnement dans tout ça ?

De par leur construction, les ALE ne peuvent constituer une solution aux changements climatiques, bien au contraire. En effet, la spécialisation des économies qu’ils entraînent a pour conséquence une augmentation de la production, déconnectée des besoins locaux.


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Au-delà de ces aspects productifs, c’est surtout la construction de la mondialisation autour des chaînes de valeur globale qui pose problème. Comment justifier que la production d’un produit soit divisée en une multitude d’étapes localisées aux quatre coins du monde quand on connaît la contribution du transport international de marchandises à la pollution ? En effet, le transport international est responsable de près de 10 % des émissions de CO² dans le monde en 2018 et de 33 % des émissions totales liées au commerce international.

Les flux de commerce international sont de plus en plus des flux entre filiales d’une même firme multinationale (FMN), qui s’échangent des composants du produit final avant que ceux-ci soient assemblés et vendus. Pour ne prendre que cet exemple, un smartphone fait quatre fois le tour de la terre avant d’atterrir dans nos mains.

Malgré tout, l’Union européenne met de plus en plus en avant la possibilité d’intégrer les enjeux environnementaux dans ces ALE et d’en faire des outils au service de la transition écologique. Cela passe notamment par l’inscription dans les préambules des accords de commerce international de la nécessité de respecter les Accords de Paris ou par la négociation de clauses miroirs censées protéger les normes européennes jugées plus élevées. En effet, les clauses miroirs, si elles sont intégrées aux différents accords, permettent en théorie de conditionner l’exportation de certains produits (notamment agricoles) aux respects des normes sanitaires et environnementales en vigueur dans le pays importateur.

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Or, par principe, les ALE misent sur la différence de compétitivité résultant de la spécialisation et de normes divergentes. Dans le cas du CETA par exemple, les entreprises européennes continuent à produire des composants chimiques interdits en UE qu’elles exportent vers le Canada qui les autorise. Plus globalement, ce sont près de 82 pesticides interdits dans l’Union européenne – parmi lesquels le paraquat et l’atrazine, herbicides reconnus comme hautement dangereux – qui continuent d’être exportés en 2018 selon une étude d’une coalition internationale d’organisation de la société civile

Concernant les clauses miroirs, le principal problème est qu’elles se heurtent à un principe de réalité : il est impossible pour l’UE de contrôler l’intégralité de la chaîne de valeur d’une marchandise sans contrevenir au principe du secret des affaires. Par conséquent, il est impossible de savoir si les normes européennes sont respectées à chacune des étapes de fabrication du produit. Ainsi, entre les préambules non contraignants et les clauses miroirs s’apparentant à du « green washing », il est difficile d’envisager sérieusement ces ALE comme un moyen efficace de lutter contre les dérèglements climatiques.

Inventer de nouvelles régulations de la mondialisation

Le constat de la désuétude des ALE étant posé, il ne s’agit pas de nourrir un discours anti-mondialisation, bien au contraire. L’échange – à ne pas confondre avec le commerce – est l’une des fondations de nos sociétés humaines et doit par conséquent être préservé. La fin de cycle que connaît la mondialisation néolibérale doit appeler à envisager une nouvelle modalité de régulation des échanges internationaux. Il est dès lors plus que nécessaire de renverser la hiérarchie imposée dans les années 1980 en produisant avant tout pour les besoins du marché intérieur et en exportant le surplus, s’il existe, et sans qu’il soit recherché pour lui-même.

Les importations doivent être cantonnées à ce dont nous sommes incapables de produire ou ce qui est nécessaire à notre production. Pour limiter les effets négatifs du commerce international sur l’environnement, une politique de re-localisation et de planification doit être sérieusement mise en œuvre. Loin de viser le rapatriement de productions polluantes, celle-ci doit au contraire favoriser l’émergence de nouvelles productions locales dictées par les besoins et donc une nouvelle politique industrielle et agricole.

En s’inspirant des phases antérieures de mondialisation, cette nouvelle régulation peut s’appuyer sur un protectionnisme négocié. Il s’agirait pour chaque pays de décider souverainement de ses besoins et de l’adaptation de son tissu productif nécessaire à leur satisfaction. Le commerce international reviendrait alors à négocier entre pays des accords de commerce de protection des normes, valeurs et industries propres à chaque économie sans présumer de la supériorité d’une société sur une autre.

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