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Logos olfactifs : reconnaîtrons-nous bientôt les marques à l’odeur ?

Aéroports de Paris fait partie de ces entreprises qui diffusent une odeur spécifiquement mise au point. Valérie Macon / AFP

Pour 70 % des patients atteints de la Covid-19, la maladie s’est traduite par une perte ou une altération de l’odorat. Ce fut l’occasion de redécouvrir l’importance de ce sens souvent négligé.

Longtemps considéré comme primitif et peu digne d’intérêt, le sens de l’odorat a été véritablement mis en lumière lors de l’attribution du prix Nobel de physiologie et de médecine 2004 aux biologistes américains Richard Axel et Linda Buck pour leurs travaux sur les récepteurs olfactifs et la reconnaissance des odeurs.

Dix ans plus tard, une étude confirmait le rôle primordial de l’odorat en révélant que l’homme est capable de distinguer pas moins d’un trillion d’odeurs, c’est-à-dire mille milliards, alors que ce chiffre n’était estimé jusque-là qu’à 10 000.

Nos récents travaux étendent les résultats des biologistes à l’étude des comportements inconscients du cerveau des consommateurs et de leurs conséquences sur la gestion de la relation client.

Association permanente

L’odorat reste un sens singulier : contrairement aux quatre autres, les récepteurs des signaux olfactifs sont les neurones eux-mêmes, sans autre intermédiaire. Le transfert de ces signaux au cortex olfactif se fait sans passer par le thalamus, sorte de gare de triage pour les autres sens, avant envoi vers leur cortex respectif. Le cortex olfactif possède par ailleurs une connexion unique et directe au système limbique, siège des émotions et de la mémoire.

En raison de ces liens étroits entre l’odeur, les émotions, la mémoire de travail et la mémoire émotionnelle, les souvenirs acquis en présence d’odeurs ont tendance à être plus chargés émotionnellement et plus durables.

La mise en avant des cinq sens fait la spécificité des magasins Nature & Découvertes. CC BY-NC-SA

Ce constat apparaît intéressant pour les entreprises : il suggère que les odeurs pourraient aider les marques à laisser des souvenirs plus forts et plus durables à leurs consommateurs, ce qui renforcerait à la fois leur image de marque et leur notoriété. De nombreuses recherches en gestion montrent ainsi que l’utilisation d’odeurs permet d’améliorer la mémorisation mais aussi l’évaluation des produits, des marques et des magasins.

En termes de mémorisation, les spécificités de la mémoire olfactive tendent à établir une association permanente dans l’esprit du consommateur entre un parfum diffusé dans un magasin et l’enseigne elle-même : le consommateur penserait à cette dernière à chaque fois qu’il serait à nouveau exposé à l’odeur.

Une autre recherche montre qu’un environnement agréablement odorisé contribue à améliorer la mémorisation des marques. Des participants placés dans une salle parfumée mémorisent et reconnaissent un plus grand nombre d’entre elles.

Si la présence de l’odeur apparaît essentielle pendant la phase d’encodage des informations, elle semble moins importante au moment de la restitution : les souvenirs acquis dans un environnement parfumé sont mieux restitués, même en l’absence de l’odeur initialement utilisée.

Ces résultats font écho aux travaux de la chercheuse en gestion, spécialiste des sens, Aradhna Krishna, qui montre avec ses collègues que les odeurs favorisent également la mémorisation des caractéristiques d’un produit. En parfumant un crayon avec une huile essentielle, les consommateurs se rappellent d’un plus grand nombre des caractéristiques de ce crayon, à court et à long termes, et ce, même sans être exposés à nouveau à l’odeur pendant la phase de restitution.

Mécanisme d’inférence

L’amélioration de la mémorisation des marques en environnement parfumé serait ainsi principalement due à une élévation du niveau d’attention. Une autre étude révèle cependant que les performances de la mémoire peuvent être améliorées par la diffusion d’un parfum agréable pendant le sommeil profond. L’influence peut donc aussi s’avérer tout à fait inconsciente.

En termes d’évaluation du produit, du magasin ou de la marque, l’une des premières études menée sur le sujet en 1932 montre que des articles de lingerie parfumés restent significativement mieux notés que ceux non parfumés, même si aucune allusion n’est faite à l’odeur.

Ce phénomène peut être décrit comme un mécanisme d’inférence. Lorsque le consommateur ne peut se référer à aucune une expérience passée, ni évaluer directement la qualité interne d’un produit, d’un service ou d’une marque, il l’évalue à partir des attributs externes du produit et de l’environnement.

Sur la base de cette théorie, il apparaît que l’exposition du consommateur à une odeur associée à un produit ou à une marque devrait le conduire à attribuer les caractéristiques de cette odeur au produit ou à la marque elle-même.

Par exemple, l’odeur caractéristique de la marque de sous-vêtements Orcanta, sensuelle, luxueuse et moderne, devrait conduire les consommateurs à percevoir ses produits comme étant eux aussi sensuels, luxueux et modernes.

Logo olfactif, image de marque

La présence de parfums d’ambiance agréables permet par conséquent d’améliorer l’évaluation des produits et la perception de leur qualité. L’impact positif de cette odeur agréable serait plus important sur l’évaluation des produits les moins appréciés alors qu’il serait difficile, pour une odeur, d’améliorer la perception des produits déjà appréciés par les consommateurs. L’environnement d’un magasin serait également globalement mieux perçu par le public lorsqu’il bénéficie d’une senteur d’ambiance.

De nombreuses entreprises utilisent déjà le marketing olfactif pour enrichir leur expérience consommateur, le plus célèbre exemple étant probablement Nature & Découvertes, l’une des premières marques à avoir conçu des expériences multisensorielles pour ses consommateurs, incluant non seulement la vue mais aussi l’ouïe, le toucher, l’odorat et même le goût.

Au-delà du marketing expérientiel, les marques prennent progressivement conscience du potentiel représenté par l’utilisation des odeurs. La singularité de l’odorat et de ses liens privilégiés avec les émotions et la mémoire en font un sens particulièrement intéressant pour l’élaboration de l’identité d’une marque dans sa stratégie de différenciation.

Les Sofitel répandent, comme ici à Macau, leur signature olfactive dans leur hall d’accueil. Wikimedia, CC BY-SA

Si jusqu’à présent, la panoplie identitaire d’une marque se composait généralement d’un nom, d’un logo, éventuellement d’une égérie, d’un slogan, d’une musique ou d’un jingle, de plus en plus de marques y adjoignent désormais un logo olfactif. Il s’agit d’un parfum unique qui incarne leurs valeurs et représente leur identité.

Par exemple, les Aéroports de Paris ont récemment développé une signature olfactive diffusée dans les locaux. De même, la marque Sofitel du groupe hôtelier Accor a mis en place, depuis une dizaine d’années, une signature olfactive diffusée dans tous ses halls d’hôtels à travers le monde.

Si les marques sont de plus en plus nombreuses à développer et à mettre en place pareils dispositifs, elles ont cependant encore du mal à en mesurer les retombées concrètes. Le logo olfactif reste en effet utilisé conjointement avec d’autres outils marketing dont il paraît difficile d’isoler les impacts respectifs.

Une étude expérimentale exploratoire menée sur une quinzaine d’étudiants aboutit néanmoins à des résultats très prometteurs. Elle suggère que la présence d’un logo olfactif lors de la première exposition à une marque permet d’améliorer durablement l’image de la marque, sa qualité perçue et sa notoriété. Autant d’éléments qui laissent présager que les logos olfactifs pourraient représenter à l’avenir un outil incontournable pour consolider le capital de marque.


Cet article a été rédigé avec le précieux concours d’Adèle Bernardot (MIM 2021, Majeure Marketing, HEC-Paris).

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