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Un ouvrier regarde le chantier de la nouvelle gare Saint-Denis Pleyel du Grand Paris Express à Saint-Denis, au nord de Paris, le 30 mai 2023. Située à proximité du village olympique et du Stade de France, la gare Saint-Denis Pleyel est essentielle pour les Jeux Olympiques et reliera les futures lignes 14, 15, 16 et 17 du métro parisien au métro Grand Paris Express pour devenir à terme la plus grande gare du réseau Grand Paris Express, avec plus de 250 000 voyageurs par jour.
Un ouvrier regarde le chantier de la nouvelle gare Saint-Denis Pleyel du Grand Paris Express à Saint-Denis, au nord de Paris, le 30 mai 2023. Située à proximité du village olympique et du Stade de France, la gare Saint-Denis Pleyel est essentielle pour les Jeux Olympiques et reliera les futures lignes 14, 15, 16 et 17 du métro parisien au métro Grand Paris Express pour devenir à terme la plus grande gare du réseau Grand Paris Express, avec plus de 250 000 voyageurs par jour. Geoffroy Van Der Hasselt/AFP

Métro du Grand Paris : quels enjeux à la veille des JO ?

En 2015, la candidature de Paris aux Jeux olympiques promettait l’ouverture de la rocade du métro de Grand Paris. Neuf années plus tard, seul le prolongement de la ligne 14 qui passe du nord au sud sera réalisé au moment de la compétition.

Dès la présentation de ce que certains appellent « le chantier du siècle » la question des effets des nouveaux métros a fait débat.

Alors que la loi sur le Grand Paris en 2010 fixait comme objectif à ce vaste projet d’infrastructure de « réduire les déséquilibres sociaux, territoriaux et fiscaux au bénéfice de l’ensemble du territoire national », ses détracteurs y voient « un agent de gentrification express », autrement dit, un facteur aggravant du processus constant d’éviction des couches populaires toujours plus loin vers la périphérie de l’agglomération parisienne.

Pourtant, les mutations sociales et urbaines survenues semblent à la fois ne pas répondre aux objectifs poursuivis et démentir les critiques. Rien ne se passe comme prévu par les uns et les autres.


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Une transformation urbaine qui dépasse largement les quartiers de gare

L’image véhiculée du Grand Paris du futur avec son métro en rocade en banlieue était finalement assez simple : une agglomération polycentrique, c’est-à-dire une organisation du territoire qui repose sur plusieurs zones attractives et dynamiques avec autour de chaque gare un nouveau quartier dense, à la fois pôle d’habitat, de services et d’activités.

Comme l’affirmaient régulièrement les responsables de la société en charge du projet (la Société du Grand Paris devenue la Société des Grands Projets), en combinant plus de 200 kilomètres de nouvelles lignes de métro et des opérations d’aménagement couvrant ensemble une fois et demie la surface de Paris intra muros, les déplacements subis, de longue distance, vers Paris notamment devaient mécaniquement se réduire et chacun pourrait habiter et travailler à proximité. On peut d’ores et déjà affirmer qu’il n’en sera rien.

En matière de logement, tout d’abord, la construction s’est largement accrue depuis 2010 : en moyenne chaque année 60 000 logements sont construits, soit près de 50 % de plus que lors de la décennie précédente, mais pas là où on l’attendait : même dans les communes accueillant une gare du futur métro du métro, seulement un tiers des constructions de logements ont eu lieu dans les quartiers de gare.


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On assiste ainsi à une réduction de l’étalement urbain en grande couronne et à une densification globale de Paris et de la première couronne, explicable pour partie par l’assouplissement des règles de densité. La production de logements se fait de façon très minoritaire au travers des grandes opérations d’aménagement pilotées par les acteurs publics, mais principalement via le regroupement de quelques parcelles pavillonnaires pour réaliser un petit immeuble collectif de dix ou vingt logements, ou à l’inverse par division de ces mêmes parcelles pavillonnaires.

Construction d’un viaduc entre Palaiseau et Saint-Quentin pour la future ligne de métro 18 du Grand Paris Express, en décembre 2022
Construction d’un viaduc entre Palaiseau et Saint-Quentin pour la future ligne de métro 18 du Grand Paris Express, en décembre 2022. Shutterstock

Les espoirs déçus du rééquilibrage entre les territoires

L’autre espoir déçu est celui du rééquilibrage entre les territoires. Les quartiers de gare – et notamment ceux de l’est parisien – n’ont pas accueilli de façon significative d’activités économiques, à l’exception du Val de Fontenay (94). Bien au contraire, la montée en puissance du télétravail, et sans doute l’anticipation de la facilitation des déplacements grâce au futur métro ont conduit les investisseurs à renoncer à leurs projets à l’est et à se concentrer sur Paris et quelques secteurs de l’ouest.

S’accentue ainsi une dynamique de radicale dissociation entre les lieux de travail et les lieux d’habitat. L’emploi se concentre dans quelques pôles tandis que les ménages choisissent leurs lieux d’habitat, sans nécessairement tenir compte de la proximité de leurs lieux de travail, et organisent ainsi une large diffusion résidentielle, au-delà des limites de l’Île-de-France.

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Sur le registre des inégalités, cette double dynamique installe une situation inédite et paradoxale. D’un côté, les inégalités entre territoires perdurent et s’amplifient. La richesse économique reste d’autant plus l’apanage de l’ouest parisien que le développement de ressources économiques à l’est n’est plus à l’ordre du jour. Mais simultanément, avec la mise en service progressive du métro, et plus largement des infrastructures de transports collectifs, l’accès aux aménités métropolitaines (emplois, services, équipements universitaires…) pour les habitants de ces mêmes territoires s’améliore grandement.

En d’autres termes, les inégalités territoriales persistent tandis que les inégalités sociales se réduisent. Ainsi, la Seine-Saint-Denis (93) concentre 35 % de personnes en situation de pauvreté (la moyenne régionale étant de 20 %), mais dans le même temps les actifs de Seine Saint-Denis sont les plus mobiles de la région.

Des ouvriers regardent l’arrivée du tunnelier « Caroline » réalisant le tunnel de la 18ᵉ ligne du futur métro Grand Paris Express, le 13 juin 2023, à l’aéroport d’Orly, à Orly
Des ouvriers regardent l’arrivée du tunnelier « Caroline » réalisant le tunnel de la 18ᵉ ligne du futur métro Grand Paris Express, le 13 juin 2023, à l’aéroport d’Orly, à Orly. Ludovic Marin/AFP

Gentrification ou inégalités sociales en cascade ?

Si l’on en croit les détracteurs du Grand Paris Express, il constituerait par essence un facteur puissant d’éviction sociale des territoires qu’il dessert.

Certes, la pression immobilière sur Paris et la première couronne induit une hausse générale du coût du logement, mais rien ne vient démontrer que le métro serait un déterminant majeur de cette hausse. Les observations mettent en évidence des dynamiques bien différentes.

Il faut d’abord rappeler que près d’une cinquantaine de gares sur les soixante-dix du Grand Paris Express sont situées à proximité immédiate de quartiers d’habitat social relevant de la politique de la ville. Ce statut constitue jusqu’à présent un puissant frein à la pression à la hausse des coûts du logement et à la modification sociale de ces quartiers.

De plus, si ces quartiers et leurs périphéries évoluent au travers des programmes de rénovation urbaine pilotés par l’État (ANRU), toutes les évaluations soulignent que ces opérations immobilières restent marquées par l’image négative de leurs quartiers et par contrecoup accueillent davantage de jeunes ménages de ces quartiers en quête de promotion sociale et d’accession à la propriété que des populations nouvelles « gentrificatrices ».

Davantage qu’à une éviction sociale fantasmée, on assiste là encore à une transformation sociale inédite du paysage francilien. Certes, les inégalités sociales historiques et massives entre l’est et l’ouest de l’agglomération parisienne demeurent, mais on observe l’émergence d’une nouvelle géographie des inégalités sociales, à l’échelle des communes, sur l’ensemble de la région.

De Colombes (92) au nord, à Bagneux (92) au sud, en passant par Champigny-sur-Marne (94), dans ces communes jusqu’alors socialement homogènes, populaires (et souvent au passé communiste), se développe une fragmentation sociale « du coin de la rue »., entre quartiers « gentrifiés » et quartiers populaires.

Cette nouvelle donne vient troubler les politiques municipales de communes habituées historiquement en Île-de-France à gérer les unes les riches, les autres les pauvres. Il leur faut au travers de leurs équipements et services du quotidien (les gymnases et piscines, les cantines scolaires…), assurer la cohabitation de pratiques sociales hétérogènes ; l’envers de la mythique « mixité sociale » en quelque sorte.

Une nouvelle voiture du métro parisien arrivant au futur centre de maintenance et de stationnement des trains de la ligne 14 du métro parisien construit dans le cadre du projet d’expansion du Grand Paris Express, à Morangis, le 27 mars 2024
Une nouvelle voiture du métro parisien arrivant au futur centre de maintenance et de stationnement des trains de la ligne 14 du métro parisien construit dans le cadre du projet d’expansion du Grand Paris Express, à Morangis, au sud de Paris, le 27 mars 2024. Emmanuel Dunand/AFP

Changer de grille de lecture s’impose

Étrangement, les tenants de la pensée considérée comme dominante (promoteurs ou aménageurs) et ceux se revendiquant de la pensée critique (du côté du monde associatif ou de la sphère académique) adoptent, de façon symétrique, les mêmes raisonnements. Là où les uns voient mécaniquement dans la réalisation d’une infrastructure publique un ressort de création de valeur, les autres la considèrent tout aussi mécaniquement comme un moteur de gentrification et d’éviction des classes populaires.

L’observation des dynamiques métropolitaines dans la période récente remet largement en question ces deux approches. Dans un contexte marqué par les interdépendances entre les territoires, les interactions complexes entre les différents registres de la vie en société, les raisonnements mécaniques n’ont plus leur place.

Le métro du Grand Paris est une infrastructure totalement inédite. Il vient moins desservir des territoires jusqu’alors enclavés comme les lignes antérieures, qu’organiser un « réseau des réseaux », mettre en système interconnecté, avec sa rocade, l’ensemble des lignes (métro et RER) des transports franciliens.

Les uns et les autres ont persisté et persistent encore à penser ses effets pour l’essentiel autour des quartiers de gare alors qu’il va transformer en profondeur les pratiques métropolitaines, en favorisant la vie en archipel, chacun d’entre nous dispersant ses lieux d’habitat, d’emploi et de loisirs, bien au-delà de la région capitale stricto sensu. Si l’on veut comprendre et agir sur les effets à venir du métro du Grand Paris, il est urgent de changer de grille de lecture.

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