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Les citoyens peuvent-ils participer à la production de la sécurité ?

Policiers et citoyens, à Paris, en avril 2017. Ladislav Luppa/Wikimedia

Les tensions entre jeunes et forces de l’ordre, qui minent la légitimité de la police et entravent son efficacité, sont récurrentes. Les émeutes urbaines, les violences policières, le malaise des policier·e·s, mais aussi le sentiment d’exclusion des habitant·e·s restent des enjeux brûlants en France. Dans ce contexte sensible, le dialogue semble au point mort.

Une « conférence citoyenne de consensus » consacrée à la question du rapprochement police-population dans les quartiers populaires s’est tenue en décembre 2018 à Vaulx-en-Velin (Rhône), qui fournit des pistes à ce sujet. L’enjeu de cet événement – initié par des jeunes de ces quartiers (accompagnés par la chaire Unesco Politiques urbaines et citoyenneté de l’ENTPE) – était d’outiller des citoyen.nes « profanes ainsi que des gendarmes et policier·e·s, pour qu’ils puissent débattre et réfléchir à des recommandations conjointes au terme d’un week-end.

Cette démarche expérimentale, qui vise à explorer les conditions de possibilité de nouveaux espaces de coproduction de l’action publique, s’inscrit dans un « air du temps » où de plus en plus de professionnel·le·s et d’élu·e·s se rangent à l’idée que la participation citoyenne est désormais nécessaire.

Un nouveau leitmotiv… aux effets incertains

En France comme dans d’autres pays, faire participer les habitants à l’amélioration de leur cadre de vie, voire à l’action publique en matière de sécurité et de tranquillité publiques n’est pas une idée neuve. Mais des spécialistes comme Sebastian Roché ou Frédéric Ocqueteau s’accordent de longue date sur le constat que, si de nouveaux acteurs ont fait leur apparition dans la gouvernance des politiques de sécurité, les citoyen.nes ne pèsent guère dans l’action publique. Les questions de sécurité restent en effet perçues comme l’affaire de l’État et des professionnel·le·s.

Un regain d’intérêt des élu·e·s et des professionnel·le·s de la sécurité pour des démarches plus participatives semble pourtant se manifester depuis quelques années années. En 2012, un « Manifeste » mettant en avant la participation active des citoyens a ainsi été adopté par quelque 250 villes européennes, à l’occasion de la conférence annuelle du Forum européen pour la sécurité urbaine.

En 2016, les auditeur.rices de la session nationale « sécurité et justice » de l’Institut national des hautes études de sécurité et de justice (sorte de cycle de formation continue pour les cadres de ce secteur) ont planché sur la thématique de « l’implication des citoyens dans les processus de sécurité. Comment et jusqu’où ? ».

En 2017, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Ile-de-France a, de son côté, publié un panorama de la participation des citoyens en matière de sécurité locale. Virginie Malochet y montre que bien que tout en étant moins développés que dans d’autres pays (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Belgique, etc..), de nombreux dispositifs institutionnels existent en France ; ils vont des référendums aux Contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, en passant par les enquêtes de victimation et les marches exploratoires, un outil de diagnostic permettant de recueillir les attentes des usager·e·s perçus comme les plus vulnérables.

Comme souvent dans le domaine de la démocratie participative, ces dispositifs permettent rarement dans la pratique d’aller au-delà de la consultation (au mieux) ou de la simple communication institutionnelle. Les conditions pour la création d’un espace de dialogue et de travail menant à des décisions co-construites ne sont pas réunies : le cadre et l’ordre du jour restent généralement l’apanage de l’institution ; il est difficile d’obtenir la transparence des données et la prise de décision revient, en dernier ressort, à l’institution. Cette asymétrie de pouvoirs est de plus démobilisatrice et peu d’efforts sont faits pour aller vers les publics qui ne viennent pas spontanément participer à ces dispositifs.

C’est à ces limites que la conférence citoyenne de consensus de Vaulx-en-Velin et les propositions qui en ont résulté ont tenté de répondre.

Des propositions concrètes pour des solutions concrètes

Mis·es en confiance grâce à un dispositif pragmatique visant une plus grande horizontalité des relations entre professionnel·le·s et citoyen·ne·s (convivialité, évitement du jargon technique, etc.), les participant·e·s à la conférence de décembre, dont certain·e·s reconnaissent qu’ils/elles étaient au départ sceptiques ou réticent·e·s, se sont « pris·es au jeu » de la délibération collective.

Une proposition issue de cette conférence est ainsi d’organiser chaque année… une conférence nationale réunissant « habitants, forces de sécurité et médias pour débattre des relations police-population ». Mais les participant·e·s ont aussi mis en avant leur attente de réunions régulières au niveau local, comme la nécessité d’« inclure les citoyens dans la recherche de solutions concrètes ».

Ces constats ont conduit à formuler l’idée d’un nouveau dispositif pragmatique de participation, appelé Bureau d’analyse citoyenne. Ce dispositif part de l’idée que les tensions à l’œuvre dans certains quartiers renvoient moins à un phénomène d’anomie qu’à des conflits sur les normes de comportement. Ces conflits se cristallisent en particulier autour des usages des espaces publics par les jeunes. Le comportement d’une partie de ces jeunes, qui peut renvoyer à d’autres systèmes de règles et de valeurs que les « normes dominantes » est souvent perçu par les autres résidents comme une source de perturbations et d’incivilités.

Il s’agit alors de travailler en commun ces conflits liés à des clivages intergénérationnels ou interethniques, pour permettre l’émergence de solutions allant au-delà des réponses répressives traditionnelles.

La participation citoyenne, pour quoi faire ?

Ces expérimentations participatives n’ont pas pour seul horizon la démocratisation de l’action publique. Elles renvoient aussi à l’idée (développée par plusieurs théoriciens de la démocratie) que des décisions issues de la délibération démocratique sont généralement gages d’une plus grande efficacité institutionnelle.

Les politiques de sécurité, de prévention de la délinquance ou de surveillance ne font pas exception : ici aussi il s’agit, grâce au renforcement du poids des citoyen.nes et à l’incorporation de leur expertise d’usage, d’élargir la réflexion des institutions publiques, de débattre d’enjeux controversés ou de percevoir d’autres dimensions du problème, en mettant autour de la table tous les acteur.rices en mesure de mettre en œuvre les solutions ainsi imaginées.

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