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Débat : les écoles de management françaises vont se réinventer, et voici comment

Inventer les écoles de demain plutôt que de regarder en arrière. OpenDataInstitute via VisualHunt, CC BY-SA

Depuis plusieurs mois, les Cassandres de tout bord noircissent l’horizon des grandes écoles de management. Une étude récente de la Fnege a contribué à questionner le devenir de nos écoles. D’anciens dirigeants d’écoles estiment que nous ne sommes pas au bord du gouffre, mais que nous sommes tombés dedans. Et cerise sur le gâteau, les mêmes qui au cours des 20 dernières années ont structuré un système français performant de Business Schools, en mettant en évidence le rôle de la recherche dans l’éducation, nous invitent à la nécessité d’une différence entre research schools et teaching schools. Autrement dit, retour en 1960…

L’ancien directeur d’HEC pense que les écoles de management sont au bord du gouffre.

J’ose dire que je suis en opposition avec ce discours passéiste, parce qu’il n’est pas cohérent et parce qu’il est construit sur un schéma dépassé de l’éducation.

J’ose dire que le monde des grandes écoles françaises de management est entré dans une phase majeure de changements et que l’unicité du modèle statique du siècle dernier vole en éclats. Peut-être pas assez vite, mais il le fait. Nous ne sommes plus au XXe siècle où les écoles formaient un petit nombre d’étudiants pour des systèmes hiérarchiques pyramidaux.

Nous ne sommes plus au XXe siècle

Nous ne sommes plus au XXe siècle où CCI et autres institutions subventionnaient à tour de bras des écoles centrées sur leur programme Grande École et les classes prépas. Nous ne sommes plus au XXe siècle où le temps et l’espace étaient limités, et où le double diplôme justifiait que l’étudiant n’avait pas trop fait la fête lors de son séjour à l’étranger. Nous ne sommes plus au XXe où les écoles ne faisaient pas de recherche, ou si peu. Nous ne sommes plus au XXe siècle où les corps professoraux étaient mono-institution. Nous ne sommes plus au XXe siècle où les écoles étaient fermées sur leur ville, leur département, au mieux leur région.

Nous ne sommes plus au XXe siècle où un seul type de recherche académique classait une école, et où un enseignant qui ne faisait pas de recherche était « puni » en faisant de l’enseignement.

Nous ne sommes plus au XXe où les « anciens » mettaient sur leurs cartes de visite le nom de leur école et l’année de leur promotion. Nous ne sommes plus au XXe où les « seigneurs » délivraient le doctorat français, laissant aux « manants » PhD et DBA soutenus dans une autre langue que le français.

Au seuil d’une ère nouvelle

J’ose dire que les grandes écoles françaises de management sont, non au bord du gouffre, mais au seuil d’une ère nouvelle. Le XXIe sera celui où la recherche ne sera plus uniquement celle des revues académiques dites top niveau, ce sera celui de la mesure des impacts de l’ensemble des contributions intellectuelles (y compris celles des non-professeurs) produites par une école, et surtout par des réseaux d’écoles.

Le XXIe siècle sera celui des connexions, des réseaux, des alliances, non pas entre écoles de management françaises (là, seule la fusion permet le seul avantage d’une approche nationale : la taille), mais entre écoles de management et écoles d’ingénieurs, entre écoles et entreprises, entre écoles et universités étrangères, entre associations de diplômés. Le XXIe sera celui de la grande diversité des projets des écoles offrant par modularité et personnalisation des parcours d’apprentissage tout au long de la vie et multi-écoles, et ce avec le soutien de modèles financiers différents. Le XXIe siècle sera celui des communautés apprenantes à l’échelle du monde.

J’ose dire que dans ce XXIe siècle-là, faire la différence entre research et teaching schools est une erreur sémantique majeure. Cela revient à projeter le passé dans le futur, or nous devons déduire le présent du futur. Ce futur sera celui de l’économie de la connaissance. Contributions intellectuelles et apprentissages y seront encore plus étroitement imbriqués et s’enrichiront les uns et les autres. L’économie numérique de la connaissance, et la nécessité de transformer les individus pour qu’ils vivent avec des systèmes apprenants, aboliront définitivement la frontière entre recherche et enseignement. Maintenir cette différence conduirait à sortir du marché mondial de l’éducation au business.

La recherche au XXIᵉ ne sera pas celle du XXe : paradigmes différents (remise en cause de l’hypothetico-déductif), logique de réseaux décentrés, prédominance des impacts, multiplicité des supports de publication, etc. La vraie question est non de savoir si les grandes écoles françaises sauront financer un mode de recherche du XXe, mais plutôt de savoir comment elles contribueront à l’éclosion des nouvelles contributions intellectuelles du XXIe.

Investir !

J’ose dire que les écoles en difficulté, notamment sur le plan financier, sont celles qui sont subventionnées ou qui dépendent fortement de financements publics. J’ose dire qu’avec l’engagement sans faille des équipes, j’ai remis Euromed/Kedge BS et EM Lyon Business School sur une dynamique financière permettant d’autofinancer des investissements représentant entre 10 et 15 % du chiffre d’affaires, et ce sans aucun financement public. Bien sûr, les Cassandres peuvent dire que ce n’est pas suffisant.

Alors, ma première question est de leur dire : à quel niveau situez-vous les investissements nécessaires ? J’ose dire que les grandes écoles de management accréditées peuvent être rentables, afin d’investir leurs capacités d’autofinancement. J’ose dire qu’elles trouvent aussi des partenaires pour accélérer leurs investissements. Au lieu de mettre leur énergie au service d’une vision du futur issue du passé (donc pessimiste), anciens et actuels directeurs, dirigeants d’entreprises et journalistes ne pourraient-ils pas œuvrer pour l’obtention d’un statut juridique qui permettrait un réel effet de levier de nos rentabilités ?

J’ose dire que je n’ai pas la solution absolue mais j’ose dire qu’en ayant commencé à changer leurs modèles financiers, leurs modèles pédagogiques, leurs tailles, leurs champs d’intervention, leur présence dans le monde, de nombreuses grandes écoles françaises se sont éloignées du gouffre où les conduisait un modèle subventionné, autocentré, limité à un mode unique de recherche.

Depuis 30 ans, le modèle des grandes écoles françaises de management a été régulièrement condamné, or pourtant elles ont été les premières à s’internationaliser, à être accréditées mondialement, à développer des programmes aujourd’hui repris par les universités (MBA, et même le DBA), à créer des modèles économiques peu consommateurs d’argent public. J’ose dire qu’elles continueront à innover en définissant leur présent en fonction de leur anticipation du futur. J’ose dire qu’il n’y aura pas un seul modèle de business school au XXIe. J’ose dire qu’il y aura une place, à côté des belles baleines nord-américaines ou chinoises, pour des dauphins agiles ayant transformé leurs modèles académique, pédagogique et financier afin d’être des acteurs efficaces de la business education liée au monde numérique.

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