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Les métamorphoses du consommateur-producteur-distributeur

C’est désormais aussi autour des écrans et des objets connectés que s’organisent les nouveaux liens sociaux. Shutterstock

Consommer autrement, mieux, moins ? Le 26 janvier dernier, L’Obsoco organisait à l’ESCP Europe une journée de réflexion sur le thème « Dé-penser la consommation ». Partenaire de ce colloque, The Conversation publie les différentes interventions des chercheurs participants. Des podcasts du colloque, réalisés par Moustic The Audio Agency, sont à découvrir à la fin de chaque article.


Le monde a toujours été en mouvement, mais souvent on n’y portait qu’une attention distraite ou intermittente. Et pourtant, la globalisation du monde a probablement commencé il y a 3000 ans avec les premières routes de la soie qui reliaient la Chine au Moyen-Orient. Elle faisait suite à l’émergence d’une technologie nouvelle : la domestication du dromadaire qui permettait une meilleure circulation des marchandises.

Aujourd’hui, le porte-conteneurs a remplacé le chameau. Les deux routes de la soie sont toujours aussi vitales pour le commerce international entre la Chine et l’Europe de l’Ouest. Surtout, cette globalisation semble s’accélérer du fait de l’effervescence qui touche les nouvelles technologies et de la quantité d’informations sans cesse disponibles sur nos écrans.

Des mondes parallèles

Pour comprendre ces changements, la méthode anthropologique adoptée ici ne cherche pas à maîtriser toute l’information, ni à avoir une approche globale, ni à se limiter à l’individu et à ses motivations. Elle vise à repérer les éléments qui pourront expliquer les comportements des acteurs sociaux en général et des consommateurs en particulier.

L’un des constats tirés de l’observation du quotidien – grâce à des enquêtes menées en Europe, en Chine, aux États unis, au Brésil et en Afrique – est que les sociétés, les nations, les pays, aujourd’hui et à travers l’histoire, fonctionnent comme s’ils étaient des mondes parallèles.

Les contacts entre ces mondes fonctionnent de façon discontinue : ils sont imprévisibles, sans logique globale et sans représentation commune à l’ensemble de la planète.

Pour être en mesure d’observer ce qui peut émerger et impacter les comportements, on s’efforcera d’imaginer un grand système d’action organisé autour de quatre grands pôles : la production, la distribution, la consommation et l’environnement.

Et ces quatre pôles sont sensibles à un certain nombre de transformations qui touchent l’énergie, les formes de la mobilité, la finance, les nouvelles technologies et les forces militaires. Le déclenchement d’un changement pouvant émerger tant à l’échelle macrosociale que microsociale.

L’une des façons de présenter l’histoire du monde depuis son commencement pourra par exemple consister à montrer que le contrôle de l’énergie a toujours représenté un enjeu central pour le développement et la survie des sociétés.

Jusqu’au XVIIIe, ce sont les « énergies biologiques » qui ont dominé, avec l’énergie humaine, l’énergie animale associée à l’énergie solaire qui fournit l’alimentation, l’énergie éolienne et l’énergie hydraulique. Au XVIIIe, l’usage du charbon révolutionne l’ordre mondial. Pendant le XIXe et le XXe siècles, ce sont les énergies fossiles qui dominent. Aujourd’hui, sous contrainte de pollution et de réchauffement climatique, des énergies alternatives sont en train d’émerger, notamment en Chine, l’un des plus gros investisseurs mondiaux en énergie solaire.

Une série de « retours »

On assiste aussi à un certain nombre de « retours », à commencer par celui des incertitudes climatiques. Elles étaient liées aux saisons dans les sociétés agraires. Elles sont désormais associées au réchauffement climatique dans les sociétés modernes. Le deuxième « retour », depuis l’intervention américaine en Irak de 2003, est celui des guerres unilatérales comme mode de régulation des conflits autour de l’accès à l’énergie, des matières premières et de la terre ; c’est notamment le cas en mer de Chine, l’un des lieux de passage les plus importants du commerce international et où les budgets militaires connaissent une forte augmentation.

Aux tensions militaires sont associées les tensions numériques autour des détournements de données. La justification de ces tensions s’exprime à travers de nouvelles idéologies mobilisatrices « populistes », « confucianistes » et religieuses extrêmes.

Le troisième « retour » est celui des « paysans » – free-lance et auto-entrepreneurs – et des « paysans sans terre » et donc sans revenus, une partie des chômeurs, associé à un mélange de « métayage » et de « location » grâce aux plateformes de services, comme Uber (ou Didi en Chine). Est aussi concerné tout ce que l’on désigne comme coproduction, consommation collaborative et location de biens et services.

Le quatrième « retour », très lié au troisième, concerne le lien reconstitué entre production, consommation et échanges dans l’espace domestique, comme cela a été la règle dans les sociétés agraires entre -8000 et 1750.

Le cinquième retour est celui de l’Asie après deux siècles de déclin, et de l’importance des interrelations entre les grandes métropoles, depuis la Chine jusqu’à l’Europe, au détriment des périphéries. Entre 2000 et 2009, la classe moyenne supérieure mondiale, celle qui consomme le plus et qui avait mis 200 ans à se constituer, est passée en une décennie de 200 à 560 millions. Cette montée entraîne un déplacement des flux de richesses, des budgets militaires et des tensions internationales vers le Pacifique.

Plateformes et télétravail

Depuis la Révolution industrielle, on a assisté à une séparation forte entre lieu de production et de travail professionnel, lieu de consommation et de travail domestique et lieu de distribution. C’est la montée des passages dans les grandes capitales européennes, des grands magasins vers 1850, des supermarchés et des malls aux États-Unis et en Europe, autour desquels s’organisent la mobilité triangulaire entre lieu de résidence, de travail et d’achat.

Cette mobilité triangulaire est fortement remise en cause au XXIe siècle par la digitalisation de la circulation des informations favorisant la mise en place de plateformes. Ces dernières bousculent le lien de subordination salariale au profit du travail indépendant (près de 3 millions de personnes en France aujourd’hui). Le travail indépendant se fait en partie dans le logement. Ces plateformes transforment aussi le rôle de la distribution en facilitant l’accès aux services et le développement de la livraison à domicile.

L’augmentation du chômage et des petits métiers et la hausse du nombre de retraités et de populations vivant de l’aide sociale entraînent, à la fois, de fortes contraintes de pouvoir d’achat et un retour sur le logement qui devient à nouveau un lieu de production. Il est également lieu de travail traditionnel (bricolage, jardinage et tâches ménagères) et lieu de distribution (commandes par Internet) et de consommation (autour de la cuisine notamment).

Plus globalement, les contraintes de pouvoir d’achat jouent en faveur des plateformes qui permettent la baisse des coûts, la comparaison des prix et le contrôle de la production par la notation. Elles permettent le développement de « l’achat malin » (marchand ou non marchand) et donc des formes d’autoconsommation et d’échanges non monétaires qui réorientent une partie des pratiques de consommation en dehors du circuit marchand.

Un espace domestique révolutionné

À une échelle microsociale – celle du living, de la cuisine, de la salle de bain ou de la chambre – la digitalisation a entraîné une multiplication des écrans de télévision, d’ordinateur, de jeux vidéo, de tablettes, et surtout de téléphones mobiles.

On l’observe autour de l’usage des applications qui favorisent l’émergence de nouvelles mises en scène du lien social entre groupe de pairs, adolescents et jeunes, comme avec les selfies ou musical.ly. Sans oublier le risque du retour du « modèle Landru », de la femme au foyer, qui émerge dans de nombreux pays avec la montée du chômage et du traditionalisme religieux.

Le problème reste que les écrans ont un bilan écologique négatif en termes de matières premières, comme le silicium nécessaire à leur fabrication, en termes de consommation du fait de l’énergie nécessaire à leur usage. Tout cela a des conséquences géopolitiques notamment avec la Chine qui maîtrise le marché des terres rares.

L’espace domestique s’apparente aujourd’hui à un « mini hub » digitalisé grâce à la multiplication des écrans dans toutes les pièces du logement alors que dans les années 1990 à 2000, les écrans étaient concentrés dans le living. Aujourd’hui, c’est autour des écrans fixes et mobiles, du téléphone, des objets connectés ou des nouveaux réfrigérateurs digitaux coréens, que s’organisent les nouveaux liens sociaux du consommateur-producteur-distributeur moderne.

Dé-penser la consommation : « Comment la montée de la classe moyenne mondiale a transformé les modes de vie, la consommation et les frontières entre travail et consommation » par Dominique Desjeux. Obsoco/Moustic28.7 MB (download)

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