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Les enfants plurilingues, une chance pour l’école

Des enfants tenant des drapeaux de différents pays;
Plus de la moitié des enfants dans le monde parle à l'école une langue différente de celle(s) parlée(s) à la maison. Shutterstock

Plus de la moitié des enfants dans le monde parle à l’école une langue différente de celle(s) parlée(s) à la maison. En France également, un nombre important d’enfants vivent aujourd’hui en situation bilingue ou plurilingue.

Certains parents nés en France et issus de l’immigration parlent à leurs enfants les langues de leur famille afin de transmettre et préserver leur patrimoine linguistique et culturel. D’autres font suivre très tôt des cours privés de langue à leurs enfants ou les immergent dans un bain linguistique via le recours à une personne au pair dans le but d’élargir ainsi leur répertoire langagier.


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Cette deuxième situation est socialement valorisée et perçue comme une richesse, sans que les enseignants sachent pour autant l’exploiter. Parallèlement, on trouve des situations dans lesquelles le plurilinguisme est perçu comme un handicap. Les établissements scolaires français ont ainsi accueilli 77 435 élèves allophones nouvellement arrivés en 2021-2022 et leur répertoire langagier est pluriel. Ils parlent souvent (très) peu le français, langue de scolarisation. Leur plurilinguisme tend à être occulté par les enseignants qui le perçoivent souvent comme une entrave à la réussite alors qu’il pourrait constituer un point d’appui linguistique.

Dans quelle mesure est-il possible d’aider les enseignants à prendre en compte le répertoire langagier de tous les élèves afin d’en faire un atout pour l’apprentissage ? Une pratique pédagogique prenant appui sur le plurilinguisme peut-elle avoir un impact positif sur les émotions des élèves et des enseignants, contribuer au mieux-être des familles et favoriser l’inclusion ?

L’étude présentée ici prend appui sur une recherche-action menée dans une école maternelle située dans un réseau d’éducation prioritaire francilien et plus particulièrement sur l’organisation de la semaine des langues du 27 au 31 mars 2023.

Semaine des langues : un calendrier original

Douze enseignantes de la petite à la grande section et leur directrice se sont portées volontaires pour faire vivre la semaine des langues dans leur école en y associant l’ensemble de la communauté scolaire, ainsi que les familles des élèves.

En amont, une tentative de recensement des langues parlées à la maison par les familles des élèves a été effectuée, des supports (musique, chansons, histoires, comptines, etc.) ont été choisis et une communication vers les familles a été organisée afin de les informer de l’événement.


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Chaque demi-journée, les familles ont été accueillies dans une langue différente (salutations, musique/chansons, décor). Ainsi 8 langues ont été utilisées : arabe, tamoul, turc, lingala, créole de Guadeloupe, portugais, ukrainien, espagnol. Elles ont ensuite fait l’objet d’activités d’éveil aux langues en classe.

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Le troisième jour, les enseignantes et plusieurs agents ont présenté à l’ensemble des élèves un spectacle plurilingue : certains ont chanté et dansé, d’autres ont raconté une histoire, chacun dans une langue différente. Les troisième et quatrième jours les familles volontaires ont été invitées à participer à ces échanges plurilingues et interculturels de la manière de leur choix.

L’impact de l’événement a été étudié de façon qualitative auprès des différents publics impliqués. Sur les familles, il été mesuré via des mini-entretiens et des commentaires consignés sur un cahier mis à leur disposition. Un questionnaire anonyme a été envoyé aux enseignantes et des entretiens ont été menés avec des membres volontaires de la communauté scolaire. Pour finir, l’impact sur les élèves a été analysé via des observations de classes, des retours spontanés des enfants, les entretiens avec les enseignantes.

Dans la communauté éducative, un dialogue autour des langues et des cultures

La tentative de recensement des langues parlées dans les familles en aval de la semaine des langues a révélé que les enseignantes ont une connaissance très approximative et plus intuitive que vérifiée du répertoire langagier de leurs élèves. En effet, les professeures se focalisent uniquement sur le français, langue de scolarisation et objectif de l’enseignement-apprentissage.

L’événement a permis aux enseignantes de mieux connaitre les familles et de dépasser les idées parfois stéréotypées en place. Grâce à cette occasion, elles ont pu demander aux familles quelles langues étaient parlées à la maison et entendues par les enfants, dans un cadre leur paraissant justifié et non intrusif.

Bonjour en différentes langues
Recenser les langues parlées dans les familles peut aider à tisser de nouveaux liens dans la communauté éducative. Shutterstock

Toutes les enseignantes ont été très satisfaites à l’issue de la semaine : « j’ai apprécié l’ouverture aux familles, les échanges moins “stricts et formels” avec la mise en valeur de toutes les langues pas uniquement les langues occidentales », dit l’une d’entre elles, « j’ai apprécié découvrir des langues inconnues », a ajouté une autre.

La cohésion et le partage avec les familles ont été mis en avant : « avant certains parents n’osaient pas parler car ne maîtrisant pas langue française. Cette semaine leur a permis de comprendre que nous n’étions ni dans le jugement ni dans la critique ».

Tout d’abord en retrait, animateurs et agents ont vite pris part à la semaine des langues et se sont sentis valorisés, reconnus et davantage inclus dans l’établissement. Une enseignante souligne : « la bonne humeur et la convivialité ont facilité l’intégration de tous les personnels. Cela renforce la cohésion d’équipe ».

Impacts sur les familles : du mieux-être au renversement des rôles

Les parents ont tout de suite adhéré à l’événement. Ils se sont prêtés au jeu des salutations en différentes langues et, lorsqu’ils les parlaient, ont corrigé les enseignantes quand leur prononciation était erronée.

Les retours faits oralement et dans le cahier à leur disposition soulignent plusieurs éléments saillants : tout d’abord leur gratitude face à l’initiative (les remerciements sont présents dans la grande majorité des avis exprimés) et sa réception très positive. La présence de nombreux adjectifs laudatifs (super, superbe, génial, excellent, top, magnifique…) et à valence positive (content, agréable, enrichissant, intéressant, bénéfique, convivial) ainsi que de noms (plaisir, gaieté, sourire, joie, félicitations, partage, richesse, ouverture, intégration) et verbes à valence positive __ (découvrir, partager, s’intéresser, adorer, apprécier, aimer, valoriser) témoignent du bien-être, voire du mieux-être des parents qui se sentent reconnus et demandent à ce que l’action soit répétée (à refaire sans modération, à renouveler, à poursuivre). Plusieurs parents ont rempli le cahier dans une langue de leur choix autre que le français.

Groupe d’enfants qui participent en classe
Reconnaître le plurilinguisme des enfants peut ouvrir de nouvelles formes de participation. Shutterstock

De nombreux parents décrits comme « timides », « discrets » et « en retrait » par les enseignantes « se sont ouverts » et portés volontaires pour venir témoigner de leur culture à travers la dégustation de plats traditionnels, la présentation de leur pays d’origine avec photos et objets artisanaux. Certains ont fait répéter des mots, joué de la musique, raconté des histoires ou chanté dans leur langue première ou d’héritage.

L’implication des parents a dépassé les attentes des enseignantes qui ont souligné le renversement des rôles. En effet, pendant cette semaine parents et enfants sont devenus les experts, les enseignantes les apprenants, ceci valorisant les langues et les cultures de chacun.

Découvrir les compétences méconnues des élèves

Durant cette semaine certains enfants se sont révélés à leurs enseignantes. Certains ont pris plaisir à montrer leurs connaissances des langues de la maison et/ou d’héritage et, endossant le rôle d’experts, ont enseigné des mots à leurs camarades et à leur maîtresse dans une ambiance chaleureuse.

Lors du spectacle organisé par l’équipe, certains enfants nouvellement arrivés en France et ne parlant pas encore français ont montré leur connaissance d’autres langues, ce que les enseignantes ignoraient. C’est notamment le cas d’une fratrie d’enfants tamouls jusque-là mutiques en classe. Suite à une comptine interprétée en anglais par une professeure, la petite fille s’est portée volontaire pour la chanter seule au micro, révélant ainsi que l’anglais faisait partie de son répertoire langagier. Ceci sert désormais de point d’appui à son enseignante pour faire progresser ses apprentissages.

La mise en place de la semaine des langues dans cette école maternelle est une première étape dans la prise en compte du répertoire langagier des élèves en classe. Il est maintenant nécessaire de poursuivre l’accompagnement de l’équipe pour que le bi/pluriliguisme des élèves soit reconnu au quotidien, mis en valeur, et serve de point d’appui à l’enseignement-apprentissage. Cette expérience laisse à penser qu’intégrer la dimension plurilingue et multiculturelle du public scolaire tendrait à contribuer au mieux-être des familles, à favoriser leur inclusion et aurait un impact positif sur le climat de classe. À suivre

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