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Je suis ma maison. Author provided

L’exode de l’humanité en images

Alors que les médias communiquent quotidiennement au sujet de la crise migratoire, au niveau national comme international, ne faisons-nous pas face à une incompréhension humaine de la migration ?

L’exposition « L’Exode de l’humanité », visible du 2 au 31 mars à la Fondation Maison des Sciences de l’Homme, réalisée par l’artiste Cristian Pineda, s’efforce de rétablir une bonne image des migrants. En effet, loin des concepts de frontière, de guerre, de changement climatique, de visa, de camps ou encore de réfugiés, les acteurs migrants sont avant tout des humains dont l’existence physique coexiste avec un univers culturel fait d’expériences personnelles. Pour comprendre la migration à partir de l’expérience de vie et non pas à partir de notions politiques et diplomatiques, la rencontre entre l’art contemporain et les acteurs migrants compose une démarche innovante fondée sur l’émotion et le sentir humain.

Cette démarche est celle entreprise depuis 2006 par Cristian Pineda. D’origine mexicaine, l’artiste consacre une partie de son travail à la compréhension du phénomène migratoire. Originaire de Juchitán Oaxaca, une ville au sud du Mexique, qui présente la particularité d’être un territoire et un espace de passage commercial, touristique, mais aussi migratoire. Cristian Pineda vit donc depuis son enfance aux côtés d’un véritable transit migratoire en provenance d’Amérique centrale.

L’artiste Cristian Pineda. Cristian Pineda

À cette époque, les migrants étaient des aventuriers en quête d’une autre vie. Aujourd’hui, ils sont les victimes d’une violence structurelle présente en Amérique centrale et au Mexique. En fuite de ces violences extrêmes, en route vers le Nord, ils s’évadent vers des destinations inconnues, qui loin d’être des rêves (en l’occurrence le rêve américain), sont devenus des destinations de survie méconnues.

Dépasser les préjugés pour laisser place à l’humain

« Pourquoi les gens partent-ils ? Pourquoi arrache-t-on ses propres racines ? On peut être chassé, menacé, poussé à la fuite. Il peut y avoir la guerre, la faim, la peur, toujours elle. Mais on peut aussi choisir la fuite parce qu’elle est sage ».

La réflexion qui accompagne l’interrogation proposée par le romancier et dramaturge suédois Henning Mankell montre que le statut de victime est très vite dépassé par une volonté subjective d’être un acteur migrant.

Jungle de Calais. Author provided

L’artiste, qui a vécu au plus près le passage de la migration d’un état d’aventure à un état de crise humanitaire, illustre au travers de ses projets le besoin de donner la parole aux migrants et de comprendre ces vagues humaines en fuite. Tous ces migrants, même s’ils proviennent de pays, de cultures et de violences hétérogènes, partagent la qualité d’acteur du monde et de leur vie. Cristian Pineda traduit ainsi dans son œuvre cette capacité qu’ont les migrants à ne pas se placer comme victimes mais à se considérer comme acteurs.

Une expérience subjective

Ma rencontre avec Cristian Pineda a donné naissance à un travail en binôme où l’art participatif permet l’accès à des sources d’informations, certes complexes, mais surtout enrichissantes pour les sciences humaines. Au travers de cette expérience sociologique et artistique, le phénomène migratoire peut être étudié au-delà de ces considérations historiques, territoriales et politiques. Il permet ainsi de se pencher sur l’expérience subjective du migrant en question. Une expérience subjective qui se construit sur le vécu, les émotions, l’identité, le transit, l’aspiration, l’illusion…

Cercles de vie. Author provided

Lors des projets d’art participatif, les migrants et demandeurs d’asile construisent au travers de leur pièce artistique un narratif basé sur l’expérience de l’espace de départ et de transit ainsi que sur l’illusion future. Ce besoin de s’exprimer** est motivé par des expériences de violence extrême et structurelle. D’autant plus, que celles-ci ont été vécues dans un environnement connu et familier composé de relations familiales, amicales, professionnelles, mais devenu invivable pour les sujets en question. La migration est une fuite. La seule échappatoire à la mort.

Une exposition qui tient le rôle de médiateur

C’est donc au travers de cette perspective que mon travail sociologique dialogue avec le travail artistique de Cristian Pineda. Alors que de nombreux artistes font interagir leur travail avec le thème de la migration, Pineda dépasse la frontière entre la problématique et les acteurs. Pour ce, son travail se démarque de nombreuses initiatives et permet un accès direct à l’art et à l’humain. Cet accès direct se traduit entre-autre par la singularité que l’on peut observer dans chaque œuvre produite par un ou une migrant·e qui à la suite de son travail va signer sa pièce de son nom. Par cette action, les migrants ne sont plus chosifiés mais revendiquent leur identité à partir de leur nom et origine, faisant d’eux des êtres à part entière.

Ils ont vécu des situations de déracinement, de deuil, de traumatisme et de perte d’identité, rarement résolues. La douleur que cela représente est difficilement communicable car le langage ordinaire n’est pas à la hauteur de tels récits de vie. Dans le but de surmonter cette crise, la représentation artistique et symbolique permet de transcender les limites du langage. Pour y parvenir, il est important que l’artiste confie le processus de création aux migrants eux-mêmes. Ceci donne lieu lors de chaque rencontre à une expérience innovante qui crée une dynamique où le processus de rencontre et de création devient le pilier fondateur de l’œuvre.

Marcheurs de papier. Author provided

Par la suite, cette expérience multidisciplinaire entre la migration, l’art et la recherche sociologique va donner lieu à des expositions (Juchitán-Oaxaca MIGROMA en 2016, Santa Maria Huatulco-Oaxaca MIGROMA en 2017, Human Mobility, Eupen-Belgique en 2019) à caractère social imaginées à partir de l’art, des migrants et de la vulnérabilité dans laquelle se placent les différents protagonistes.

Ces expositions seront des espaces où les visiteurs peuvent être les acteurs d’une reconstruction du tissu social humain si souvent décomposé par l’ignorance, les discours politiques ou encore la peur de l’inconnu.

L’apport le plus notable du travail de Cristian Pineda réside vraisemblablement dans le potentiel de solutions concrètes que présente son travail face à la crise humaine migratoire. En effet, ses œuvres permettent la création d’une mémoire collective, faisant de son art un sanctuaire migratoire et un témoignage de l’identité des acteurs.

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