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Les salaires des footballeurs se justifient mieux économiquement que ceux des grands patrons

Kylian Mbappé touche à peu près autant que les patrons du CAC 40. Vlad1988/Shutterstock

Quoi de commun entre les footballeurs et les PDGs ? Pas grand-chose si ce n’est le salaire. Au bas de l’échelle, on voit bien, sans avoir besoin de mobiliser de lourdes statistiques, que l’entrepreneur individuel soumis à la faillite n’a pas un sort bien différent du footballeur professionnel à la limite de l’amateur, qui est durement exposé au chômage : les deux ont souvent du mal à joindre les deux bouts.

Mais c’est surtout en haut de l’échelle que la similitude est frappante. Il suffit de consulter rapidement Internet pour le voir : jusqu’à 21 millions d’euros par an pour nos champions du monde, des sommes proches de celles touchées pour les patrons du CAC 40. Carlos Ghosn, au temps de sa splendeur, ne dépassait guère le Kylian Mbappé d’aujourd’hui. Il en est de même au niveau international : Cristiano Ronaldo et Lionel Messi tournent autour de 100 millions d’euros par an, cinq à six fois plus que les patrons de Netflix ou d’Apple. On ne peut qu’être frappé par ces montants extravagants quand on les compare par exemple au revenu moyen national, de l’ordre de 25 000 euros.

Qu’en dira l’économiste, au-delà de l’évidence que la comparaison est sommaire, et qu’il faut la raffiner ? Il ne portera pas de jugement moral sur les niveaux de rémunération, il recherchera s’ils concourent à l’efficacité de l’économie, et pour cela, examinera la manière dont ces revenus se forment, le fonctionnement des marchés qui y conduisent.

Asymétrie d’information

Du côté des footballeurs, il verra jouer un mécanisme, le fameux mercato, un système d’enchères non sans analogie avec celui qui régit la cote des peintres ou la vente de biens immobiliers. Le bon footballeur remplit les stades, donc les caisses de son club, qui en déduit le gain que son acquisition lui procurera et donc le prix qu’il peut payer pour l’avoir. Ajoutons qu’en fixant cette enchère, il a une information quasi parfaite sur la qualité du produit qu’il achète – le footballeur : même le non-spécialiste, devant sa télé, voit bien que Griezmann marque beaucoup de buts, fait de belles passes. En termes d’analyse économique, il n’y a guère d’asymétrie d’information. Finalement, sous réserve de manœuvres du ressort de l’autorité de la concurrence, on n’est pas loin, au moins en principe, d’une situation Pareto optimale, comme le disent les économistes, représentant les vertus bien connues de la concurrence parfaite.

Ces vertus ne se retrouvent pas aussi clairement dans le marché des PDG, beaucoup plus opaque. Les mécanismes qui régissent le fonctionnement, et donc le succès, d’une équipe de football ne sont pas simples, mais ceux commandant celui des entreprises sont autrement plus complexes. L’opinion publique, et même le milieu professionnel, mesurent moins bien la qualité de leur gestion. Si elle est couronnée de succès, n’est-ce pas le résultat d’une heureuse adéquation entre la personnalité du dirigeant et un vent porteur extérieur ?

À l’inverse, des résultats décevants ne signifient pas forcément des erreurs de gestion. Tel qui a connu une suite de succès se met à faillir et enchaîner les échecs pour des raisons difficiles à démêler surtout sur l’instant, au moment où on a le plus besoin de les discerner – car avec le recul, on pourra trouver les causes de l’échec, mais il sera trop tard. Par ailleurs, un soupçon plane sur le mode de fixation des rémunérations : les intéressés ne sont-ils pas partie prenante à la décision les concernant ?

Finalement, en théorie au moins, l’économiste jugera plus favorablement le cas des footballeurs, il y trouvera davantage d’adhérence avec les principes d’organisation qu’il prône pour assurer l’efficacité et l’optimalité de l’économie de marché, et il sera plus circonspect sur le cas des PDG.

« Le peuple » et « les élites »

Est-ce à la suite de raisonnements techniques analogues à ceux qui précédent que l’opinion publique, telle qu’on la perçoit dans les médias ou dans les débats politiques, n’est guère émue par les salaires des footballeurs mais se trouve choqué par les rémunérations des PDG ? On se scandalise sur leurs salaires excessifs, on parle périodiquement d’en limiter le montant ; quant à ceux des footballeurs, on s’en étonne toujours, on les envie peut-être, on est souvent proche de les admirer au même titre que leurs exploits sportifs, mais personne n’a demandé de les plafonner.

Faut-il en conclure que les Français ont la fibre de l’économie ? Il y a trop d’indices allant en sens contraire pour ne pas chercher une autre explication à ces opinions différenciées sur les footballeurs et les PDG, du côté de la sociologie cette fois. Au regard des troublantes analogies en matière de rémunération qui ont constitué le point de départ de cette réflexion, n’y a-t-il pas aussi des différences majeures dans les profils des deux catégories en cause, à la fois dans les origines sociales et dans le niveau d’éducation ?

Les footballeurs, au moins professionnels, viennent majoritairement des classes défavorisées et peu d’entre eux ont dépassé le bac, à l’inverse des PDG. On pourrait symboliser ces différences par des expressions vagues mais parlantes : « le peuple » et « les élites », « l’école de la rue » et « les grandes écoles » et qui recouvrent surtout des différences dans les origines sociales et dans les niveaux d’éducation ; et n’est-ce pas dans ces différences qu’il faut trouver les divergences d’appréciation de l’opinion publique, où les élites sont minoritaires ?

Même sans aller plus avant dans la vérification de cette hypothèse, n’y a-t-il pas là des constatations qui devraient remplir l’économiste d’humilité, en lui faisant voir que les analyses tirées de sa discipline doivent souvent, si on veut les appliquer au réel, être complétées par le regard d’autres disciplines, comme la sociologie ou la psychologie ?

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