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Les promesses de la blockchain pour favoriser le développement des pays à faible revenu

Au Brésil, la Banque de développement allemande expérimente un système fondé sur la blockchain pour coordonner les flux de fonds des organismes d’aide. Donatas Dabravolskas / Shutterstock

Cet article synthétise le document de travail de Marc Raffinot et Mathieu « Blockchain et pays en développement : vers une technologie maîtrisée ».


Dans le domaine du développement économique, de nombreuses applications des blockchains, qui permettent de gérer et certifier des transactions de manière distribuée sans autorité centralisée de contrôle, ont été proposées. Des expérimentations sont actuellement en cours pour tenter de contourner le manque de confiance dans des sociétés où les relations sont très personnalisées. Les systèmes fondés sur des blockchains sont en effet présentées comme des technologies « créatrices de confiance » qui ont le potentiel pour surmonter ce handicap. Elles permettraient alors de contourner des États jugés inefficaces et/ou corrompus en sécurisant des chaînes de dépenses et en créant des registres décentralisés, alimentés et entretenus par les individus eux-mêmes.

Ces technologies devraient entre autres renforcer la reconnaissance des droits de propriété, un élément fondamental pour le développement comme l’ont montré les travaux de l’économiste américain Douglass North. Il deviendrait possible de créer des registres de droits de propriété (cadastres, comptes bancaires, etc.) difficilement falsifiables.

L’économiste péruvien Hernando de Soto. I4LD 1 et Flavia Gandolfi,/Wikimedia

Actuellement, dans les pays en développement, ces droits sont souvent violés, étant souvent informels (dans les bidonvilles, par exemple) ou coutumiers (c’est le cas de la plupart des terres agricoles en Afrique de l’Ouest). Les partisans de la création de droits reconnus (comme l’économiste libéral Hernando de Soto au Pérou) soulignent que ces droits pourraient ensuite être utilisés comme garanties pour obtenir des prêts bancaires. Le Ghana faisait figure de pionnier en ce domaine, avec l’implication d’une ONG, Bitland, et, plus récemment celle d’IBM. Dans le domaine des transactions financières, le succès des systèmes de microfinance utilisant la téléphonie mobile (comme M-Pesa au Kenya, en Tanzanie, en Afghanistan, etc., ou Orange Money en Afrique de l’Ouest) pourraient supposément opérer de manière plus sécurisée et moins onéreuse avec des blockchains.

Les blockchains permettraient d’abaisser les coûts deses block systèmes de microfinance comme M-Pesa au Kenya. Fiona Graham/WorldRemit/Flickr

Traçabilité totale des fonds

Mais c’est plutôt du côté de l’assurance que les bénéfices pourraient être les plus importants. En effet, les producteurs doivent souvent renoncer à des investissements potentiellement profitables parce que trop risqués. Le développement de smart contracts peu onéreux et automatiques pourraient mener à des assurances accessibles et fiables.

Dans le domaine de l’aide au développement, on attend des blockchains qu’elles permettent une réduction des coûts de transaction et une traçabilité totale des fonds, ce qui pourrait permettre de vérifier que les fonds parviennent bien aux personnes à aider. Cela pourrait être aussi le cas pour les transferts des travailleurs émigrés ou pour les transferts en liquide qui se sont développés pour assister les plus pauvres (au départ au Mexique et au Brésil). Le Start Network a été constitué sur cette base pour mieux financer les urgences humanitaires, et la Banque de développement allemande (KFW) développe un projet (TruBudget) fondé sur des blockchains pour coordonner les flux de fonds des organismes d’aide, et les intégrer aux logiciels de gestion des finances publiques des pays aidés (une expérience est en cours avec le Brésil).

Au sein même des finances publiques, il serait possible d’utiliser des technologies blockchains pour rendre transparents les virements à des entités décentralisées, qui peinent souvent à pouvoir utiliser les sommes qui sont inscrites pour elles dans les budgets nationaux. Enfin, les blockchains ont également l’intérêt de pouvoir rendre indiscutables les résultats des élections, un problème récurrent et débouchant régulièrement sur des troubles.

Coupures d’Internet…

Pourtant, malgré tous ces avantages, il n’est pas évident que les infrastructures basées sur des blockchains soient capables d’apporter une impulsion décisive au développement – en dehors même des problèmes rencontrés partout, comme la possibilité de vols électroniques.

Les registres de droits de propriété ne sont un rempart contre l’expropriation que si le propriétaire légitime peut faire prévaloir son droit en cas de violation. C’est souvent difficile dans des pays où l’indivision est répandue et où les autorités légitimes pour décider des droits sont multiples. Cela suppose que la violence pure et simple ne fait pas partie des relations entre personnes et que la violence d’État est légitime, deux conditions rarement respectées. C’est une des raisons pour laquelle les expériences de formalisation des droits de propriété n’ont guère jusqu’ici incité les banques à octroyer des prêts.

Dans le même ordre d’idées, les techniques fondées sur Internet et des téléphones portables suffisent pour sécuriser des transactions. Mais dans les deux Congos, les pouvoirs en place ont simplement empêché le fonctionnement d’Internet pour que la société civile ne puisse pas effectuer de contrôle des résultats des élections.

… et d’électricité

Sécuriser les envois de fonds est une chose, mais il faut au préalable une action de terrain pour identifier les bénéficiaires et gérer l’accompagnement du transfert. Les expériences menées, notamment en ce qui concerne la microfinance « directe » (Kiva ou Babyloan) montrent qu’il est difficile de se passer d’une organisation sur place à laquelle il faut faire confiance pour identifier et suivre les bénéficiaires. Par ailleurs, certaines cryptomonnaies constituent des moyens efficaces de fuite de capitaux.

De plus, les systèmes de transferts de fonds pilotés par les pays industrialisés, même s’ils améliorent la qualité de leur gestion et accroissent leur transparence, peuvent être considérés comme relevant d’un certain néo-colonialisme. Enfin, la puissance de calcul nécessaire, la dépense d’énergie impliquée par ces calculs, l’infrastructure et son maintien par des ressources humaines qualifiées posent un problème difficile à résoudre, notamment dans les pays les plus pauvres où pour prendre un exemple simple, les coupures d’électricité sont récurrentes.

Pourtant, une partie de ces problèmes pourraient être levée si l’on acceptait le développement de techniques moins « parfaites » peut-être, mais aussi moins complexes. Pour cela, il faudrait accepter qu’une partie de l’information soit stockée non pas de manière totalement décentralisée, mais au niveau de tiers de confiance qui auraient pour fonction d’héberger des blocks. Certaines organisations multilatérales du système des Nations unies pourraient jouer ce rôle, sous le contrôle d’organisations de la société civile.

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