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Les écrans sont-ils des prisons ?

Trois jeunes gens regardant leur téléphone. Dirk Marwede/Flickr, CC BY-ND

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2017 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


En 2011, l’agence « W Atjust » a réalisé une vidéo intitulée « Le Piège des images » pour le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Diffusée non seulement parmi les adultes, cette vidéo, commanditée et conçue afin de protéger les enfants, a fini par faire peur à plusieurs d’entre eux – c’est d’ailleurs ce que l’on peut lire dans les commentaires postés sur YouTube.

L’atmosphère angoissante l’imprégnant est suggérée par la musique, par les prises de vue des jeux abandonnés dans les pièces de la maison déserte, ainsi que par les cris étouffés du garçon tapant contre les différents types d’écrans derrière lesquels il semble être emprisonné.

Une telle atmosphère prépare l’apparition de l’inscription dévoilant le sens de ce que le spectateur vient de voir : « Ne laissons pas nos enfants se faire piéger par les images. » Une autre exhortation apparaît avec le générique : « Soyons tous responsables face aux écrans ».

Platon et l’allégorie de la caverne

Aujourd’hui, nous vivons non seulement parmi les écrans, mais directement par leur intermédiaire. Néanmoins, quand j’ai regardé cette vidéo, j’ai été surtout frappé par le contraste entre la situation contemporaine qui est montrée et les termes élimés de la première sentence (« Ne laissons pas nos enfants se faire piéger par les images. »). En effet, celle-ci fait écho à la méfiance à l’égard des images qui accompagne notre culture depuis Platon au moins, lui qui les considérait comme des copies illusoires des choses concrètes.

Quant à la seconde déclaration (« Soyons tous responsables face aux écrans »), elle indique directement que les écrans propagent le danger dénoncé par la première. À vrai dire, Platon n’avait pas été aussi explicite à leur égard. Dans l’allégorie de la caverne qu’il décrit dans La République pour nous faire comprendre la condition habituelle des êtres humains, ceux-ci sont des prisonniers enchaînés de manière à ne pas pouvoir tourner la tête. Par conséquent, ils croient à la réalité des ombres des objets que quelqu’un, caché par un mur derrière eux, porte sur ses épaules.

Dans cette allégorie, Platon ne fait allusion qu’à deux reprises à la « paroi » sur laquelle les prisonniers de la caverne voient les ombres des objets. Néanmoins, le constat est déjà là : l’écran nous enchaîne au piège des images, que nous prenons pour le monde vrai. Bref, l’écran nous emprisonne. La philosophie, elle, cherche à nous libérer en nous conduisant au-dehors de la caverne.

Par ailleurs, l’écho de cette allégorie qui résonne dans la vidéo peut en rappeler un autre : je fais allusion au film The Truman Show. Celui-ci propose encore une fois le cauchemar d’un milieu concentrationnaire à l’intérieur duquel les images (cette fois-ci celles d’une télé-réalité) exercent leur pouvoir absolu d’illusion et de duperie. De même, le film propose encore une fois l’idée qu’il serait possible de s’évader d’un tel milieu en trouvant enfin, au-delà du mur qui l’entoure, la « sortie ».

Une révolution numérique sans issue ?

Toutefois, la confrontation entre la vidéo évoquée au début et le final de ce film dénote une différence décisive quant à la façon dont notre relation aux deux types d’écrans est présentée. En effet, si The Truman Show suggère que, finalement, il y a quelque part une manière de sortir des horizons illusoires du cinéma ou de la télévision, l’expérience des écrans actuels, qui se multiplient sans cesse autour de nous, ne dispose peut-être d’aucune porte de sortie.

La révolution numérique que nous sommes en train de vivre, en raison de la profondeur des mutations qu’elle implique, réveille des peurs ancestrales, telles que celle d’être ou de rester prisonnier. Encore une fois, comme dans la caverne platonicienne. Encore une fois, comme s’il y avait une séparation radicale entre le « dedans » et le « dehors ».

Toutefois, le créateur de l’émission télévisée dont Truman découvre avoir été le protagoniste sans le savoir n’a pas tort quand il affirme qu’« il n’y a pas plus de vérité à l’extérieur qu’à l’intérieur » de ce milieu. Mais attention : cela ne veut pas dire que la réalité a « disparu » à cause des écrans numériques qui nous emprisonneraient.

Il faut plutôt en conclure que la réalité n’a jamais existé comme une donnée à la fois première et dernière, comme si elle était séparée des images par lesquelles nous l’abordons en permanence – et des dispositifs par lesquels nous regardons ces images. Bien au contraire, la réalité se donne toujours dans un rapport de renvoi réciproque avec eux.

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