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Diplo-focus : politiques étrangères

L’OTAN après le putsch raté d’Ankara : d’autres couleurs

Recep Tayyip Erdogan en conférence de presse le 20 juillet. Adem Altan / AFP

L’OTAN, qui tente de se doter d’une nouvelle vision après son sommet de Varsovie, vient de subir coup sur coup plusieurs déstabilisations en quelques semaines. La Grande-Bretagne panse les plaies de son Brexit (23 juin), la France s’enfonce dans la discorde après un troisième attentat en neuf mois (Nice, 14 juillet), et voilà que la Turquie stupéfie le monde après rien de moins qu’une tentative de coup d’État militaire (15-16 juillet).

Ajoutons-y les difficultés d’Angela Merkel dans la crise des réfugiés, les crispations autoritaires polonaises, les blocages politiques espagnols, et c’est presque l’ensemble des principales puissances du pilier européen de l’OTAN qui traversent une inquiétante séquence. Alors qu’on l’annonçait triomphante et sans rivale dans un environnement stratégique sous contrôle, se posant seulement la question d’un rôle global tant il était acquis que ses missions n’auraient plus de théâtres que lointains (comme l’Afghanistan), l’OTAN voit son ciel s’assombrir.

Centralité turque

La tentative de coup à Ankara demeurera un épisode particulièrement grave, en premier lieu parce qu’elle touche un pays clef de 80 millions d’habitants, deuxième armée de l’Alliance (510 000 hommes, sans les 102 000 paramilitaires de la garde nationale ni les 378 000 réservistes). Ensuite parce que le territoire turc se situe en première ligne sur le front syro-irakien lié et la lutte contre Daech. Il est une pièce complexe mais maîtresse de toute stratégie dans cette zone, politiquement et logistiquement (avec la base aérienne d’Incirlik au sud du pays). Une fragmentation de l’armée turque, son affaiblissement à coups de purges ou son discrédit démocratique sont autant d’éléments négatifs pour l’Alliance.

Enfin, Ankara reste au moins sur le papier un candidat de poids à l’Union européenne, dans un moment où celle-ci a déjà son lot de populismes, d’effets de menton et d’apprentis autoritarismes. Si la Turquie accusait l’Europe de manquement à la solidarité ou d’inefficacité dans la lutte anti-terroriste, l’accord par lequel elle continue d’accueillir 2,8 millions de réfugiés syriens aux portes de l’Europe, pourrait être remis en cause.

Symptômes d’un malaise plus profond

L’événement des 15-16 juillet vient confirmer une série de craintes récentes. Crainte sur l’état de la Turquie, d’abord. Ankara avait déjà une relation troublée avec ses alliés. Les soupçons d’autoritarisme qui ont accompagné la montée en puissance de Recep Tayyip Erdogan, l’échec d’une doctrine de politique étrangère turque de « zéro problème avec le voisinage » pour aboutir au contraire à une succession de tensions graves (avec l’Europe, Israël, et plus récemment avec Moscou), ont achevé de faire de la Turquie l’un des « hommes malades » de l’OTAN. Le risque de fuite en avant autoritaire qui pointe désormais n’arrangera rien.

Plus de 9 000 militaires, magistrats, policiers sous le coup d’une procédure judiciaire, 15 000 fonctionnaires du ministère de l’Éducation suspendus, la démission réclamée de plus de 1 500 recteurs et doyens d’université demandée par le Conseil de l’enseignement supérieur (YÖK), un retour évoqué de la peine de mort pour délit de traîtrise : cela fait beaucoup au sein d’une alliance qui se rêve en gendarme démocratique mondial.

Lors d’un sommet de l’OTAN, au Pays de Galles, en 2014. OTAN/Flickr, CC BY

Craintes plus répandues sur l’état réel de la confiance entre alliés, ensuite. Hors de l’OTAN, plusieurs fossés s’étaient creusés entre discours officiels sur l’étroitesse des liens et réalité des pratiques : la relation entre les États-Unis et au moins trois de ses partenaires historiques – l’Arabie Saoudite depuis 2001, le Pakistan où l’on retrouva Oussama Ben Laden, Israël enfin – se sont fortement dégradées. Or c’est désormais au sein même de l’Alliance atlantique que le doute s’immisce.

Les tentations autoritaires de plusieurs pays d’Europe orientale (Slovaquie, Hongrie, Pologne…) génèrent une appréhension plus grave, et la Turquie d’Erdogan pose à son tour la question : que faire d’un membre qui veut mettre au pas ses corps intermédiaires ? Elle pose en outre l’interrogation – un peu à la manière du Pakistan sur d’autres dossiers – d’un double jeu possible dans la guerre contre l’État islamique (jeu lié également au traitement complexe du dossier kurde), interrogations exprimées publiquement par le ministre français des Affaires étrangères.

Pour couronner le tout, en accusant Fethullah Gülen, en exil aux États-Unis, d’avoir fomenté la tentative de coup d’État, et en qualifiant son mouvement d’organisation terroriste, le régime d’Erdogan ouvre une nouvelle crise potentielle dans sa relation avec Washington.

Nécessaires clarifications

Il sera difficile à l’OTAN, après les derniers événements, d’ignorer ces problèmes, et plusieurs réflexions devront être menées.

Sur le lien entre pratiques politiques et appartenance à l’Alliance, d’abord. Si la répression turque se confirme, les Alliés ne pourront donner de blanc seing à Ankara. D’autres membres importants comme la Pologne ou la Hongrie devront faire l’objet d’un débat entre Alliés (comme d’ailleurs entre partenaires de l’Union européenne). A la différence de l’UE, l’OTAN est une alliance militaire, qui n’a pas vocation à donner des brevets de démocratie à ses membres. Mais chacun comprendra que certains comportements ne sont plus compatibles avec le storytelling désormais affiché par son commandement, fondé également sur un projet politique.

Cette réflexion sur la nature des régimes devrait nécessairement s’accompagner d’interrogations sur les liens civils-militaires, comme sur la sociologie des armées et des secteurs de la sécurité dans plusieurs pays de l’OTAN. En Turquie, les événements ont montré que la question du rapport entre un gouvernement AKP, toujours soupçonné d’un agenda religieux, et une armée en partie toujours attachée aux principes kémalistes, n’était pas réglée définitivement. Ailleurs (notamment dans les anciens pays socialistes), ce sont d’autres clivages et d’autres fantômes qui animent cette dynamique. Dans tous les cas de figure, une alliance comme l’OTAN devrait urgemment se préoccuper de clarifier ces zones d’ombres.

Enfin, la fragilité soudainement exposée du maillon turc à l’heure où le Moyen-Orient demeure une zone de préoccupation sécuritaire et politique majeure réintroduit la question de la marge de manœuvre otanienne dans cette région du monde. Sans puissance régionale structurante capable de servir de partenaire solide, sans vision claire ou au moins partagée entre Alliés de ce que peut être une stratégie moyen-orientale d’ensemble, mais à l’heure où les menées russes inquiètent à nouveau les membres d’Europe centrale, la question d’un retour à la vocation initiale de l’OTAN (défense de la zone Europe – Atlantique Nord) se posera.

L’épisode turc peut au moins servir à cette nécessaire remise à plat. En espérant que les Turcs eux-mêmes n’en soient pas les victimes collatérales.

Le titre de cet article est inspiré par le livre éponyme d’Orhan Pamuk.

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