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Attention à ne pas céder à l'euphorie au moment de lancer une découverte technologique sur le marché ! Shutterstock

Les start-up universitaires en mal de planification stratégique ?

Une découverte scientifique ou technologique est un moment exaltant pour un académique. Lorsqu’un élan entrepreneurial vient enrichir le processus, voilà les équipes de recherche projetant la maturation de leurs travaux, listant les applications et conjecturant déjà les futures étapes de commercialisation et de croissance.

Cette excitation précoce est un formidable moteur pour les chercheurs de plus en plus invités à lancer une jeune pousse industrielle – une start-up « deep tech » – sur fond de relance industrielle et d’efforts divers de planification nationale que l’on observe en France, aux États-Unis ou à Singapour. La seconde édition de l’Observatoire des start-up, PME et ETI industrielles innovantes françaises le confirme, avec 118 nouveaux sites industriels inaugurés en 2023.

Fiancé au concept de « start-up », la « deep tech » (« deep » est l’anglais de « profond »), cet ensemble d’entreprises développant des techniques considérées comme fortement novatrices, a donné lieu à de nombreuses initiatives dont l’une des plus notables en Europe est le mouvement Hello Tomorrow réunissant chaque année l’écosystème international. Le terme s’est principalement étoffé par opposition aux cycles rapides du numérique qui concentre la majorité des grands succès entrepreneuriaux de ce siècle.

Faire passer des technologies de pointe du laboratoire à l’entreprise nécessite néanmoins un capital humain et financier substantiel et les délais de mise sur le marché sont plus étendus que leurs congénères du digital. De par la sophistication requise pour s’intégrer dans les chaînes de valeur industrielles, leur commercialisation est un sport naturellement collectif : le processus d’entreprise requiert des expertises combinées dont l’agrégation et la juste coordination déterminent les succès.

Des « mortes-vivantes »

Malheureusement, la standardisation accélérée des processus de création et de développement de société depuis les années 2000 – avec des pratiques comme le « lean start-up », qui vise à faire valider le produit par la clientèle rapidement, par itération, a accouché de cadres stratégiques et opérationnels prenant peu en compte les particularités des start-up de haute technologie. Une analyse ex-post faite annuellement par le média CBInsights sur les faillites de start-up affirme que 70 % des jeunes sociétés de haute technologie telle Brodmann17 or XACT Robotics relatent une inadéquation entre les temporalités de la science, celle du développement des produits et celle des contraintes financières.


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C’est pourquoi une fois passée l’euphorie du démarrage beaucoup de start-up deep tech restent « mortes-vivantes », sans croissance notable ou maintenues sous perfusion. Elles représenteraient 40 % des entreprises de biotechnologies outre-Atlantique d’après une étude datant de 2020.

Les start-up présentent souvent des hiérarchies plates, des structures informelles d’organisation et de communication, un haut degré supposé d’agilité et de flexibilité dans la prise de décision ainsi qu’une forte volonté d’expérimenter. Or, à miser sur l’agilité, les start-up deep tech négligent aisément la planification stratégique nécessaire à leur croissance : c’est l’une des raisons les plus fréquentes de leur échec. L’accent est mis sur l’opérationnel à court terme en raison de ressources financières restreintes et d’une connaissance limitée des méthodes de planification. La feuille de route d’une start-up devrait pourtant, dès l’amorçage, prendre la forme d’une liste de schémas directeurs et de défis prioritaires. Peu d’entrepreneurs évaluent régulièrement leurs activités et leurs facteurs clés de succès de manière holistique. À tort.

Les initiatives d’accompagnement de fondateurs scientifiques comme Deeptech Founders en France ou Activate aux États-Unis ne s’y trompent pas en mettant l’accent sur des structures de pilotage personnalisé sur des temps longs, transmises sur des périodes respectives de six mois et deux ans. Ces programmes ont accompagné des licornes deep tech comme Alice & Bob ou Pasqal, deux start-up spécialistes de l’informatique quantique, ou encore Brimstone Energy qui développe une technologie de ciments plus soutenables.

Un besoin d’être formé

Le taux de croissance d’une start-up deep tech dépend grandement de la cohérence entre son stade de développement et les caractéristiques structurelles de son organisation. Pas étonnant que les programmes pédagogiques sur l’entrepreneuriat pour les universitaires soient ciblés comme prioritaires dans un récent rapport rendu au gouvernement britannique.

Le mastère spécialisé Entrepreneuriat Deeptech et Innovation des Mines Paris – PSL est un exemple de cadre pédagogique innovant accompagnant les cadres exécutifs en reconversion attirés par l’entrepreneuriat deep tech. Ancien élève du mastère, Bruno Adhémar a ainsi récemment levé 11,5 millions d’euros pour sa start-up SUBLIME Energie, qui œuvre dans la liquéfaction du biogaz, près de cinq ans après sa création.

Les start-up nées des écosystèmes universitaires émergent donc lentement, parfois sur une période de cinq à dix ans. L’équipe formée au début du processus de création d’entreprise est souvent choisie par les inventeurs. L’expérience, la personnalité, la motivation et l’expertise de ses membres exercent une influence décisive sur les processus de développement. Les investisseurs ne s’y trompent pas en l’identifiant comme le critère principal d’investissement.

Les scientifiques façonnent ainsi la trajectoire initiale de la jeune pousse, employant un mélange de stratégies d’agrégation de ressources et de relations interpersonnelles, alimentées de leurs propres expériences. Avec pragmatisme, les chercheurs exploitent dans un premier temps les avantages que l’environnement universitaire peut offrir, de l’espace d’incubation à l’utilisation de laboratoires ou l’implication d’experts. Les scientifiques y ont plus de poids pour négocier ce dont ils ont besoin.

Rapidement cependant, un passage de relais est requis vers des profils prompts à orchestrer le passage vers le marché, à affronter les conservatismes industriels et à créer une culture d’entreprise fondée sur la performance et la confiance. Les dirigeants se laissent alors de plus en plus convaincre par l’expérience start-up.

Des éclaireurs et des activateurs

Le sentiment prédominant dans les deep tech est que les risques scientifiques et techniques constituent le défi central. Le risque de marché est en réalité également très important. La stratégie de développement partenarial semble ici un facteur décisif de succès : sur des marchés dynamiques à la concurrence accrue, il est devenu difficile de se différencier sur ses seules dimensions objectives de performance (disponibilité, fonctionnalité, fiabilité).

Des entreprises partenaires, plus matures, peuvent jouer un rôle « d’éclaireurs » en tant que premier client, conseil ou partenaire productif, du prototypage à l’industrialisation. Elles aident les entrepreneurs à identifier, définir et valider les opportunités de marché. Une fois les opportunités de marché communes validées, les entreprises partenaires se transforment idéalement en « activateurs ».

Au travers de sa plate-forme d’innovation Leonard, que nous avons observé dans nos travaux, le groupe Vinci articule par exemple des programmes distincts (« Seed » et « Catalyst ») au bénéfice des start-up. Leurs objectifs sont respectivement la validation d’opportunité d’une part pour les jeunes pousses en amorçage, et l’accélération stratégique d’autre part à destination de start-up en croissance.

Ces efforts prennent du temps. L’efficacité de l’action de ces « éclaireurs » et « activateurs » dans le processus de maturation des start-up deep tech reste largement sous-estimée. Pourtant, les effets synergiques positifs de ces interactions entre la science, les start-up et l’industrie semblent les pierres angulaires sur lesquelles se construisent les écosystèmes deep tech performants.

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