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L’ONU est-elle une organisation démocratique ?

Le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Riabkov dans une salle de l'ONU
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Riabkov après un discours au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le 2 mars 2023. La Russie a été exclue de cette instance en 2022, mais ses représentants peuvent continuer de s’y exprimer. Fabrice Coffrini/AFP

S’il est toujours délicat d’affirmer qu’un pays est démocratique ou non, et dans quelle mesure, de nombreuses organisations s’efforcent de classer les États du monde selon leur niveau de démocratie. Ces classements diffèrent légèrement l’un de l’autre, mais l’on constate globalement que, sur les 193 membres de l’ONU, environ la moitié sont généralement considérés comme étant non démocratiques.

Parmi ces régimes non démocratiques, certains jouent, de façon constante ou plus ponctuelle, un rôle majeur au sein des Nations unies : la Russie et la Chine, bien sûr, membres permanents du Conseil de sécurité, mais aussi, par exemple, l’Arabie saoudite, qui a pu il y a quelques années placer un de ses diplomates à la tête du panel du Conseil des droits de l’homme, ou l’Iran, qui a été élu en 2021 à la Commission de la condition de la femme, avant d’en être exclu en décembre 2022, du fait du déchaînement de violence du régime contre un mouvement de contestation interne qui exigeait notamment davantage de liberté pour les Iraniennes.

Aujourd’hui, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, organe dont on pourrait s’attendre à ce qu’il n’accueille que des pays exemplaires en matière de droits humains, compte parmi ses 47 États membres, élus par l’Assemblée générale pour des périodes de trois ans, la Chine, Cuba, le Gabon, la Russie, l’Érythrée, le Qatar ou encore les Émirats arabes unis…

Est-ce à dire que l’ONU et ses organes ne sont pas démocratiques ?

Le Conseil des droits de l’homme est-il crédible ?

Le système de vote pour être élu au Conseil des droits de l’homme fait l’objet de nombreuses critiques, car les pays négocient et se mettent d’accord pour décider qui se présente, souvent sans rencontrer d’opposition.

En octobre 2020, l’ONU a certes refusé l’entrée de l’Arabie saoudite à son Conseil des droits de l’homme, mais la Chine et la Russie, régimes autoritaires, ont, quant à elles, été élues.

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Plus récemment, en octobre 2022, le Conseil des droits de l’homme a renoncé à organiser un débat sur la situation des droits de l’homme dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang (Chine), débat qui avait été réclamé par une dizaine d’États démocratiques, dont les États-Unis, le Canada, l’Australie, le Royaume-Uni, la France et plusieurs autres pays européens. Cette discussion devait constituer un suivi du rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH), qui avait dénoncé de possibles crimes contre l’humanité contre les Ouïghours et d’autres minorités musulmanes au Xinjiang.

Le vote, par 19 voix contre, 17 pour et 11 abstentions, a décidé que ce débat n’aurait pas lieu. La République populaire de Chine a voté contre, bien entendu, suivi par plusieurs pays d’Afrique et d’Asie, ainsi que par des pétromonarchies comme le Qatar et les Émirats arabes unis. C’est historique : c’est seulement la deuxième fois en 16 ans d’histoire du Conseil qu’une motion est rejetée.

Le Conseil est, en effet, une instance assez récente, au regard des presque 78 ans d’existence de l’ONU : créé en 2006, il succède à l’ancienne Commission des droits de l’homme, qui s’était déjà discréditée par sa passivité et son indulgence envers les dictatures. En effet, de nombreux États dictatoriaux, notamment africains, tiraient profit de ce qu’ils étaient membres de cette commission pour échapper aux critiques et aux rapports dénonçant leurs manquements.

Le Conseil des droits de l’homme apparaît largement impuissant face aux dictatures, notamment du fait du caractère non contraignant des mesures qu’il adopte. En effet, le Conseil n’adresse que des recommandations, qui peuvent être suivies par les États ou non.

Toutefois, le Conseil se défend en indiquant que le simple fait de dénoncer un État pour ses pratiques contraires aux droits humains aurait un impact international : ce procédé de « naming and shaming » pousserait les États à se conformer aux règles internationales pour préserver leur réputation. Il organise régulièrement, pour chaque État, un examen périodique universel qui contraint chaque pays à présenter un bilan de son respect des droits humains et à répondre aux critiques adressées sur ce point par les autres membres.

Certains États, à commencer par les États-Unis, militent pour une réforme du Conseil qui exclurait les États coupables de violations flagrantes des droits humains. Toutefois, une telle réforme n’est pas près d’aboutir. En effet, quelle serait la légitimité d’une institution qui adopterait des recommandations contre des États qui ne pourraient jamais y siéger ? Et sur quels critères un État serait-il désigné comme « respectant les droits de l’homme » et donc digne d’être membre du Conseil ?

Il n’empêche que le 7 avril 2022, la Russie a été suspendue du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, par 93 votes à l’Assemblée générale, contre 24 dans le sens opposé et 58 abstentions. Du fait de la résolution de 2006 qui a créé le Conseil des droits de l’homme, l’Assemblée générale peut suspendre un pays s’il commet des violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme. Ce n’est que la deuxième fois, après la Libye en 2011 qu’un membre est exclu de l’organe onusien chargé des droits humains.

Supprimer le droit de veto ?

Moscou, qui use et abuse de son droit de veto (elle l’a utilisé 152 fois au total depuis 1946, soit presque autant que les quatre autres membres du Conseil de sécurité) devrait-elle en être privée ? En avril 2022, Volodymyr Zelensky a réclamé qu’elle soit exclue du Conseil de sécurité de l’ONU, et qu’elle perde donc son droit de veto. L’Ukraine fait valoir que la Russie occuperait illégalement le siège permanent au Conseil de sécurité qui avait été attribué en 1945 à l’URSS (laquelle n’existe plus). Pourtant, il n’existe aucune procédure de confiscation du droit de veto ou d’exclusion d’un membre permanent du Conseil de sécurité. En effet, il faudrait que la Russie elle-même soit d’accord…

Selon la Charte des Nations unies, « si un membre de l’Organisation enfreint de manière persistante les principes énoncés dans la présente Charte, il peut être exclu de l’Organisation par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité ». Toutefois, cette disposition ne concerne pas les membres du Conseil de sécurité.

L’unique solution pour qu’un membre quitte le Conseil de sécurité serait qu’il se retire de lui-même. Une option inenvisageable ne serait-ce parce que, grâce au droit de veto, la Russie s’évite notamment une saisine par le Conseil de sécurité de la Cour pénale internationale pour les « crimes de guerre » dont ses dirigeants sont accusés.

On l’aura compris : l’Assemblée générale, où chacun des États membres dispose d’une voix, est un organe démocratique, mais le Conseil de sécurité, composé de 15 États dont les 5 membres permanents dotés du droit de veto, l’est moins.

Le droit de veto, qui a été utilisé 265 fois depuis la création de l’ONU, paralyse l’institution et nuit à son efficacité. De plus, il n’est pas justifié que cinq pays, qui ne représentent que 30 % de la population mondiale, disposent du pouvoir exorbitant de dire non à une décision prise par la majorité des 193 États membres.

Mais est-il possible de réformer l’ONU pour rendre son fonctionnement plus démocratique ? C’est le Conseil de sécurité qui dispose du pouvoir exécutif, l’Assemblée générale n’ayant en réalité qu’un pouvoir consultatif. Pour démocratiser l’ONU, il faudrait donc donner plus de pouvoir à l’Assemblée générale.

Depuis quelques années, des voix s’élèvent pour réclamer une réforme du droit de veto. Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU de 1997 à 2006, a proposé à la fin de son mandat une suspension du droit de veto quand sont discutées des situations où des crimes de masse sont en cours. La France a elle-même porté officiellement cette proposition depuis 2013. Cette initiative est soutenue aujourd’hui par une centaine de pays, soit la majorité des États membres de l’ONU.

Malgré tout, l’ONU est porteuse des valeurs universelles de la démocratie

Le caractère démocratique de l’ONU tient surtout aux valeurs qu’elle véhicule, dans ses grands textes normatifs.

Lorsque les fondateurs de l’ONU ont rédigé la Charte des Nations unies en 1945, ils n’y ont pas inclus le mot « démocratie ». Et pour cause : pour ne prendre que les cinq membres du Conseil de sécurité, il aurait été compliqué de considérer comme démocratiques l’URSS de Staline, la Chine de Mao, mais aussi les États-Unis ségrégationnistes et la France et le Royaume-Uni colonialistes…

Cependant, l’ONU a adopté par la suite de grands textes qui affirment clairement les valeurs démocratiques : la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, et en 1966 le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui proclame la liberté d’expression (Article 19), la liberté de réunion pacifique (Article 21) et la liberté d’association (Article 22) ; ou encore la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979) qui proclame les droits des femmes, et impose aux États parties de les respecter.

De plus, le HCDH, créé en 1993, a vocation à défendre les droits humains, et a soutenu des programmes de justice transitionnelle dans plus de 20 pays au cours des années 2010. L’ONU fournit également chaque année une assistance électorale à environ 60 pays pour organiser des élections libres et démocratiques. Enfin, le Fonds des Nations unies pour la démocratie (FNUD) soutient des projets qui visent à renforcer le libre jeu de la démocratie dans le monde.

L’ONU n’hésite pas, en outre, à rappeler à l’ordre certains de ses États membres les plus puissants pour leur attitude par rapport aux droits humains : ainsi, à plusieurs reprises récemment, l’Organisation a critiqué la France pour son non-respect des droits des migrants et réfugiés et des droits des manifestants. Le 30 juin 2023, la porte-parole du HCDH, Ravina Shamdasani, a appelé la France à « s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination parmi les forces de l’ordre », suite à la mort du jeune Nahel abattu par un policier.

Malgré ses limites et ses insuffisances, l’ONU reste l’organisation internationale la plus à même de diffuser la démocratie et de défendre les droits humains, et doit être soutenue et respectée pour pouvoir mener son action pacificatrice et progressiste.

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