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Les caméras portatives chez les policiers sont populaires. Mais à quels coûts ?

L’attaque du Capitole américain du 6 janvier 2021 a été un événement sans précédent dans l’histoire des États-Unis. Comme il est fréquent de nos jours, plusieurs assaillants ont filmé leur intrusion, laquelle a aussi été captée par de nombreuses caméras de sécurité.

Les caméras portées par les policiers défendant les parlementaires ont également capturé les moments les plus dramatiques de cet assaut. Ces images ont été diffusées dans le monde entier et suscité une forte réaction de la part du public.

Depuis le début des années 2010, les caméras portatives ont connu une popularité grandissante. Il est généralement attendu qu’elles apportent une transparence accrue de la part des organisations policières et assurent une plus grande imputabilité.

Cependant, bien que ces dispositifs soient de plus en plus utilisés par les policiers, leur coût élevé a dissuadé de nombreuses organisations d’en faire l’acquisition. Ce constat est d’autant plus pertinent qu’un important mouvement demandant à réduire le financement de la police a vu le jour ces dernières années, encourageant une réflexion plus large sur les ressources allouées à la police.

Contrairement aux États-Unis, le gouvernement fédéral canadien ne subventionne pas l’acquisition de caméras. Des fondations privées n’offrent pas de dons pour payer les frais d’exploitation des caméras.

Dans cette image provenant de la caméra portative d’un agent de la police métropolitaine de Washington, on voit un des assaillants du Capitole, encerclé en jaune, en train d’attraper un agent et de le traîner dans la foule des émeutiers. Ces images ont servi à sa condamnation, le 13 avril 2023, à trois ans de prison. (Justice Department via AP)

En tant que chercheurs spécialisés en criminologie et en administration publique, nous nous intéressons à l’utilisation des caméras portatives sous plusieurs angles. Dans le cadre d’une recherche dans la revue Police Practice and Research, nous avons examiné la solidité du soutien pour l’utilisation de caméras portatives par les policiers.

Nous basant sur nos discussions avec 78 policiers et sur l’opinion de 1 609 citoyens de quatre sites où la Sûreté du Québec a testé des caméras portatives (soit les MRC de Rimouski-Neigette, de la Vallée-de-l’Or, de Beauharnois Salaberry et de Drummond), nous constatons que malgré un fort appui pour les caméras portatives, les questions de financement sont rarement prises en compte et pourraient être un frein à leur implantation.


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Le travail complexe des policiers

La majorité des policiers que nous avons rencontrés dans ces quatre sites se sont positionnés en faveur de l’utilisation de caméras portatives, ce qui est en accord avec d’autres études sur le sujet.

Plusieurs policiers ont cependant exprimé leur préférence pour une utilisation différente des fonds publics. Par exemple, certains ont estimé que l’embauche de policiers supplémentaires serait plus bénéfique pour pallier leur grande charge de travail. D’autres ont aussi mentionné le désir d’avoir davantage accès à des formations en lien avec leurs interventions.

En lien avec le contexte postpandémique, un policier a exprimé plus clairement ses préoccupations quant à de telles dépenses et les bénéfices potentiels qu’elles pourraient apporter :

Avec ce qui s’en vient, je ne pense pas que, en tant que société, on a les moyens de se permettre ça, versus qu’est-ce que ça va apporter. Honnêtement, en tant que patrouilleur, mais aussi en tant que payeur de taxes.

En plus des coûts liés à l’achat de caméras portatives, la gestion des enregistrements vidéos représente une part importante des dépenses liées à leur adoption par les organisations policières.

Plusieurs questions doivent donc se poser pour ces organisations, comme le nombre de policiers qui seront équipés de telles caméras et les moments où elles doivent être activées. Par exemple, bien que l’enregistrement en continu puisse sembler attrayant, cela peut entraîner la gestion de quantité importante de données. Nos lois actuelles exigent d’ailleurs de garder longtemps toutes ces vidéos haute définition. L’embauche de personnel supplémentaire doit aussi être prise en compte pour gérer ces données.

Un appui populaire surestimé ?

De nombreuses études montrent que la population est majoritairement en faveur du port de caméras par les policiers. Selon notre sondage mené auprès de résidents des sites où étaient testées ces caméras, le taux d’appui pour les caméras portatives s’élevait à 95,5 %.

Cependant, cet appui diminue considérablement lorsque l’on aborde la question des coûts. En effet, les citoyens sont moins enclins à soutenir l’utilisation de ces dispositifs lorsqu’ils sont confrontés à une hausse des taxes ou à des coupes dans les services publics.

Le taux de soutien est tombé à 47,7 % lorsque la possibilité d’une augmentation des taxes municipales a été mentionnée et à 42,9 % lorsqu’une réduction des services publics était envisagée. En d’autres termes, bien que la majorité des citoyens sondés soutiennent l’utilisation des caméras portatives par les policiers, cet appui dépend de la façon dont cela est financé.

Niveau de support des résidents des quatre sites.

Une dépense à réfléchir

Dans l’absolu, les Québécois semblent souhaiter que les policiers soient équipés de caméras portatives. En réalité, ils y tiennent en moins grande proportion s’ils sont ceux qui doivent les financer.

Malgré le désir d’assurer une plus grande imputabilité et transparence de la police grâce aux caméras portatives, leurs coûts élevés en font une dépense importante pour les organisations policières, les gouvernements et les contribuables. Les services policiers sont aussi confrontés à plusieurs défis, notamment la difficulté d’attirer et de retenir ses effectifs et une augmentation des appels de service pour des problèmes liés à la santé mentale, lesquels ne pourront être résous par les caméras portatives.

Les coûts et les défis liés à l’utilisation des caméras portatives demandent donc une réflexion avant qu’elles soient adoptées à grande échelle.

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