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Les forêts « neigeuses », une longue histoire d’adaptation au feu

Depuis le début de l’année, 12 millions d’hectares de forêts sont partis en fumée en Sibérie. Ekaterina ANISIMOVA / AFP

Les grands incendies qui ont ravagé des millions d’hectares de forêt cet été en Sibérie et l’année précédente en Scandinavie nous l’ont rappelé : les forêts neigeuses ne sont pas épargnées par la menace du feu.

Ces forêts froides ne se résument pas aux taïgas de Sibérie ou de Suède ; elles existent également en haute montagne en France, dans les Alpes ou les Pyrénées. Si elles connaissent chaque hiver un long enneigement, elles sont aussi parfois, contre toute attente, le lieu d’incendies de végétation. Ces derniers surviennent souvent en automne lorsque les premiers froids dessèchent les herbes et les litières des sous-bois.

Des études publiées en 2018 dans Ecosphere et Journal of Biogeography soulignent ce risque bien réel, montrant qu’il pourrait s’accroître dans les prochaines années. Si la perception de ce risque est nouvelle chez les résidents de ces montagnes, elle fait toutefois écho à une histoire plusieurs fois millénaire, traversée par de nombreux incendies, et ce bien avant l’arrivée des premiers éleveurs préhistoriques.

Ces travaux mettent non seulement en lumière les mécanismes météorologiques et climatiques, mais aussi le rôle de la végétation dans les causes qui favorisent ou contiennent ces incendies.

Forêt neigeuse en hiver et, en médaillon, vue en été.

Forêts de conifères

Le pin cembro a des branches basses, une écorce fine, un bois et des aiguilles plus inflammables. Wikipédia, CC BY-NC-ND

Les forêts neigeuses – appelées « subalpines » par les spécialistes – sont situées en haute altitude : au-dessus de 1 800 mètres dans les Alpes les plus méridionales et de 1 300 mètres dans les plus septentrionales. Dans ces zones, elles sont composées pour l’essentiel de conifères comme le pin cembro et le pin à crochet, associés au mélèze – surtout dans les Alpes du sud (Hautes Alpes, Alpes de Haute Provence et Maritimes) – ou l’épicéa et le sapin – surtout dans les Alpes du nord (Savoie, Haute-Savoie et Isère). Les sous-bois sont couverts de buissons (rhododendrons, myrtilles, airelles, genévriers) ou d’herbes en fonction des anciens usages pastoraux et sylvicoles datant du XIXe ou du début du XXe siècle ainsi que du temps passé depuis l’abandon de ces usages.

Le mélèze est une espèce peu inflammable en raison de son écorce épaisse, de son feuillage riche en eau et de ses branches haut perchées. Pasja1000/Pixabay, CC BY-NC-SA

Par leur composition en matière d’espèces, d’organisation et de fonctionnement, les forêts neigeuses des Alpes sont analogues à celles de Sibérie. Dans ces deux contextes, épicéas, sapins et mélèzes présentent des propriétés d’inflammabilité identiques ; les sous-bois sont constitués d’espèces de buissons ou d’herbes identiques ou très semblables.

Intensité potentielle d’incendies sur la carte des forêts des Alpes françaises situées au-dessus de 600 mètres d’altitude.

Printemps pluvieux, automnes secs

Au cours de l’étude, il est apparu que les forêts subalpines des vallées internes des Alpes – Alpes du Sud et Savoie – au climat plutôt sec en moyenne, présentaient une grande probabilité de propagation de feux. Ces constats sont issus de modèles numériques et de mesures en forêts.

Intuitivement, on imagine que la sécheresse estivale est nécessaire à la propagation des feux. En réalité, le feu trouve les meilleures conditions de propagation en fin d’été et au début de l’automne, lorsque les herbes finissent de se dessécher sous l’effet des premiers gels automnaux et au bénéfice d’une période sans pluie pendant plusieurs semaines. Depuis 2003, des foyers d’incendies se sont souvent déclenchés entre septembre et novembre, par exemple dans les vallées de la haute Durance en France ou dans les vallées du Piémont en Italie.

Mais l’étude minutieuse des mécanismes météorologiques a révélé que la sécheresse de fin de saison est insuffisante si le printemps des années précédentes n’a pas été pluvieux. Le feu se propage s’il est grassement alimenté par des litières de brindilles d’arbres et de buissons, de feuilles d’herbes et d’aiguilles de conifères.

Or pour produire ses litières, il importe que la végétation puisse croître convenablement, grâce aux pluies du printemps.

Schéma figurant les relations entre la météorologie, la végétation et les incendies (l’épaisseur des flèches illustre la force de la relation, tandis que la couleur traduit le caractère favorable – vert – ou défavorable – rouge) ; à gauche, vue d’une forêt neigeuse en juillet (le sous-bois d’herbes est vert et donc peu propice aux incendies) ; à droite, forêts subalpines quelques mois après un incendie, au sol couvert d’épilobe en épi, une plante souvent favorisée par les feux.

Couvert peu dense et sous-bois mixte

Mais la végétation elle-même agit sur le risque de feu. La productivité herbeuse ou l’épaisseur de la litière jouent notamment un rôle. La variable la plus importante demeure toutefois la densité du couvert en arbre. Si ce dernier est trop dense, l’humidité reste confinée dans le sous-bois, et les herbes et les buissons ne poussent pas du fait de la compétition exercée par les arbres. Une telle configuration réduit la capacité de propagation du feu. Un couvert d’arbres intermédiaire (environ 40 % de couverture du sol) est le compromis qui offre les conditions idéales à la propagation du feu ; au-delà, le risque décroît. Une telle couverture est très fréquente dans les forêts subalpines, tandis que l’on trouve des couvertures très denses dans les forêts de plus basse altitude, dites « montagnardes ».

La composition du couvert en arbre conditionne aussi le risque de feu. Plus il est riche en conifères, plus le feu se propagera. Les quelques arbres et arbustes feuillus des forêts neigeuses – bouleaux, peupliers, saules, sorbiers, aulnes, érables – limitent la propagation du feu. Peu inflammables, ils ont tendance à constituer un couvert dense.

En résumé, une forêt pure de conifères peu dense est le meilleur compromis écologique pour des feux de végétation en haute montagne.

Les leçons de la paléoécologie

Élément intéressant, des travaux portant sur l’histoire des feux de forêts subalpines montrent que les feux de végétation sont très anciens et donc naturels dans les Alpes ; ils ont même pu se propager dans des environnements périglaciaires, bien avant l’expansion des premières traces de pastoralisme néolithique ou des âges des métaux.

Néanmoins, les pratiques humaines anciennes ont contribué à accroître momentanément la fréquence des feux et plus souvent la réduire par suppression du couvert forestier et son remplacement par des prairies subalpines, pauvres en combustibles ligneux. En outre, ces travaux paléoécologiques permettent de décomposer les liens à long terme unissant le couvert forestier et les incendies.

On y apprend ainsi que le pin cembro domine toujours la forêt avant un incendie, que la croissance des bouleaux étaient immédiatement favorisés par les feux puis, plus tard, les landes à rhododendron, myrtilles ou airelles ; après quelques décennies, les herbes prennent de l’importance ; enfin, plus d’un siècle après le feu, le mélèze domine.

Les forêts froides sous le feu des projecteurs. Réalisé par des étudiants de Master de l’Université de Montpellier sous la direction de Christopher Carcaillet.

Implications pour la gestion des écosystèmes

Il ne fait guère de doute que le climat se réchauffe et que le climat régional des Alpes tend à devenir plus sec qu’au cours du XXe siècle. Malheureusement, les climats du printemps et de l’automne demeurent peu étudiés, de sorte qu’il est difficile de se faire une idée précise des tendances pour ces deux saisons cruciales en ce qui concerne la gestion du risque de feu dans les forêts neigeuses.

Les changements d’usages, l’abandon des pratiques sylvopastorales notamment, stimulent l’expansion en haute montagne des forêts de pin cembro avec des sous-bois mixte de buissons et d’herbes. Ces forêts augmentent ainsi leur charge en combustible, et les vieux boisements qui étaient isolés jusqu’alors sont de mieux en mieux connectés entre eux, facilitant la propagation du feu de l’un à l’autre.

Ce cocktail de changements climatiques et d’usages se révèle favorable aux incendies sur de vastes étendues même si ces feux restent historiquement plus rares dans les forêts subalpines que dans les forêts méditerranéennes ; heureusement, les espèces qui poussent après les feux de forêts neigeuses s’avèrent moins favorables aux incendies car moins inflammables (herbes, bouleau, mélèze). Pour autant, supprimer activement les feux poserait également problème, car la dynamique écologique post-incendie génère une diversité spécialisée d’espèces et de communautés qui risquerait de disparaître en cas de suppression des perturbations.

On n’est jamais à l’abri d’une saison extraordinairement sèche et chaude comme l’été 2018 en Scandinavie ou l’été 1998 dans les Rocheuses du Wyoming aux USA. Les feux s’étaient alors propagés dans les forêts de montagne, facilités par 100 ans de suppression voulue des incendies, de changements de pratiques pastorales en Scandinavie ou la destruction des bisons dans le Wyoming. Les herbivores comme les vaches, les moutons, les rennes ou les bisons éliminent une partie du combustible en le consommant ou le piétinant.

Si la sécheresse se poursuit d’ici à la fin de l’été, des incendies pourraient se propager en haute montagne avec les premiers frimas automnaux. L’accroissement de la fréquence d’étés caniculaires au XXIe siècle risque de menacer les forêts subalpines, surtout si les printemps sont assez pluvieux pour favoriser la croissance des végétaux et les automnes suffisamment secs.

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