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Les fonds activistes sont-ils de bons conseillers en affaires ?

Paul Singer, PDG et fondateur d’Elliott Management.
Paul Singer, PDG et fondateur d’Elliott Management. World Economic Forum / Flickr, CC BY-SA

Les fonds spéculatifs (hedge funds) activistes comme Third Point, Elliott Management ou CIAM font régulièrement la une de la presse pour leur rôle de « poils à gratter » sinon de « vautours de la finance ». Leur stratégie est d’obtenir des résultats très rapidement en mettant la main sur des entreprises dont ils pensent pouvoir doper les performances en n’opérant que de menus changements.

Plusieurs études mentionnent leur contribution à la bonne santé financière des sociétés ciblées malgré leur orientation court-termiste. D’autres mettent en exergue des effets négatifs sur les rendements obligataires. Ces résultats reposent cependant souvent sur des faiblesses méthodologiques.

Le débat autour de ces fonds s’est intensifié en raison de la montée des campagnes activistes initiées par les fonds spéculatifs au cours des deux dernières décennies, ceux dirigés par exemple par Carl Icahn (Icahn Enterprises), Paul Singer (Elliott Management) ou Daniel Loeb (Third Point). Ils se coordonnent parfois, un modus operandi que Wall Street a surnommé « meutes de loups ».

Souvent domiciliés aux États-Unis, ces activistes interviennent également en Europe et en Asie. Aucun secteur d’activité n’est épargné, avec une prépondérance pour des campagnes ciblant des firmes des secteurs de la consommation discrétionnaire (celle qui désigne les biens et services jugés non essentiels), l’industrie et les matériaux de base. Leurs motifs d’intervention reposent sur des considérations stratégiques (26 % des campagnes menées sur le STOXX 600) ou de gouvernance, comme la composition du Conseil d’Administration (24 %).

Le débat sur les bénéfices présupposés des hedge funds est loin d’être tranché, pourtant ces investisseurs jouent un rôle significatif dans la conduite du changement, la stratégie et la gouvernance des firmes. On est donc en droit de se poser LA question à plusieurs milliards : ces professionnels de la finance sont-ils de bons conseillers en affaires pour les firmes sujettes à leurs campagnes très médiatisées ?

Dans une recherche récemment publié dans la revue Economic Modelling, nous avons tenté d’apporter davantage de finesse en nous intéressant au cycle de vie des entreprises ciblées afin fournir une compréhension plus globale des conséquences de l’activisme, allant au-delà des mesures isolées de la performance. Il semble exercer une influence positive notable, à certaines conditions néanmoins.

Efficaces auprès des entreprises plutôt jeunes

Le cycle de vie d’une firme délimite des phases distinctes dans la trajectoire d’une entreprise, qui est influencée par des facteurs internes tels que les décisions stratégiques et des facteurs externes tels que la concurrence dans le secteur d’activité.

Nous nous sommes pour cela fondés sur les flux de trésorerie pour contourner les pièges potentiels associés à la manipulation des bénéfices par les fonds, un aspect crucial de leur méthodologie. Un échantillon d’entreprises américaines ciblées par des campagnes activistes menées par des fonds spéculatifs entre 1999 et 2019 a été méticuleusement constitué. Le cycle de vie de chacune a été mis en regard avec celui de ses pairs sur une période de quatre ans après le lancement de la campagne.

Les résultats montrent que les interventions des activistes entraînent des changements significatifs dans le cycle de vie des entreprises cibles. Plus précisément, les entreprises en phase d’introduction ou de croissance ont tendance plus que la moyenne à se situer dans des phases plus favorables dans les quatre années qui suivent les interventions des activistes. Les entreprises matures ont également tendance à maintenir leur stade favorable. Les entreprises en phase finale ne montrent, elles, pas d’améliorations significatives, suggérant ainsi que la capacité des hedge funds à prodiguer des conseils stratégiques en matière de redressement pourrait être plus limitée.

Périodes longues et hedge funds expérimentés

Une batterie d’analyse complémentaire montre en outre que les avantages de l’activisme des fonds ne sont pas uniformément répartis entre les entreprises cibles, mais dépendent de caractéristiques propres à la campagne menée. Ainsi, les campagnes plus longues et celles orchestrées par des investisseurs plus expérimentés dans le secteur de la firme cible se distinguent.

Le temps semble ainsi jouer un rôle crucial dans la capacité des hedge funds à créer de la valeur pour les entreprises qu’ils ciblent. Les avantages de la prestation de conseils sont plus visibles lorsque la relation entre ces fonds, les gestionnaires et les administrateurs se développe sur une période plus longue, favorisant ainsi davantage d’interactions et la recherche d’un consensus amélioré.

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Par ailleurs, conformément à la vision de l’entreprise fondée sur les ressources (qui part du principe que c’est en mettant la main sur des ressources stratégiques que l’entreprise peut obtenir un avantage comparatif durable), les résultats indiquent que la valeur ajoutée de la prestation de conseils des hedge funds est plus manifeste lorsque ces fonds ont une expérience plus approfondie dans le secteur et peuvent la partager avec les entreprises qu’ils visent. Cela corrobore des résultats de recherches précédentes.

Encore quelques zones grises

Enfin, la recherche écarte l’idée que la nature conflictuelle de la campagne mène nécessairement à des résultats stratégiques supérieurs. Une campagne agressive n’est pas intrinsèquement préjudiciable ; elle ne se traduit pas toujours pour autant par des changements stratégiques optimaux.

Pris dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que les hedge funds activistes ont la capacité d’offrir de précieux conseils à leurs entreprises cibles, apportant ainsi des preuves de leur contribution positive aux actionnaires des entreprises. Ils augmentent de manière significative la probabilité des jeunes sociétés d’atteindre le stade de la maturité dans les 4 ans qui suivent l’initiation de la campagne d’activisme. Ces bénéfices se manifestent néanmoins dans des cas précis, avec une cible plutôt jeune, un gérant de hedge fund expérimenté et une campagne longue.

Il reste néanmoins de nombreuses zones grises sur l’activisme actionnarial émanant des hedge funds, notamment leur contribution au capital intangible des entreprises ou leur influence sur les pratiques ESG. Deux études sur ces sujets sont d’ailleurs en cours pour appronfondir ce sujet.

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