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Miser sur les « agriculteurs innovants » pour transformer l’agriculture

Soutenir et faire connaître les innovations agroécologiques. Shutterstock

La transition agroécologique – qui consiste à passer d’un système de production agricole néfaste pour l’environnement à un système qui n’altère pas, voire utilise les ressources naturelles pour produire des biens alimentaires – a été plébiscitée par la récente Convention citoyenne pour le climat.

Une grande partie des propositions de cette initiative citoyenne vise en effet à fournir à l’agriculture les moyens d’accélérer sa mue.

Si on peut se féliciter que les propositions de la Convention aillent dans le bon sens, plusieurs recommandations importantes pour l’agroécologie n’ont toutefois pas été évoquées ou retenues.

C’est notamment le cas concernant le soutien à apporter aux entrepreneurs agricoles vertueux ; et également le financement de recherches permettant de repérer, comparer et évaluer des pratiques agroécologiques originales.

Dans une recherche qui sera publiée prochainement par la revue Économie rurale – et issue d’une thèse portant sur l’innovation dans la filière du paysage (conception, création et entretien de jardins)–, ces deux actions paraissent pourtant essentielles à l’évolution des pratiques agricoles.

Accélérer la transition agroécologique

Notre recherche s’appuie sur près de 30 entretiens avec des acteurs de la filière du paysage ainsi que sur la participation à une dizaine de conférences et à la consultation d’articles de presse professionnelle publiés au cours des dix dernières années.

Elle montre que la transition agroécologique est loin d’être un processus simple : elle repose sur un large éventail de travaux institutionnels, allant du lobbying à la création de normes et de standards, en passant par l’éducation et la légifération.

L’analyse des propositions de la Convention citoyenne pour le climat montre un alignement sur les résultats de nos travaux. Certaines actions identifiées comme essentielles y figurent en bonne place : donner des droits aux agriculteurs vertueux, en leur permettant par exemple d’accéder au marché de la restauration collective ou encore leur permettre d’obtenir des aides de la politique agricole commune (PAC) ; intégrer l’agroécologie dans les programmes de formation initiale et permettre aux agriculteurs en activité de s’y former ; mettre en place un label pour les produits issus de l’agriculture agroécologique, etc.


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Il manque toutefois encore plusieurs « briques » pour soutenir le développement de l’agroécologie en France.

Soutenir les agriculteurs innovants

Notre recherche montre que les solutions pratiques pour passer d’un modèle à un autre reposent sur les entrepreneurs eux-mêmes. Ces derniers peuvent être agriculteurs, paysagistes ou encore fonctionnaires ayant expérimenté de nouvelles pratiques.

Ce sont souvent des professionnels innovants et visionnaires ayant trouvé des solutions alternatives qui portent le changement.

On peut citer ici la mise au point en 2009 du sarcloir pousse-pousse, appelé également vélo-binette, par deux agents techniques de Laniscat, une petite commune bretonne. Cet outil, composé d’une lame et d’un cadre à vélo, permet de désherber les allées de façon écologique, sans bruit et sans effort.

L’écopastoralisme, qui consiste à recourir aux animaux herbivores pour entretenir certains terrains constitue un autre exemple : cette pratique ancestrale, abandonnée puis réintroduite dans certaines communes dans les années 2000 remplace les outils mécanisés de tonte, sources de pollution olfactive et auditive. En choisissant des espèces animales rares – à l’image des moutons d’Ouessant installés sur le parc du Mémorial de Caen en juin dernier – les propriétaires fonciers favorisent la biodiversité.

Le mouton d’Ouessant, la tondeuse écologique (France 3 Bretagne, 2019).

Si des travaux de lobbying, comme le lancement d’alertes auprès d’élus, de légifération, à travers le dépôt et le vote de projets de lois, ou d’éducation sont nécessaires pour permettre l’évolution, les changements institutionnels se heurtent souvent à des problématiques très concrètes ; comme de trouver les bonnes pratiques agroécologiques pour permettre de remplacer à moindre coût des solutions existantes néfastes pour l’environnement.

Ces solutions concrètes, ce sont souvent les entrepreneurs eux-mêmes qui les proposent. L’enjeu consiste alors à identifier ces solutions et, surtout, à inciter les acteurs de terrain à être innovants. En marge de mesures juridiques et financières, il ainsi important de valoriser l’entrepreneuriat et l’innovation agricole plutôt que de stigmatiser les agriculteurs récalcitrants.

Utiliser la recherche comme levier

L’identification, l’évaluation et la diffusion des innovations constituent un autre aspect essentiel du développement de l’agroécologie en France. C’est ici qu’intervient la recherche, peu mise en avant dans les travaux de la Convention citoyenne sur le climat.

Prenons le cas du paysage : la recherche devra permettre de repérer les initiatives originales dans les territoires. Il s’agit de dénicher la « perle rare », cet entrepreneur agricole qui a expérimenté une pratique innovante, mais qui ne l’a pas fait savoir.

Par exemple, dans le cadre du programme CampamedZNA (Comparaison des méthodes de désherbage en zone non agricole), une étude a été réalisée en 2010 sur 433 collectivités locales et entreprises. Celle-ci a permis de mieux connaître les techniques de désherbage employées par les communes ; elle a notamment fait apparaître des approches peu connues comme le désherbage thermique à infrarouge, ou le Waïpuna, un système de désherbage à partir d’eau chaude et de mousse fabriquée à partir d’ingrédients naturels.

Instaurer un système de veille pour scruter au plus près les territoires et permettre la diffusion de l’information au niveau national constitue l’une des actions essentielles de la recherche. Il s’agira ensuite de comparer et évaluer les solutions trouvées ; puis de diffuser les résultats d’études comparatives pour permettre aux acteurs de choisir les solutions les plus adaptées.

Notre recherche montre qu’il vaut mieux proposer plusieurs alternatives aux acteurs de terrain plutôt que d’imposer une seule et unique solution. En effet, chaque propriétaire foncier possède ses propres contraintes : terrain en pente ou plat, sol qui retient plus ou moins bien l’eau ou les fertilisants, zone de passage ou habitation à proximité, etc. Si une solution est bonne pour l’un, elle ne l’est pas forcément pour d’autres.

Un même propriétaire peut en outre avoir besoin de différentes méthodes agroécologiques. Par exemple, dans un parc public où les gens ont l’habitude de pique-niquer, l’écopastoralisme n’est pas adapté en raison des odeurs animales et de leurs déjections. Un travail mécanisé sera alors plus adapté.

Cette démarche non directive, consistant à proposer plusieurs solutions, semble avoir guidé les acteurs de la Convention citoyenne pour le climat. Il est nécessaire que les pouvoirs publics continuent de l’appliquer.

Former les jeunes et les entrepreneurs

Un dernier point fondamental concerne la formation, domaine bien mis en avant dans la Convention.

Nos travaux montrent que la formation des jeunes est stratégique : ce sont eux qui vont entreprendre et imposer de nouvelles pratiques ; mais ils peuvent aussi influencer les entrepreneurs en activité qui les recrutent comme alternants. Avoir des jeunes sensibilisés à l’agroécologie peut donc avoir des effets à très court terme.

La formation de l’agriculteur est également essentielle : celui-ci doit s’approprier les innovations et savoir comment les mettre en pratique. La Convention pour le climat évoque une formation des conseillers techniques.

Nous pensons qu’il faut surtout permettre aux agriculteurs de se former entre eux, en créant des communautés de pratiques locales leur permettant d’apprendre et d’expérimenter sans se sentir jugés. Ces communautés existent déjà, citons par exemple les GIEE, dispositif créé par l’État en 2014 et qui permet à des agriculteurs ayant une même problématique de se réunir pour co-expérimenter de nouvelles pratiques agroécologiques. Il faut encourager de déploiement de telles initiatives sur tout le territoire.

Une vidéo sur l’action du GIEE des 3 vallées (Cerfrance Seine Normandie, 2016).

Si les propositions de la Convention citoyenne vont dans le bon sens, elles risquent de se heurter une nouvelle fois à des difficultés pratiques liées aux choix des méthodes de production alternatives. Il faut donc dès maintenant inciter les acteurs de terrain à faire connaître leurs expérimentations et permettre aux territoires de les valoriser.

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