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L’UE dans les négociations climatiques

Des militants manifestent devant la Commission européenne, à Bruxelles en janvier 2014, pour réclamer un engagement plus franc de l’Union dans la lutte contre le changement climatique. Yves Herman/Reuters

L’Union européenne, qui s’est fixée pour objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 80 à 95 % d’ici à 2050 par rapport aux niveaux de 1990, est avec ses 28 États membres un acteur incontournable des négociations climatiques. En 2009, le Traité de Lisbonne a intégré la lutte contre le changement climatique parmi les objectifs de l’action internationale de l’UE dans le domaine de l’environnement, en reconnaissant ainsi la volonté de l’Europe de jouer un rôle de leader. Mais l’action climatique européenne a débuté beaucoup plus tôt, dès la négociation, en 1992, de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Au fil des années, l’UE a utilisé deux instruments majeurs pour affirmer sa position : elle a adopté une série de mesures visant à réduire ses émissions de GES, lui permettant ainsi d’accroître sa crédibilité vis-à-vis des autres pays ; elle a usé de sa force diplomatique pour convaincre les États réticents à s’engager dans la lutte contre le changement climatique.

Cette stratégie européenne a connu des succès importants dans la première phase des négociations climatiques, avec notamment l’adoption de la CCNUCC et de son Protocole, le Protocole de Kyoto (1997). L’entrée en vigueur (2005) de ce dernier réclamait la ratification de 55 pays représentant au moins 55 % des émissions de GES. Lorsque les États-Unis, premiers émetteurs de GES de l’époque, ont annoncé leurs refus de ratifier le Protocole, la Communauté européenne a su prendre le leadership des négociations pour parvenir à l’obtention du quorum de ratifications en convaincant la Russie. Parallèlement, l’Europe avait mis en place le système communautaire d’échanges de quotas d’émissions (SCEQE) : ce premier et plus important marché d’émissions au monde devait montrer l’exemple de solutions économiquement efficaces pour réduire les GES et convaincre ainsi les parties préoccupées par le coût des engagements de Kyoto.

Les fragilités de l’Union élargie

Le Protocole de Kyoto ne prévoyait des engagements que pour la période 2008-2012. La négociation d’un accord « post-Kyoto » a montré une perte d’influence de l’Union, se concrétisant dans l’échec retentissant de la Conférence de Copenhague (2009). Les raisons de cette perte d’influence sont multiples : depuis les années 1990, les équilibres géopolitiques avaient évolué et la Chine était alors en passe de devenir le principal pays émetteur en CO2, devant les États-Unis. En interne, l’élargissement de 15 à 27 États membres avait crée une Europe beaucoup moins homogène, rendant l’élaboration d’une position commune de plus en plus complexe. La crise économique et financière qui débutait contribua en outre à réduire l’attention portée aux questions environnementales.

Depuis Copenhague, l’Union européenne tente de reprendre sa position prééminente dans les négociations internationales. La COP21 de Paris représente ainsi une opportunité majeure de conclure le nouvel accord de l’après 2020. La capacité de l’Union européenne de faire valoir sa position vis-à-vis de la communauté internationale se mesurera spécifiquement à deux points, déjà centraux lors de la Conférence de Rio (1992) : la nature des engagements et l’interprétation du principe des « responsabilités communes mais différenciées ».

Engagements contraignants vs engagements volontaires

Lors des négociations qui ont conduit à l’adoption de la CCNUCC, la Communauté européenne avait affirmé la nécessité d’avoir des engagements de réduction des émissions quantitativement établis, imposés aux parties par la communauté internationale et juridiquement contraignants. La Communauté européenne était en outre favorable au fait d’imposer ces mesures uniquement aux pays développés. L’identification de deux catégories principales de parties à la convention – à savoir, les pays industrialisés engagés juridiquement à réduire leurs émissions et les pays en développement non contraints, pouvant ainsi poursuivre leur croissance librement –, répondait au principe des responsabilités dites « communes mais différenciées ». La position des États-Unis était opposée à celle de l’Europe : aucune différenciation de pays ne devait avoir cours et les engagements devaient être volontaires et déterminés au seul niveau national.

Le texte de la Convention-cadre propose ainsi un compromis : il s’agit de « stabiliser les concentrations de GES dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique » (art. 2 CCNUCC). Aucun accord n’a cependant été trouvé concernant la quantification de l’objectif, témoignant sur ce point d’une prédominance de la position américaine, réticente à tout engagement chiffré imposé de l’extérieur. En revanche, le principe des responsabilités communes mais différenciées tel que proposé par la Communauté européenne a été intégré dans la convention et s’est matérialisé dans la distinction des parties à la convention en deux catégories principales : les pays développés listés dans l’Annexe I de la Convention et les pays en développements généralement indiqués avec le nom « pays non Annexe I ».

Des négociations parallèles

En 1995, lors de la première Conférence des parties (la COP1 de Berlin), le processus d’élaboration d’un protocole visant à établir les règles de mise en œuvre de la Convention-cadre a été lancé. À Kyoto, deux ans plus tard, les parties ont adopté ce protocole : un accord juridiquement contraignant fixant des objectifs quantifiés de réduction des émissions que les pays développés devaient atteindre à une échéance précise. Dans ses grandes lignes, la position européenne avait ainsi pu s’affirmer dans l’accord. Si la Convention et le Protocole montrent donc le succès de l’Europe sur la scène internationale, la structure de gouvernance qu’ils ont figée est à l’origine des principales difficultés qu’elle a rencontrées par la suite. En divisant le monde en deux parties, le Protocole a poussé les États-Unis à rejeter l’accord.

Les conséquences ont été lourdes : d’abord la crédibilité d’un accord dont le premier émetteur ne faisait pas partie était mise en cause ; ensuite, les négociations successives ont eu lieu sur deux voies parallèles, les COP avec les États-Unis et les COP-MOP réservées aux seuls parties au Protocole. Cette complexité accrue est, entre autres, avancée comme l’une des causes de l’échec de Copenhague. Enfin, les pays en développement, Chine en tête, ont trouvé dans le Protocole un argument de poids justifiant leur inaction dans la réduction des émissions. À Kyoto, Pékin s’est opposé avec force à la proposition européenne, tentant une conciliation avec les États-Unis, visant à imposer des engagements volontaires aux pays en développement. Cela a marqué le début d’un déplacement du centre des négociations de l’Atlantique – Europe et États-Unis – au Pacifique – États-Unis et Chine. Copenhague témoigne de ce bouleversement. Depuis, l’idée européenne des engagements contraignants a été remise en discussion et la Conférence de Lima (2014) semble confirmer que le futur accord pourrait se baser exclusivement sur des contributions nationales volontaires.

De même, la distinction entre pays « développés » et « en développement » semble s’assouplir : la Chine semble ainsi disposée à assumer des engagements et une nouvelle interprétation du principe des responsabilités communes mais différenciées tendant à exclure de la réduction des émissions seuls les pays les plus pauvres. L’Union européenne, de son coté, continue à envisager un accord imposant au moins que les contributions nationales aient une valeur juridiquement contraignante.

Des efforts diversifiés pour réduire les émissions

Si la position de l’Europe a rencontré des difficultés significatives pour s’affirmer dans les négociations, il est important de rappeler que lorsqu’on évalue l’action climatique européenne, on ne peut se limiter aux seuls Conférences onusiennes. Au cours des vingt dernières années, la politique climatique de l’UE s’est construite et développée autour de mesures ambitieuses tels le Paquet énergie-climat de 2009, contenant, entre autres, une réforme du SCEQE et des mesures fortes pour le développement des énergies renouvelables et des biocarburants. Le changement climatique est aujourd’hui pris en compte dans toute politique européenne, et des structures ad hoc sont en charge d’en coordonner les actions.

L’ensemble de cette politique climatique a permis à l’Europe de réduire de manière significativeses émissions, mais constitue aussi un instrument d’influence sur les pays tiers. Le SCEQE a été établi pour devenir le noyau d’agrégation d’un marché des crédits d’émission bien plus large que les frontières européennes, et constitue la référence pour toutes les initiatives similaires entreprises dans le monde (comme en Australie ou en Chine). Reste que le moyen de pression le plus fort à disposition de l’UE demeure l’accès à son marché économique intérieur, un levier qu’elle commence à utiliser pour forcer les pays tiers à s’engager vers des économies plus sobres en carbone.

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