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Les mouvements écologistes et l’État : itinéraire d’une rupture

Des manifestants se protègent derrière des boucliers de fortune lors d'affrontements avec des gendarmes pendant une manifestation contre les méga-bassines, symbole des tensions autour de l'accès à l'eau, à Sainte-Soline, le 25 mars 2023.
Des manifestants se protègent derrière des boucliers de fortune lors d'affrontements avec des gendarmes à Sainte-Soline, pendant une manifestation contre les méga-bassines, le 25 mars 2023. Pascal Lachenaud / AFP

Ils et elles avaient fondé leurs espoirs sur leur capacité à pousser les États à agir à la hauteur de leurs ambitions climatiques. Près de cinq ans après les marches massives pour le climat, leurs espoirs ont été balayés. Pour les militant·e·s écologistes, la dissolution des Soulèvements de la Terre en France et la promulgation de lois répressives en réaction aux actions de désobéissance civile au Royaume-Uni marquent un tournant important.

De l’enthousiasme des débuts à l’expérience de leur criminalisation, comment les rapports à l’État des mouvements et des militant·e·s écologistes engagés dans la désobéissance civile ont-ils évolué ? L’observation des cas français et britannique montre des convergences.

Un « retour » optimiste à l’État

Les marches pour le climat et les actions de désobéissance civile émergent en 2018/2019, à mi-chemin entre le militantisme institutionnel transnational des ONG et la radicalité de certaines luttes locales. En déployant des actions médiatiques (blocage de routes, occupation de ponts, enchaînement à des bâtiments) dans les grandes capitales européennes, ces mouvements ont fait le choix de revenir explicitement à l’État.

Dans une tradition de désobéissance civile de type libérale, l’objectif n’est pas de renverser le système politique mais d’inciter les gouvernements à agir pour respecter des objectifs de réduction d’émissions qu’ils se sont eux-mêmes fixés.

L’usage de modes d’action illégaux s’explique alors avant tout par l’incapacité de la démocratie représentative à répondre à ces demandes.

Elle s’inscrit également dans une critique de l’institutionnalisation des ONG. Contrairement à ces dernières qui recourent à des activistes professionnels, les mouvements tels Extinction Rebellion optent pour une désobéissance civile de « masse » qui consiste à occuper l’espace public avec un grand nombre d’activistes, comme ce fut le cas lors des blocages de ponts organisés pendant plusieurs jours à Londres, en avril 2019. La pression sur le gouvernement est toutefois envisagée de manière essentiellement symbolique, mue par la volonté d’acquérir le soutien de l’opinion publique et de susciter une réaction policière mesurée.

Blocage du pont de Waterloo par des militants d’Extinction Rebellion.

Cette stratégie semble avoir initialement répondu à l’enthousiasme des militant·e·s puisque le parlement britannique a voté, fin avril 2019, une motion déclarant « l’urgence climatique ». De même, l’annonce de la Convention Citoyenne pour le Climat en France, si elle résulte avant tout de la crise des gilets jaunes, a été perçue comme un signe encourageant par Extinction Rebellion qui achevait alors une phase d’actions à Paris et en avait fait une priorité.

Les désillusions post-Covid

La crise sanitaire et les mesures de confinement du printemps 2020 stoppent net la dynamique enclenchée comme le montrent les enquêtes de terrain : les effectifs militants s’effondrent, de nombreux groupes locaux disparaissent faute de volontaires. Ils doivent aussi faire face au désintérêt des médias (l’effet de nouveauté s’est dissipé) ainsi qu’à l’adaptation des stratégies policières (le démantèlement des blocages est désormais facilité par la mobilisation d’équipes spécialisées). L’épisode du Covid conforte toutefois les militant·e·s dans leur conviction que les États demeurent un outil d’intervention puissant dans la société et l’économie.

L’enterrement des ambitions de la Convention Citoyenne pour le Climat en France, l’absence d’avancées concrètes lors de la COP26 de Glasgow et la succession de décisions néfastes à l’environnement émanant des gouvernements conservateurs au Royaume-Uni douchent les espoirs d’un tournant écologiste post-Covid.

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Le diagnostic des militant·e·s évolue progressivement : initialement optimistes quant à leur capacité à rallier une opinion publique et des responsables politiques qu’ils jugent insuffisamment informés, ils focalisent désormais leur attention sur les intérêts économiques et les lobbys qui sous-tendent l’inaction climatique.

Un changement de stratégie

Dans ce contexte, les mouvements écologistes empruntent des trajectoires différentes des deux côtés de la Manche. Au Royaume-Uni, des militant·e·s d’Extinction Rebellion déçus par l’apathie de leur mouvement se fédèrent pour donner naissance à Insulate Britain puis à Just Stop Oil. Ces mouvements adoptent une même stratégie : se concentrer sur une cible (le gouvernement) et une demande (la rénovation thermique des bâtiments puis l’arrêt des licences accordées aux projets d’extraction pétroliers et gaziers). Les modes d’action employés cherchent à choquer sans se préoccuper d’avoir le soutien majoritaire de l’opinion publique : blocage de routes, interruption d’événements sportifs, profanations symboliques d’œuvres d’art…

Des militants d’Extinction Rebellion jettent de la soupe sur une toile de Van Gogh, interrogeant : l’atteinte à l’art nous scandaliserait plus que celle au vivant ?

En France, le renouveau vient surtout des Soulèvements de la Terre. Ces derniers opèrent une convergence entre le militantisme local et direct des Zones à défendre (ZAD) et le caractère national et épisodique des mouvements de désobéissance civile. Ces mobilisations se déploient sur des terrains différents : dans la capitale, Londres, pour Just Stop Oil ; sur le lieu des projets contestés pour les Soulèvements de la Terre. Elles ont pour dénominateur commun de cibler des points névralgiques de l’inaction climatique des États : la dépendance aux énergies fossiles dans le cas britannique, le soutien actif à des modèles d’agriculture et d’aménagement productivistes en France.

Expérimenter la répression

Depuis qu’ils ont affiné leurs cibles et leurs méthodes, les mouvements écologistes de désobéissance civile font l’objet d’une forte répression. Au Royaume-Uni, celle-ci se traduit par une restriction des libertés de manifester au travers de lois établissant des seuils très stricts pour interdire un rassemblement (un niveau sonore jugé trop important, par exemple, ou une perturbation, même minime, de la circulation).

Ce durcissement législatif pointé du doigt par les Nations unies coïncide avec une multiplication des procès contre des militant·e·s. Ces derniers aboutissent à de lourdes condamnations pénales (des mois voire des années de prison dans les cas les plus graves) ainsi qu’à des procédures très onéreuses pour les militants (à la hauteur de plusieurs centaines, voire milliers d’euros) lorsqu’ils sont poursuivis par des entreprises.

En France, ce tournant répressif s’est illustré récemment par des interventions policières brutales qui, depuis l’épisode de Sainte-Soline (également mentionné dans un avertissement des Nations unies), ne se limitent plus aux ZAD. Quelques mois avant la dissolution des Soulèvements de la Terre pour « agissements violents à l’encontre des personnes et des biens », le préfet de la Vienne avait demandé de retirer les financements de la mairie de Poitiers à Alternatiba, une organisation de désobéissance civile. En application du « contrat d’engagement républicain », la préfecture pointait le risque de trouble à l’ordre public. Ainsi, tout mouvement doit considérer qu’il est désormais dans le viseur des autorités.

Ce tournant répressif met à mal les stratégies libérales de désobéissance civile fondées sur l’exercice d’une pression symbolique et le ralliement de l’opinion publique. Il encourage une approche plus offensive : agir directement pour mettre un terme aux atteintes à l’environnement, d’où la popularité du livre d’Andreas Malm, Comment saboter un pipeline. On ignore encore dans quelle mesure les mouvements écologistes emprunteront cette voie, mais il est clair que pour ses membres, l’action étatique représente de moins en moins un horizon de transformation réaliste et désirable. Tant que les gouvernements continueront à privilégier la répression à l’action climatique, il est fort probable que cette vision désenchantée gagne du terrain au-delà des seules militant·e·s.

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